Intervention de Sarah Guillou

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Sarah Guillou, économiste senior au département de recherche « Innovation et concurrence » de l'Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE :

Je vous livre quelques observations complémentaires, sans craindre certaines répétitions assez révélatrices du consensus qui peut exister au sujet des aides d'État.

Leur contrôle est constitutif de l'existence du Marché commun et reflète la volonté des pays européens de l'instituer entre eux. Selon le règlement général, il induit la déclaration de toutes les aides d'un montant total supérieur à 200 000 euros sur trois exercices fiscaux consécutifs. La Commission européenne a mandat pour en contrôler et en vérifier la légalité en analysant si elles ont une incidence sur les conditions d'échange ou sur le degré de concurrence. Ce contrôle connaît cependant de nombreuses exceptions.

Aux États-Unis, aucun contrôle n'est exercé a priori, mais la clause de commerce inscrite dans la Constitution, qui vise à garantir l'union politique et économique du pays, est parfois invoquée – quoique peu fréquemment – par les juridictions pour interdire telle ou telle aide. Aussi les États viennent-ils souvent en aide directement aux entreprises en leur offrant, de manière sélective, des avantages pour attirer investissements et emplois. Les préoccupations électoralistes ne sont pas absentes de cette démarche.

La Commission européenne aurait donc fort à faire si elle devait contrôler les aides versées aux États-Unis. A contrario, la concurrence fiscale entre les États est beaucoup plus sévèrement combattue aux États-Unis qu'au sein de l'Union européenne, où il est bien admis que les États imposent leur propre régime fiscal aux entreprises, pourvu qu'ils appliquent le même à toutes. Les récentes enquêtes sur certains avantages sélectifs consentis par un État apparaissent donc plutôt comme une exception.

Au niveau fédéral, le gouvernement américain a pour philosophie d'être non interventionniste. Il se défend même d'avoir une politique industrielle. Des aides aux entreprises ne sont versées que de manière exceptionnelle et dans des circonstances exceptionnelles. À l'issue de la crise financière, le gouvernement a ainsi apporté un soutien à General Motors, dont il est même devenu le principal actionnaire. Mais il a annoncé ne pas chercher à interférer dans le management de l'entreprise, et se fixer au contraire pour objectif d'en sortir le plus vite possible, une fois accompli le plan de restructuration qui prévoie des suppressions d'emplois et des cessions de marques. L'approche américaine est donc différente de l'approche européenne, et singulièrement de l'approche française.

En revanche, le soutien à la recherche et développement est plus fort aux États-Unis – par la voie des agences fédérales ou du ministère de la défense – que dans l'Union européenne. Les secteurs concernés sont la défense, la santé ou l'énergie. Les aides reçues au titre de la recherche et développement constituent un soutien indirect aux entreprises. La recherche et développement menée dans l'Union européenne bénéficie quant à elle d'un régime d'exemptions. Sortant du cadre général, les aides versées à ce titre ne sont pas soumises à la déclaration obligatoire à la Commission européenne. Ce régime d'exemptions est du reste élargi depuis le début de l'année. La Commission n'est donc pas restrictive quant au soutien à l'innovation.

Pour justifier ce traitement spécial, il faut se demander si ces aides sont motrices pour l'innovation, soit qu'elles permettent aux entreprises de supporter les coûts fixes d'entrée sur un marché, soit qu'elles pallient une asymétrie d'information, en facilitant l'accès à un financement. Dans les deux cas, la réglementation européenne n'est pas limitative, quoiqu'elle soit plus souple dans le second, car le financement des PME est mieux accepté que l'aide directe visant à amortir des coûts fixes d'entrée sur un marché. Sur ce dernier point, il existe peut-être une petite marge d'amélioration. Alors que la Commission européenne se borne aujourd'hui à établir si un concurrent est lésé par cette aide directe, elle pourrait aussi bien inciter, le cas échéant, à la création d'une joint-venture entre lui et l'entreprise initialement seule destinataire de l'aide.

La vraie différence entre l'Union européenne et les États-Unis concerne donc la recherche et développement. De part et d'autre, des crédits d'impôt sont accordés, à hauteur de 20 % aux États-Unis, de 30 % dans l'Union européenne, et même de 35 % au Canada. Mais ces dépenses fiscales ne représentent aux États-Unis que 18 % du soutien total à la recherche et développement, alors qu'ils en constituent 70 % en France.

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