Intervention de Jean-Jacques Candelier

Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en irak débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

C’est la « guerre contre le terrorisme » qui a conduit à l’extension internationale du djihad armé. Les peuples ne cessent de payer le prix de cette folle entreprise qui vise à refaçonner la carte de ces pays en y imposant la démocratie par la force, quitte à exploiter les extrémistes. N’est-ce pas Laurent Fabius qui, avant de se rétracter en mai 2013, avait refusé d’inscrire le Front al-Nosra sur la liste des organisations terroristes, au motif qu’il faisait du « bon boulot en Syrie » ? Dans le même temps, la France refuse de retirer le PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, et le PYD, le parti de l’union démocratique, de la liste des organisations terroristes, alors que ce sont des forces démocratiques, qui défendent aujourd’hui la population de Kobané contre Daech.

Aujourd’hui, le groupe État islamique jouit d’une notoriété inégalée, qui lui permet de recruter dans le monde entier, et domine un territoire immense. L’intervention armée de l’Occident risque de nourrir le fantasme du « choc des civilisations ».

La division de l’Irak en entités ethniques et confessionnelles ne date pas de Daech, qui n’a fait que profiter de la situation. L’hypothèse d’un éclatement de l’Irak n’a cessé de se renforcer depuis l’invasion illégale du pays au nom de la « guerre globale contre le terrorisme » et du mensonge des armes de destruction massive.

Comment remédier à ce foyer du terrorisme international qu’est l’État islamique ? La solution ne réside pas dans de nouveaux bombardements, alors que les opérations précédentes n’ont fait qu’empirer la situation. Hormis dans des cas ponctuels d’urgence ou de légitime défense, la violence n’est pas une réponse durable aux crises, sauf à accepter d’entrer dans un cercle vicieux mortifère.

Tirons les leçons du bourbier afghan et de ce qui se passe en Libye ! Il faut attaquer le mal à la racine. Nous considérons que la réponse au défi lancé par le groupe « État islamique » ne doit pas être seulement militaire : elle doit aussi être politique, économique et diplomatique. Le « tout répressif » est incapable de venir à bout des aspirants au terrorisme, toujours plus nombreux, y compris en France.

Si la sécurité et la souveraineté de l’Irak relève des Irakiens et des acteurs de la région, la communauté internationale, qui a une responsabilité dans la situation actuelle, doit jouer un rôle. Une stratégie globale impliquant tous ses membres, notamment les pays du Golfe et la Turquie, doit conduire à priver les islamistes de leurs moyens militaires et financiers. Concrètement, il convient d’intensifier la lutte contre le trafic de pétrole, d’armes et d’argent qui alimente Daech. Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution en ce sens : elle doit être pleinement appliquée. La vente de pétrole rapporte quelque deux millions de dollars par jour à Daech, auxquels s’ajoute le milliard de dollars de subventions annuelles que lui versent des milliardaires sunnites du Golfe.

C’est l’avenir de l’Irak comme État nation qui est en jeu. La voie à suivre est celle du dialogue politique interne. La France doit se mettre au service de la paix, et non à celui de l’atlantisme. Telle est sa vocation, tel est son intérêt, telle est sa responsabilité morale.

Notre pays doit exploiter le capital de sympathie dont il jouit encore dans la région pour aider nos amis irakiens. Il doit prendre l’initiative d’une conférence réunissant, sous l’égide de l’ONU,tous les pays de la région, en particulier l’Iran, la Turquie et les monarchies du Golfe.

Il faut aider l’Irak, confronté à la difficile répartition du pouvoir entre ses différentes composantes ethniques et religieuses. Le nouveau Premier ministre irakien a fait un geste en direction de la communauté sunnite ; désormais, certaines tribus sunnites combattent les islamistes aux côtés de l’armée irakienne. Il a également lancé le chantier de la modernisation de l’armée irakienne – cela s’imposait eu égard à sa débandade de l’été dernier devant Daech. Les relations avec les Kurdes se sont elles aussi apaisées depuis la prise de fonction du Premier ministre.

Après des mois de frappes aériennes, l’engagement français reste entouré d’opacité et ses objectifs ambigus. La question de sa légalité se pose. À défaut d’un mandat de l’ONU, l’appel à l’aide du gouvernement irakien est certes susceptible de fonder une action armée, mais seulement temporairement, comme le stipule l’article 51 de la Charte des Nations Unies. De plus, l’extension des frappes de la coalition au territoire syrien, en dehors de tout cadre légal, pose problème.

Dès lors, dans la mesure où cette intervention se fait sous l’égide, non pas du Conseil de sécurité de l’ONU, mais de l’OTAN, et où nous doutons de l’efficacité de nouvelles frappes, nous nous abstiendrons, tout en précisant qu’il convient d’aider l’État irakien à éradiquer ces barbares.

2 commentaires :

Le 18/01/2015 à 23:09, chb17 a dit :

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Bonne intervention, en ce qu'elle prône véritablement la paix.

Il serait judicieux de ne plus mettre d'huile sur le feu, comme nous l'avons fait ces dernières années en refusant notamment de reconnaître la volonté du peuple syrien.

Nous avons au contraire soutenu (et armé en violation des lois internationales, comme l'avouait notre président en août) des gens qui s'avèrent ensuite être plutôt terroristes que démocrates. Car notre allié « Armée syrienne libre » a montré qu'il n'est que la face diplomatiquement correcte de la terreur sectaire que l'on dit combattre par ailleurs.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 05/12/2015 à 22:52, chb17 a dit :

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Les accusations russes quant au trafic de pétrole au profit de l'E.I. sont graves, détaillées, et ne peuvent pas être balayées d'un revers de main simplement parce que la Turquie est notre alliée contre le "régime sanguinaire" syrien (et récemment contre la Russie !). Une enquête devra répondre à plusieurs questions, dont :

- Qui transporte le pétrole depuis Mossoul ou Deir ez Zor jusqu'à la frontière turque? Qui est le propriétaire des camions utilisés ? Est-ce le même qui passait déjà le pétrole kurde au nez et à la barbe de Bagdad ?

- Qui transporte le pétrole de la frontière turque à Ceylan ?

- Comment le pétrole de l'EI est-il frauduleusement chargé à Ceylan, un port appartenant au gouvernement turc ?

- Qui possède les bateaux qui transportent le pétrole de l'EI entre le port turc et Malte / Israël /... ?

- Quelles banques couvrent les transactions surle pétrole volé par l'EI avec les acheteurs étrangers?

- Ces banques et ces commerçants devraient-ils aussi être incriminés pour la contrebande ?

- Comment se fait-il que le pétrole, dont l'origine géographique peut a priori être déterminée par analyse d'un échantillon, ne soit pas bloqué par les distributeurs, européens ou autres ?

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