Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 16h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, il est rare, en effet, qu’un texte brasse des matières aussi différentes. Le fait n’est pas courant, mais il n’est pas inédit. Ce texte gouvernemental, par les ambitions qu’il affiche et la pluralité de ces sujets, a conduit le Parlement à mener un travail transversal, sur des cultures et des pratiques professionnelles, dans des champs économiques et sociaux divers, avec un souci de cohérence et d’efficacité. Je veux, à mon tour, saluer le travail de très grande qualité qui a été fourni par le président de la commission spéciale François Brottes, par le rapporteur général Richard Ferrand, par les rapporteurs thématiques également – Gilles Savary, Laurent Grandguillaume, Clotilde Valter, Christophe Castaner, ainsi que Stéphane Travert.

Je voudrais m’arrêter un instant sur les rapporteurs qui se sont très fortement impliqués sur le sujet des juridictions et celui des professions qui relèvent de mon autorité – je parle de Cécile Untermaier pour les professions réglementées, de Denys Robiliard pour la justice prud’homale – dont la tutelle est partagée par le ministère du travail et celui de la justice – et d’Alain Tourret pour la justice commerciale. Je veux aussi souligner le travail de très, très grande qualité et les contributions remarquables de députés comme Jean-Yves Le Bouillonnec, Colette Capdevielle, Karine Berger, Jean-Michel Clément. Le travail qu’ils ont fait, avec Marc Dolez, Arnaud Leroy et Audrey Linkenheld, a contribué à nous éclairer sur la question de l’accès au droit et de ses enjeux et à nous permettre de cerner les thématiques et les problématiques concernées.

Évidemment, le Gouvernement est parfaitement légitime pour s’interroger sur le fonctionnement des professions qui sont appelées à exercer par délégation de la puissance publique des missions de service public. De même, il est fondé à s’interroger sur la part que ces professions prennent dans la vitalité économique et sur le rôle plus grand qu’elles pourraient jouer dans la dynamisation de l’économie.

En l’occurrence, cette légitimité se fonde sur trois piliers. Le premier tient à la nécessité de s’interroger sur la pertinence d’organisations et de dispositions dont certaines sont vieilles. Il en est qui remontent aux années qui ont suivi la Révolution française. Je pense notamment, bien entendu, à la loi du 25 ventôse an XI – c’était le 16 mars 1803. Je pense également à des dispositions qui remontent à la période délicate de la Seconde guerre mondiale et de la collaboration, mais également à d’autres qui relèvent d’ordonnances prises à la suite de la Libération. On peut aussi s’interroger sur des lois plus récentes : les lois de 1991, de 2000 ou de 2009. Les principes qui ont inspiré ces organisations, les principes dont procèdent ces dispositions correspondent-ils aujourd’hui encore à la manière dont nous concevons le service public et son esprit ?

Les dates ne permettent pas à elles seules, d’emblée, de décréter l’obsolescence. Si c’était le cas, nous jetterions en même temps l’esprit du Conseil national de la Résistance, nous jetterions aussi la Sécurité sociale, puisqu’elle date de 1945, nous jetterions aussi les comités d’entreprise, qui datent de février 1945. Néanmoins, leur longévité ne nous interdit pas de nous interroger sur les dispositions régissant ces professions et de les moderniser, précisément, au titre des mutations de la société, notamment celles liées aux technologies numériques mais aussi les évolutions qualitatives de la demande d’accès au droit, de les moderniser, aussi, pour tenir compte des réalités sociologiques et territoriales.

Cependant, lorsque nous interrogeons ces professions, il est bon de savoir dans quel contexte elles évoluent. Ainsi notre appartenance à l’Union européenne est-elle la deuxième raison qui nous conduit à les examiner et à procéder cette nécessaire modernisation. Cette appartenance à l’Union européenne nous conduit évidemment à interroger la plasticité de ces professions, leur modernité, leur capacité concurrentielle, elle nous conduit également à nous interroger sur les règles d’échange et de service, à nous interroger aussi, d’ailleurs, sur le magistère que nous exerçons et sur l’amélioration de notre influence juridique, mais, nous l’avons déjà dit, et les parlementaires ont exercé leur vigilance, cela ne peut se faire au détriment du droit continental, ce droit codifié, prévisible, le même pour tous, cela ne peut se faire non plus au préjudice des justiciables et des citoyens.

La troisième raison pour laquelle il est fondé de nous interroger sur la modernisation de ces professions, c’est l’histoire, l’histoire même du droit et de sa force, de sa puissance unificatrice dans la démocratie française. Dans un cours au Collège de France, Pierre Bourdieu analyse ce qu’il appelle le processus d’unification du marché juridique.

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