Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 16h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale :

Au fond, que voulons-nous ? Nous ne voulons ni le collectivisme, ni le libéralisme, mais ce que j’appellerais une « créativité raisonnée ». Qu’est-ce donc que la créativité raisonnée ? C’est la possibilité de mettre l’action de l’État au service de la liberté d’entreprendre. Il faut entreprendre pour créer ; il faut entreprendre pour investir. C’est alors seulement que la richesse se crée et qu’elle peut être répartie.

La créativité, au fond, est le maître mot. Or, comment peut-on favoriser et retrouver la créativité, monsieur le ministre ?

Dans son discours, le Président de la République a dit que tout devait être orienté vers la jeunesse. Selon moi, la notion de jeunesse est intimement liée à celle de créativité. Les start-ups, les auto-entreprises, toutes me donnent le sentiment de la confiance qui doit être faite à notre jeunesse pour investir dans l’économie.

Il se trouve que j’ai récemment participé à un voyage en Israël. J’ai été très surpris d’y constater que le taux de chômage n’est que de 4 %, dans un petit pays qui vient d’accueillir plus d’un million d’immigrés venant de Russie. Avec des responsables économiques locaux, j’ai examiné le nombre de start-ups créées et leur part dans l’économie. Sachez simplement ceci : Israël crée chaque année autant de start-ups que toute l’Europe réunie. Il s’y manifeste une volonté absolue de faire confiance à la créativité. Or, lorsque vous faites confiance à la créativité, vous créez des emplois et diminuez le taux de chômage.

C’est un peu ce que nous voulons, et c’est pour cela que nous souhaitons que ce projet de loi soit un modèle.

Ce texte est multiple et divers, il comporte de nombreux chapitres. Pourtant, tous ces chapitres sont complémentaires les uns des autres. Certes, le texte n’obéit pas à un plan en deux parties elles-mêmes divisées en deux sous-parties, comme à Sciences-Po. Il correspond bien davantage à la matière universitaire où l’on raisonne chapitre par chapitre, la vérité n’émergeant qu’à la fin.

Tout cela permet d’avoir une bien plus grande liberté en matière de complémentarité et de coproduction législative, surtout lorsqu’il s’agit de se présenter devant la commission spéciale. Pourquoi avons-nous finalement pu enrichir le texte à ce point ? Je rappelle que plus de 400 amendements ont été adoptés, ce qui est unique dans l’histoire de la République – unique, je le répète. Pourquoi donc ?

Parce que le plan proposé dans ce texte est une addition de paragraphes, et non une suite de syllogismes juridiques telle que l’on peut en lire dans un devoir de droit. Dès lors que le texte était abordé chapitre par chapitre, il a pu être fait confiance à la créativité des députés.

Cette coproduction législative m’apparaît comme quelque chose de complètement nouveau. On reproche souvent aux députés de ne pas s’écouter entre eux. Je puis le dire : jamais la majorité n’a été autant écoutée – ce sont bien les premiers qu’il faut entendre – et il en va de même pour l’opposition, laquelle doit également être entendue. De ce point de vue, monsieur le ministre, je voudrais vous féliciter pour votre capacité, sur chaque article, à écouter, à intervenir, à ne jamais aller trop vite et à traiter les dossiers les uns après les autres – le président Brottes y ayant pris toute sa part. Voilà quelque chose de nouveau, un signal que vous avez donné et qui nous permettra peut-être, à l’avenir, de continuer de travailler ainsi.

C’est de cette manière que je me suis efforcé, avec Georges Fenech, de travailler à la commission des lois. Nous avons ainsi abouti à des dispositions adoptées à l’unanimité – sur les sujets les plus consensuels, certes, mais il m’a semblé très utile que la capacité d’écoute aboutisse à une forme d’unanimité.

Sans aller trop loin, il me semble que sur de nombreux chapitres, vous avez, avec l’appui des rapporteurs, fait bouger les choses. Vous les avez notamment fait bouger pour ce qui concerne les participations de l’État – de ce point de vue, je félicite mon amie Clotilde Valter pour la manière dont elle a présenté un sujet pourtant bien difficile.

Qu’il s’agisse des transports, de la prud’homie ou encore des professions dites réglementées, ce sont in fine tous les pans de l’économie qui, l’un après l’autre, ont été revus et analysés.

On nous dira certes que c’est insuffisant. Vous avez eu la bonne réponse, monsieur le ministre : il ne suffirait pas de remettre en cause les 35 heures ou la retraite ; il faut d’abord réinvestir et relancer l’économie. C’est parfaitement possible dans les mois qui viennent, car l’Europe vient de prendre conscience – les nouvelles parvenues hier de Grèce le démontrent à l’évidence – que l’on ne saurait se contenter d’une récession, et que l’inflation lui serait encore préférable. Or, toute l’activité que déploie l’Union européenne depuis des décennies consiste à lutter contre l’inflation en nous persuadant qu’elle est la source de nos troubles, alors que l’inflation peut susciter la relance – contrairement à la récession.

Tel est le message qu’il faut faire passer, et celui auquel je crois. À cet égard, j’ai été très intéressé par la contribution qu’ont fournie plus de trente intellectuels, économistes et entrepreneurs, dont les plus célèbres d’entre eux, qui, derrière Philippe Aghion, disent ceci : « il faut voter la loi Macron ».

Écoutons-les : ils nous disent tout d’abord qu’il faut réconcilier la justice sociale et l’efficacité économique, car il ne saurait y avoir de progrès économique sans répartition des richesses. Or, nous disent-ils, ces réformes ont été repoussées depuis des décennies, car « les corporatismes se prétendent défenseurs de l’intérêt général, alors qu’ils ne sont animés que par la volonté de préserver les rentes ». On ne saurait mieux dire. Dans chaque situation, il existe un chien dans sa niche qui empêche de progresser. Dans ces conditions, il est très difficile de se heurter aux avantages acquis. C’est le rôle de ce projet de loi : s’opposer à tous les corporatismes.

Il faut dans le même temps défendre notre modèle de société. Le défendre, ce n’est pas le figer ; c’est le moderniser, le rendre plus efficace et plus juste. Il faudra ainsi démontrer à la France et aux Français, à l’Europe et aux Européens, que notre vieux pays est capable de se mettre en mouvement.

Rien n’est plus pareil depuis le 7 janvier. La France entière s’est mobilisée et s’est retrouvée, quelles que soient les opinions politiques des uns et des autres. Au fond, j’ai le sentiment que nous abordons la vie politique française d’un oeil nouveau, celui qui a vu 4 millions de Français de toutes opinions marcher ensemble dans la rue. C’est celui qui a vu à deux reprises l’opposition et la majorité se lever pour applaudir de concert le discours extraordinaire de notre Premier ministre. Ce discours avait pour socle la fraternité, la laïcité, la nécessité de retisser le lien social qui nous manque tant et dont l’absence se traduit – le Premier ministre a eu raison de le dire – par des apartheids. Telle est la réalité ! Telle est la force du discours que le Premier ministre nous a présenté à raison !

Le Président de la République a montré le chemin ; le Premier ministre a renforcé la démarche. Avec cette loi, nous irons plus loin. J’ai le sentiment que nous avons l’occasion exceptionnelle d’aboutir car la relance économique à tous les niveaux en Europe et la baisse des taux d’intérêt nous offrent une incontestable chance de relance économique dans les mois qui viennent.

Nous allons passer des heures difficiles, monsieur le ministre, car la première phase du débat en commission s’est déroulée au sein d’un club sympathique.

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