Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 19 décembre 2014 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

Pour ma part, je ne trouve pas la note déprimante, mais plutôt lucide, et même optimiste puisqu'elle oublie la crise écologique alors que le réchauffement climatique n'a rien d'une vue de l'esprit.

Pour résoudre les problèmes qu'elle décrit, nous devrions, ainsi que l'a dit Michel Winock, en revenir aux valeurs fondamentales de la République – liberté, égalité, fraternité, laquelle suppose la solidarité –, ainsi qu'à la conception première de la démocratie comme l'a avancé mon collègue philosophe, notamment aux principes essentiels de la démocratie grecque qu'étaient l'isonomie et l'iségorie : l'égalité devant la loi, dans sa fabrication comme lors de sa réception – de son application –, et l'égalité dans l'expression, le droit égal à s'exprimer pour contribuer à l'élaboration de la loi, que l'on retrouve d'ailleurs dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

À n'en pas douter, les problèmes économiques, joints à d'autres aspects qui viennent d'être évoqués, contribuent à ce que l'on peut appeler sinon une crise, du moins un sentiment de mal-être et à l'impression qu'il est urgent de faire bouger les choses.

Faut-il en rester à une représentation unique de la volonté générale ou faire droit à d'autres formes de représentation ? Il me semble que l'on pourrait concilier les deux en conservant une Assemblée nationale qui serait la chambre de la volonté générale et en transformant profondément le Sénat pour y accueillir d'autres expressions. On conçoit parfaitement qu'une jeune femme d'origine immigrée vivant en banlieue ne se sente guère représentée par les institutions. Peut-être pourrait-on donc tenir compte dans la seconde chambre soit de quotas, soit de techniques de tirage au sort – pour revenir à la démocratie grecque – visant à permettre la représentation de toute la société et même la présence physique, pour contribuer à l'élaboration de la loi, de toutes ses composantes dont les ouvriers, les employés, les pauvres et jusqu'aux clochards. Cette chambre combinerait ainsi la représentation des collectivités locales, le tirage au sort et la représentation des associations dans tous les domaines – syndicales, de protection de l'environnement, de consommateurs, etc.

En ce qui concerne l'éducation, la démocratie s'apprend à l'école, mais l'enseignement que nous recevons demeure essentiellement autoritaire. Dans les écoles nouvelles, on enseigne dès la maternelle la démocratie comme fabrication collective d'une décision. Cela me paraît essentiel pour créer la solidarité, par l'attention portée à autrui, au groupe, et la conscience du fait qu'une norme, en démocratie, résulte de la synthèse des volontés particulières pour former la volonté générale. Tout cela s'apprend à partir de l'âge de deux ans. Les jeunes enfants peuvent voter le règlement de l'école et apprennent aussi à cette occasion la réception de la norme : le fait qu'après l'avoir élaborée tous ensemble, on s'y soumet parce qu'elle émane de la volonté générale.

Tocqueville nous enseigne que la démocratie implique le respect non seulement de l'égalité, mais aussi de la liberté, ce qui suppose – je rejoins ici Guillaume Tusseau – de ne pas confier l'expression démocratique uniquement à une chambre purement jacobine, mais de l'étendre à d'autres formes de pouvoir, en particulier les associations et les collectivités locales.

Assurément, monsieur Accoyer, les institutions ne sont pas responsables de tout, mais elles détiennent une grande part de responsabilité. Leur image est catastrophique. Certes, les Français ne les connaissent pas en détail mais ils en ont une perception bonapartiste : de leurs cours au lycée, mes enfants retenaient qu'il est normal que le Président dirige tout ! C'est très problématique, mais cela reflète en un sens la réalité. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de crise des institutions quand on observe de tels taux d'abstention et une telle déception des citoyens.

Faut-il changer de Constitution ? Ce critère est purement formel : on peut très bien modifier entièrement la Constitution tout en conservant l'étiquette de la Ve République ou, à l'inverse, créer une VIe République sans changer grand-chose. La question reste donc à débattre. Il me semble toutefois que, dans un système politique qui fonctionne si mal, où règne un tel mécontentement, où l'extrémisme se développe avec une telle violence, il pourrait être prudent de modifier la règle du jeu pour que les Français puissent davantage s'exprimer dans leur particularité, renouer le lien social à tous les niveaux, notamment au sein des associations et des collectivités, et développer la démocratie participative.

1 commentaire :

Le 14/10/2015 à 11:27, laïc a dit :

Avatar par défaut

"... notamment aux principes essentiels de la démocratie grecque qu'étaient l'isonomie et l'iségorie : l'égalité devant la loi, dans sa fabrication comme lors de sa réception – de son application –, et l'égalité dans l'expression, le droit égal à s'exprimer pour contribuer à l'élaboration de la loi, que l'on retrouve d'ailleurs dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen."

Il faut bien reconnaître que ces principes démocratiques essentiels ne sont pas du tout appliqués : la loi est confisquée par une ultra minorité, sortie de l'ENA ou de milieux très privés, et le citoyen lambda a le droit de ne strictement rien dire. Après, ce qui fatalement se passe, c'est que ces milieux très confidentiels qui font réellement la loi sont la cible des lobbies en tout genre, car ces lobbies sont organisés, structurés et motivés, contrairement aux citoyens, et en fin de compte la loi est l'expression des lobbies et non pas de la volonté populaire, animée par des principes éthiques incontestables, que sont le bien, le beau, la vertu, l'utilité au plus grand nombre, etc... L'argent et l'intérêt privé corrompent tout, y compris la fabrication de la loi.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion