Intervention de Yves Foulon

Réunion du 17 décembre 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Foulon, rapporteur :

Le huitième axe a trait au développement de notre influence normative.

Le soutien aux exportations ne relève pas uniquement du niveau national et de l'implication des pouvoirs publics de chaque pays. Il relève, par nature, d'un « écosystème » et d'un ensemble de normes globaux. Or, ces normes, parce qu'elles sont le résultat de rapports de force, ou parce qu'elles ne sont pas appliquées de la même manière par tous les États concernés, peuvent créer des distorsions de concurrence préjudiciables aux industriels.

Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut évoquer à titre d'exemple trois domaines dans lesquels la France ou l'Europe pourraient agir.

Le premier concerne la Convention OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, que tous les pays ne semblent pas respecter avec le même degré d'exigence que le nôtre. Il est évidemment hors de question que la France renonce aux efforts accomplis. En revanche, et avec l'aide d'autres États respectueux de cette convention, elle doit peser au sein de l'OCDE afin que les États moins avancés en la matière se conforment réellement à ces stipulations.

Le deuxième a trait aux règles américaines dites ITAR qui peuvent s'avérer particulièrement contraignantes pour l'activité export des entreprises non-américaines.

Beaucoup de sociétés françaises et européennes intègrent des composants américains dans de nombreux matériels. Or, dès lors que ces composants sont soumis à la réglementation ITAR, et que l'entreprise les a intégrés dans un produit qu'elle destine à l'export, elle doit obtenir l'accord préalable des autorités américaines avant de pouvoir procéder à toute opération commerciale.

À cet égard, la France devrait faire front commun avec ses partenaires européens et mettre en avant la qualité des systèmes nationaux de contrôle des exportations au sein de l'Union européenne, afin de rassurer les autorités américaines.

Dans l'idéal et compte tenu des questions de maîtrise technologique et de souveraineté sous-jacentes – parfaitement compréhensibles au demeurant –, on pourrait imaginer la mise en place d'un système de reconnaissance mutuelle a minima entre pays alliés sûrs concernant un certain nombre de matériels, équipements et composants.

Le troisième domaine relève de la seule compétence de l'Union européenne puisqu'il concerne l'harmonisation, encore limitée, des régimes nationaux de contrôle des exportations. Pour des raisons évidentes – souveraineté, autonomie stratégique et diplomatique, responsabilité des gouvernements –, ces systèmes doivent demeurer de la compétence des États. Toutefois, et sans sacrifier pour autant leur cohérence et leur solidité, il est sans doute possible d'harmoniser davantage certaines procédures. Cela permettrait de rendre encore plus fluides les échanges et de sécuriser davantage les industriels. Je rappelle que la directive relative aux transferts intracommunautaires, dite directive TIC, pourrait faire l'objet d'une révision en 2016.

Au-delà, l'actualité démontre qu'il convient également de prévenir la mise en place d'une sorte d'ITAR au sein même de l'Union européenne.

Nous l'avons rappelé : l'exportation d'armement est avant tout un acte politique, de souveraineté, qui engage la responsabilité de chaque gouvernement. Toutefois, il ne faudrait pas que certaines décisions ou prises de positions politiques dans tel pays de l'Union européenne affectent, par ricochet, les autres États membres et leurs entreprises. M. Sigmar Gabriel, ministre allemand de l'Économie et vice-chancelier, a récemment affirmé souhaiter conduire une politique restrictive en matière d'exportations d'armement. Une telle volonté n'appelle pas d'observations particulières, dès lors qu'il s'agit d'une politique déterminée souverainement par le gouvernement allemand et qui a naturellement vocation à s'appliquer aux entreprises allemandes. En revanche, elle ne doit pas produire d'effets collatéraux sur les autres États membres en empêchant les opérations export d'autres entreprises européennes, au motif que les produits qu'elles proposent comprendraient des composants allemands.

Pour ce qui concerne la France, il n'est sans doute pas inutile de rappeler les stipulations de l'article 2 de l'accord dit Debré-Schmidt de 1971-1972 : « Aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d'armement issus de développement ou de production menés en coopération. »

Le même article prévoit qu'un gouvernement peut opposer un refus à l'exportation de composants d'un projet commun. Mais de tels refus doivent demeurer exceptionnels et, le cas échéant, ils doivent au préalable faire l'objet d'une consultation approfondie entre les deux parties. Il n'est pas tout à fait certain que la seconde condition ait été remplie en ce qui concerne les récents contrats impliquant des entreprises françaises. En outre, les déclarations du ministre allemand de l'Économie laissent à penser que l'exceptionnel a vocation à devenir permanent.

Le rapport publié en 2000 par notre commission avait souligné que ces accords avaient déjà fait l'objet par le passé de quelques « accrocs » dans leur mise en oeuvre. Il reste que, compte tenu des liens toujours plus étroits unissant nos deux pays, toute forme d'unilatéralisme prononcé poserait des difficultés considérables pour la poursuite des coopérations industrielles, essentielles pour l'avenir de l'Europe de la défense.

Un dernier point, qui ne relève pas du dispositif de soutien à proprement parler ou de l'action des pouvoirs publics, consiste à construire « l'équipe de France » de l'export. Le succès de nos entreprises à l'exportation dépend sans doute, avant tout, des industriels eux-mêmes et, au-delà des produits qu'ils proposent, de leur « mentalité » et des stratégies qu'ils adoptent.

Nous l'avons entendu à plusieurs reprises : contrairement à d'autres pays qui « chassent en meute », comme l'Allemagne, « l'équipe de France » semble parfois agir en ordre dispersé.

Il convient d'éviter à tout prix les luttes fratricides qui peuvent entraîner, notamment, des surenchères en termes de spécifications et des stratégies de « dénigrement croisé » au risque de perdre les marchés.

Compte tenu de la sensibilité du domaine et de ses implications, y compris en termes politiques et stratégiques, et si les industriels eux-mêmes s'avèrent incapables d'aplanir leurs différends et de présenter un front uni, il appartient à l'État d'encourager la coopération entre eux et de jouer un rôle d'arbitrage. La concurrence est nécessaire, mais il faut parfois la tempérer afin qu'elle n'aboutisse pas à un échec collectif.

Au-delà des problématiques industrielles et actionnariales objectives, la question de la solidarité est avant tout culturelle. Pour reprendre une image populaire, notre BITD doit s'affranchir de quelques cas persistants d'un autre syndrome, celui du « village d'Astérix ».

Il ne s'agit évidemment pas de généraliser, mais peut-être existe-t-il aussi dans ce domaine des pistes d'amélioration qui, celles-là, ne relèvent pas des pouvoirs publics.

Nous vous remercions.

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