Intervention de Manuel Valls

Réunion du 24 octobre 2012 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur :

J'ai déjà répondu sur les zones de sécurité prioritaires et sur la substitution entre personnels actifs et personnels administratifs, monsieur Pietrasanta. En ce qui concerne la police technique et scientifique, l'Institut national de police scientifique (INPS), que j'ai visité il y a quelques semaines, voit son budget augmenté d'un million d'euros. Les effectifs sont préservés, voire renforcés, avec 67 emplois de technicien.

S'agissant de la vidéoprotection, les investissements réalisés à Paris – c'est-à-dire les logiciels – seront réutilisables. Ils faciliteront le développement du transfert des images vers les services de police en banlieue. Le préfet de police mène une réflexion sur la police d'agglomération, qui est un succès mais doit être améliorée, notamment pour ce qui concerne la grande couronne, vers laquelle se reporte une partie de la délinquance. Le déploiement du « plan 1000 caméras » sera bien achevé avant la fin de l'année, monsieur Goujon. Le retard technique date de 2010, et non de cette année. Le programme avance maintenant de façon satisfaisante et sera donc mené à terme en temps et en heure, conformément à la volonté du maire de Paris.

Je m'adresse maintenant à MM. Larrivé et Ciotti. Je ne sais pas si ce budget est un budget de rupture, mais très honnêtement, ce n'est pas mon affaire. Face à la violence, seule compte la capacité de la société et des forces de l'ordre à y répondre. La manière dont l'opposition utilise ce débat sur la sécurité, et notamment les violences contre les personnes, ne correspond en rien à l'idée que je me fais de la responsabilité en matière d'action politique. Vous avez été au pouvoir pendant dix ans. Sous le gouvernement de Lionel Jospin, des changements importants avaient été conduits : après les assises de Villepinte, la sécurité était devenue la deuxième grande priorité, après l'emploi. C'est à cette époque que fut mise en place la police de proximité. Je sais ce que cela a coûté au pouvoir de l'époque lors des élections. Je vous mets donc en garde contre l'utilisation permanente de ce « fil rouge » à des fins politiques. Je ne permettrai pas un seul instant que l'on mette en cause l'action de l'État et du Gouvernement dans ce domaine. Ce serait trop facile de vous exonérer ainsi de vos responsabilités.

Vous avez raison, monsieur Larrivé, sur les chiffres de 120 emplois de policiers et gendarmes titulaires et de 360 adjoints de sécurité et gendarmes adjoints volontaires. Je souhaite que ces derniers passent leur concours, car ils sont un atout pour la police et la gendarmerie. Mais ayez l'honnêteté intellectuelle de tenir compte des 3 400 suppressions intervenues en 2012 et des 3 200 programmées pour 2013. Cela aurait fait 6 000 policiers et gendarmes de moins en deux ans – et vous auriez continué sur cette lancée. Je ne dis pas que renforcer les effectifs soit la seule réponse possible : il y a une chaîne pénale, que j'ai évoquée il y a quelques jours au congrès de l'Union syndicale des magistrats (USM) à Colmar, la mobilisation d'une société, le rapport à l'autorité… Mais nous n'arriverons à rien sans policiers et sans gendarmes. En 2002, vous nous aviez expliqué qu'il fallait plus d'effectifs. J'ai d'ailleurs voté, avec d'autres parlementaires socialistes, le titre I de la loi défendue par celui qui était alors ministre de l'Intérieur. Je vous appelle aujourd'hui à la même responsabilité. Lorsque je rencontre les élus sur le terrain, notamment pour préparer la création de zones de sécurité prioritaires, nous sommes d'accord sur l'essentiel : coproduction de la sécurité, importance de la prévention, rôle de la police municipale et de la vidéoprotection… J'ai été maire pendant douze ans : je sais de quoi je parle. Je ne vous laisserai donc aucun espace sur ce terrain de la sécurité, et je combattrai la mauvaise foi avec une grande détermination. Je suis un homme de dialogue. La sécurité n'est pas une affaire de gauche ou de droite. Nous pouvons nous retrouver sur les doctrines d'emploi, à condition d'accepter de sortir du débat politique national.

