Intervention de Sarah Guillou

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Sarah Guillou, économiste senior au département de recherche « Innovation et concurrence » de l'Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE :

Je compléterai cette approche juridique par des propos plus économiques. Une aide aux entreprises constitue toujours un transfert de revenus pris sur les crédits destinés à l'éducation ou à toute autre politique publique. Ce transfert est le fruit d'un arbitrage. Dans cette optique, il ne faut pas perdre de vue que le rôle de la Commission européenne est d'agréger les préférences de l'ensemble des États membres, ce qui implique de soutenir à la fois l'industrie, qui reste, au même titre que l'emploi, une priorité, et le développement des énergies renouvelables. Ses décisions sont donc le reflet des arbitrages qu'elle opère entre le soutien aux industries électro-intensives, émettrices de CO2, et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui peuvent être des objectifs contradictoires.

Si le coût de la main-d'oeuvre peut représenter un avantage comparatif pour certains pays, notamment dans les territoires frontaliers, il ne faut pas oublier que ce coût doit également se mesurer au regard de la productivité du travail : lorsque le coût de la main-d'oeuvre est plus faible, c'est parfois que la productivité du travail est moindre, ce qui justifie la différence de salaire. Par ailleurs, la distorsion de concurrence liée à des différences dans le coût de la main-d'oeuvre ne relève pas du contrôle des aides publiques. La Commission contrôle les aides, mais elle ne contrôle pas les obstacles à la concurrence découlant de décisions économiques affectant négativement la compétitivité des entreprises.

En ce qui concerne la concurrence à laquelle sont exposées les entreprises européennes sur le marché mondial, elle doit être relativisée par le fait que 75 % des échanges réalisés par nos entreprises s'opèrent sur le marché européen. Les entreprises françaises sont donc majoritairement confrontées à la concurrence européenne. Ce sont essentiellement les grands groupes qui affrontent la concurrence internationale, et ils sont plutôt bien outillés pour obtenir des aides.

En France, les aides sont en effet massivement absorbées par les grandes entreprises, mais le phénomène est encore plus prononcé aux États-Unis. L'association Good Jobs First, qui s'intéresse à la gestion des deniers publics, a ainsi constaté que les trois quarts des aides publiques versées par les États américains ne concernaient que 945 entreprises, soit 1 % des entreprises américaines. Cela s'explique par le fait que les grosses entreprises américaines, au premier rang desquelles Boeing, ont les moyens, grâce à d'importantes actions de lobbying, de faire pression sur les États pour obtenir des aides en contrepartie d'investissements locaux et de promesses d'emplois. En Europe, le contrôle des aides exercé par la Commission limite, fort heureusement, le poids de ce lobbying des grands groupes.

L'OMC est compétente pour les questions intéressant le marché international. Dans le cas d'aides créant des distorsions de concurrence, l'Organe de règlement des différends peut être saisi et statuer sur la légalité de ces aides. C'est ainsi que, dans l'affaire Boeing-Airbus, ont été jugées pour partie illégales aussi bien les aides reçues par Boeing que par Airbus.

Ni le CICE ni le CIR ne sont intégrés dans le calcul des aides puisqu'ils sont considérés comme des aides générales. C'est d'ailleurs pour qu'ils ne soient pas contestés par Bruxelles qu'ils n'ont pas été plus précisément ciblés vers certaines entreprises.

Enfin, je considère comme Jacques Derenne qu'on ne peut en aucun cas prétendre que le contrôle des aides publiques en Europe a conduit à l'affaiblissement de l'industrie européenne. J'en veux pour preuve la vigueur singulière de l'industrie allemande, qui n'échappe pourtant pas au contrôle des aides.

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