Intervention de Jacques Derenne

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jacques Derenne, avocat, maître de conférences à l'Université de Liège :

En matière de soutien aux industries électro-intensives, la tentation est toujours forte en France de faire appel aux pouvoirs publics et de mettre en branle des dispositifs qui activent inévitablement les procédures de contrôle des aides d'État. Les Allemands, eux, utilisent la voie législative. C'est par une loi que l'État a fixé le tarif des énergies renouvelables auquel sont soumises les entreprises. Il s'agit d'un avantage qui leur est concédé légalement, mais pas à proprement parler d'une aide, puisqu'il n'y a pas de transfert de ressources de l'État, et c'est ce qu'a validé, en 2001, l'arrêt PreussenElektra de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE). Poursuivant le même objectif, les Français ont choisi d'avoir recours à des procédures que la Cour de Justice de l'Union européenne a assimilées, dans l'affaire Vent de colère, à des aides d'État illégales, parce que disproportionnées et non notifiées à la Commission, obligeant, au prix de la plus grande incertitude juridique, le Conseil d'État à annuler les arrêtés ministériels régissant le tarif d'achat de l'électricité éolienne.

En ce qui concerne les infrastructures numériques, la Commission européenne a adopté une centaine de décisions favorables au développement du broadband – ou réseau à haut débit. Elle approuvera donc rapidement – trop rapidement même, eu égard aux problèmes de neutralité technologique – toutes les décisions d'investissement dans ce domaine.

Le système des aides de minimis a changé récemment. Les aides concernées par la règle doivent être transparentes, c'est-à-dire qu'elles doivent être clairement identifiées comme telles et que leur montant doit être précisément chiffré : à la différence d'une subvention, d'une déduction fiscale ou d'une avance remboursable, une garantie d'État n'est pas une aide de minimis. Quant aux problèmes qui surgissent lors du contrôle ex post, ils devraient être résolus par le nouveau règlement entré en vigueur en juillet dernier, qui impose aux États la mise en place d'un registre dans les deux ans à venir. Je rappelle ici que le règlement de minimis est le seul qui impose une obligation aux bénéficiaires des aides, qui doivent déclarer à l'État la totalité des aides qu'ils ont perçues. C'est important, et les pouvoirs publics doivent en informer les entrepreneurs et les agriculteurs.

Sur les questions de concurrence internationale, je vous renvoie à la notion juridique de marché pertinent géographique. Les règles régissant les aides d'État s'appliquent dès lors que l'Europe est identifiée comme étant le marché pertinent. Dans le cas d'un marché à dimension mondiale, on peut admettre plus de souplesse, sachant cependant qu'une aide à l'exportation, qui bénéficiera à une entreprise européenne hors de l'Union, peut avoir une incidence sur sa position financière en Europe et donc être assimilée à une aide d'État soumise à contrôle, ainsi que l'a arrêté la CJCE dans l'affaire Tubemeuse en 1990.

En matière de stratégie de développement de nouvelles filières, il y a moyen, si l'on cible bien les objectifs, de développer des systèmes d'aides conformes au droit européen. Je travaille moi-même actuellement, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), à la mise en place d'un fonds de garantie contre les risques, permettant de développer en France la filière géothermale, déjà largement soutenue au Japon, en Allemagne, en Islande ou aux États-Unis.

Je ne peux pas laisser Clotilde Valter affirmer que l'Europe a contribué à l'affaiblissement de l'industrie européenne. C'est une erreur de jugement : l'Europe protège l'industrie européenne et les emplois, notamment par l'application stricte des règles relatives aux aides d'État. Sans ces règles, ce serait la fin de l'Europe et de ceux qui n'ont pas d'argent – et les Allemands ont plus d'argent que nous…

J'illustrerai mon propos par le rappel historique suivant : le 12 octobre 2008, au coeur de la crise financière, alors que la commissaire à la concurrence Neelie Kroes faisait face à la fronde des ministres des finances qui voulaient en finir avec le droit de la concurrence européen, ce sont – ironie de l'histoire – les Anglais qui lui ont sauvé la mise en portant devant la Commission européenne le différend qui les opposait à l'Irlande. Celle-ci avait en effet décidé, de manière discriminatoire, de réserver la garantie des dépôts bancaires aux banques irlandaises, entraînant de ce fait des retraits d'argent massifs aux guichets des banques britanniques sur le territoire irlandais. Chacun a pu comprendre alors à quoi servait la réglementation des aides d'État qui, en l'absence de supervision bancaire et de réglementation financière harmonisée, a permis à la Commission européenne de juguler, avec les moyens du bord, la crise financière. Le sauvetage des banques n'a été possible que grâce à la Commission européenne, avec la coopération des États membres.

Si le tribunal a confirmé la décision de la Commission européenne dans l'arrêt Castelnou Energía du 3 décembre 2013, c'est qu'il a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un problème environnemental, mais d'une question de service public relative à la sécurité d'approvisionnement. De manière classique, il a été jugé que l'aide accordée par l'Espagne aux centrales à charbon était proportionnée au but recherché et donc conforme à la réglementation européenne. Il a été estimé par ailleurs que cette mesure n'aboutissait pas à une augmentation du CO2 globalement émis en Espagne.

Si l'on veut que la réglementation soit correctement appliquée en matière d'aides d'État, nous devons poursuivre notre effort d'information et de formation des juges et des personnels administratifs. Mais, en dernier ressort, c'est vous, parlementaires, qui êtes responsables de la conformité des décisions prises par les pouvoirs publics au droit européen, puisque c'est vous qui légiférez ! Au risque d'être excessif, j'oserais dire que la majorité des désastres consécutifs aux décisions de la Commission européenne vous sont imputables, puisqu'ils découlent des lois que vous avez votées… C'est ainsi que, en faisant adopter par le Parlement, en 1996, les mesures d'allègement de charges sociales dites « plan Borotra », le Gouvernement français a menti aux entreprises textiles pour les empêcher de délocaliser leurs emplois aux Maghreb. L'attribution de ces aides sectorielles a été condamnée par la Commission européenne et la France a été contrainte de les rembourser. S'il est normal de rembourser des aides illégales, l'État en revanche a été condamné, à la suite de recours devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, à indemniser les entreprises à hauteur de ce que leur avait coûté le maintien des emplois en France par rapport à une délocalisation.

Pour garantir la conformité de leur législation au droit européen, les dix nouveaux États membres font appel, comme à Chypre, à un Commissioner for State Aid Control – commissaire au contrôle des aides d'État –, personnalité indépendante mandatée par le Parlement pour étudier les projets de loi susceptibles d'être contraires à la réglementation européenne. Inspirons-nous de cet exemple, car la majorité des contentieux pourraient être évités si les États membres contrôlaient plus rigoureusement leur législation.

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