Voulez-vous que je rappelle les statistiques relatives aux violences sur dépositaires de l'autorité publique ? Que je rende le ministre ou la majorité de l'époque responsable de ces chiffres : 1 321 agressions contre des gendarmes en 2007, 1 008 en 2008, 1 346 en 2009, 1 408 en 2010 et 1 439 en 2011 ? En pleine campagne électorale, un policier, le brigadier-chef Papatico, a été percuté volontairement par un véhicule alors qu'il intervenait sur le cambriolage d'un magasin. L'hommage qui lui a été rendu a été l'une des cérémonies les plus poignantes vécues par mon prédécesseur et par mon futur collègue du Gouvernement, élu de Chambéry. L'un d'entre nous a-t-il osé affirmer à l'époque que la responsabilité de ce drame était imputable aux décisions prises en matière de sécurité ou de justice ? Je vous mets en garde, monsieur Ciotti : ne nous dites pas que c'est la circulaire de Mme Taubira qui explique la montée des violences, parce que les délinquants qui agressent les policiers et les gendarmes auraient le sentiment qu'ils peuvent le faire ! Ne pensez-vous pas que ces violences s'expliquent plutôt par l'état de la société, par sa dureté, par la pauvreté, par l'absence d'autorité ? Vous avez été au pouvoir pendant dix ans : je pourrais vous dire que ces agressions sont aussi de votre responsabilité ! Mais je refuse que le débat sur ces questions tourne à la caricature. Chacun sait qu'il y a une surpopulation carcérale, que la prison est souvent l'école de la récidive, que la sanction n'est pas adaptée, qu'il y a des peines qui ne sont pas appliquées, que la justice est mise en cause et qu'elle n'a pas assez de moyens. Ayons un débat sérieux sur les causes de cette violence. Il est normal que nous ne proposions pas les mêmes solutions : le débat est l'essence de la démocratie. Vous savez bien à quel type de violences et de transgressions de la norme et de l'autorité nous faisons face quand des individus armés vont jusqu'à entrer avec un véhicule dans la cour d'un lycée de Marseille – mais ce pourrait être ailleurs – pour s'en prendre à un élève… J'aspire donc à un débat plus serein.

Nous avons des réponses à proposer : des moyens humains supplémentaires, le chantier que nous avons engagé sur la formation, le travail avec les collectivités territoriales, auquel M. Popelin a fait allusion. L'un d'entre vous a évoqué avec raison les conditions de vie des gendarmes et des policiers. Si le tiers des commissariats ou des gendarmeries sont dans un état indigne, c'est que tout n'a pas été fait par le passé. C'est donc un effort national qu'il faut.

Je suis attentif à la protection des policiers. J'attends donc avec intérêt votre proposition de loi, monsieur Larrivé. Mais il nous faut en tout cas discuter de la mise en oeuvre du rapport Guyomar, qui comporte 27 propositions : la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, dans le respect de leurs spécificités propres, nous tient à coeur. Pas plus que les auteurs de ce rapport, je ne suis favorable à l'idée d'une présomption de légitime défense qui a été avancée par un syndicat. Mon prédécesseur l'avait qualifiée de « permis de tuer », mais le candidat Sarkozy était revenu sur cette appréciation. J'ai, quant à moi, une autre idée du travail de la police, mais je veux protéger les policiers sur le plan administratif et technique, et leur permettre de faire face à cette violence. J'en ai d'ailleurs assez qu'une certaine presse et une certaine mouvance associative considèrent le policier ou le gendarme comme un délinquant, comme quelqu'un qui n'applique pas la loi ou n'aurait pour objectif que de s'en prendre à des jeunes. Certes, il peut y avoir des dérives. Elles doivent être sanctionnées, et elles le sont, car la hiérarchie y veille – et je prends moi aussi mes responsabilités. Mais je veux redire à votre Commission combien le travail des policiers et des gendarmes est difficile.

Les deux décrets de 2009 que vous avez évoqués seront modifiés, monsieur Larrivé. Ils comportaient une disposition inacceptable à l'article 3 : la mention de l'origine géographique parmi les données sensibles autorisait la constitution de fichiers ethniques. Ce point sera corrigé, afin de maintenir ces deux fichiers dans un cadre strictement républicain. Nous sommes cohérents.

Une convention sur l'immobilier de la police et de la gendarmerie sera signée en 2013 avec le conseil régional d'Île-de-France, monsieur Popelin. La précédente, qui a expiré en 2011, n'avait pas été renouvelée par le précédent gouvernement. Je sais que nous pouvons travailler sur ce sujet avec vous-même comme avec M. Pietrasanta et M. Goujon.

Vous ne pouvez parler de stagnation des mesures catégorielles, monsieur Goujon : nous avons prévu 29 millions d'euros de plus pour les policiers et 31 millions pour les gendarmes. Les engagements pris par le précédent gouvernement n'étaient pas financés, ils le seront. En l'occurrence, il n'y a pas de rupture. Je mesure le problème auquel vous étiez confrontés, sur lequel mon prédécesseur m'avait d'ailleurs alerté : une diminution du nombre de postes conjuguée à une augmentation de la masse salariale. C'est le choix qui avait été fait en 2007, contradictoire, il est vrai, avec celui de 2012 – c'était pourtant le même homme. Je maintiens cependant ces mesures catégorielles, car je crois à la continuité de l'État et à sa parole.

S'agissant du réseau ANTARES, madame Nieson, la nouvelle tranche de travaux de 18 millions d'euros prévue entre 2013 et 2015 vient bien en surcroît des 4 millions qui y ont été consacrés en 2012 dans 45 départements, pour résorber les « zones blanches ».

Enfin, je vous indique que le nombre des gardes à vue a baissé de 14 % entre avril et décembre 2011, l'objectif de la loi étant de le réduire de 20 % sur un an.

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