Intervention de Gérard Cherpion

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 21h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Cherpion :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, chers collègues, après une semaine de débats en commission, nous poursuivons aujourd’hui l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui porte, monsieur le ministre, votre nom.

J’ai été particulièrement étonné lorsque le Premier ministre, lors de l’un de ses discours de voeux, a expliqué que le Parlement avait bénéficié de beaucoup de temps pour débattre de ce projet de loi. Nous n’avons en effet disposé que de quelques semaines pour mener des auditions et en préparer l’examen.

Là où je le rejoins, en revanche, c’est lorsqu’il salue le travail de qualité de notre commission spéciale et des services de l’Assemblée. Grâce à ce travail, le texte a été amélioré, et même s’il n’est toujours pas satisfaisant, cela a permis d’avancer sur certains points et de le rééquilibrer un peu.

Il est cependant regrettable que le Gouvernement, après avoir accepté certaines avancées en commission, revienne sur son engagement par voie d’amendement en séance. Je pense notamment à l’article 20 concernant les professions d’huissier, de mandataire judiciaire et de commissaire-priseur, et à la fausse bonne idée d’une profession unique.

Un texte de cent six articles, qui en compte plus de deux cents après son passage en commission, aurait mérité un temps de discussion bien plus long. Les cinquante heures prévues – en temps programmé – pour la discussion en séance me semblent en effet bien peu au regard des quatre-vingt-quatre heures qu’a réclamées l’examen en commission.

La discussion a lieu dans une telle urgence que nous n’avons même pas pu obtenir l’avis de France Stratégie. Vous aviez en effet, monsieur le ministre, demandé à France Stratégie de mettre en place une commission indépendante d’experts pour étudier votre projet de loi. Votre initiative était louable, mais avouez que le calendrier est ubuesque.

Nous avons débattu de ce projet de loi en commission spéciale sans l’avis de ces experts, et nous commençons son examen en séance publique en ne disposant que de résultats partiels de leurs travaux.

Nous ne pouvons donc pas nous fonder sur leur avis, ce qui est bien regrettable.

Je tiens toutefois à saluer, monsieur le ministre, votre présence continue en commission spéciale. Vous avez fait preuve d’écoute à l’égard des députés et répondu à toutes nos questions.

Cela ne lève toutefois en rien notre opposition –constructive – à votre texte, même si nous avons soutenu quelques-unes de vos propositions en commission.

Il y a parfois un profond décalage entre les paroles et les actes. Ainsi, alors que le Gouvernement nous parle sans cesse de dialogue social, celui-ci n’est pas la marque de ce projet de loi.

En effet, tous les partenaires sociaux, qu’ils représentent les salariés ou le patronat, nous ont exprimé leur déception de n’avoir pas été associés à la rédaction de ce texte. L’article L.1 du code du travail, issu de la loi Larcher, oblige pourtant le Gouvernement à consulter les partenaires sociaux pour tout texte concernant le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Les auditions des partenaires sociaux auxquelles j’ai procédé ont montré que le code du travail n’avait pas été respecté sur ce point.

Malgré les avancées obtenues en commission spéciale, le groupe UMP reste opposé à la partie du projet de loi relative au travail du dimanche. Car, disons-le, passer à douze dimanches ouverts, c’est-à-dire à un dimanche par mois, sous-tend, de la part du Gouvernement, une volonté de généralisation.

Permettez-moi, en premier lieu, de m’inscrire en faux contre un argument souvent entendu : ce n’est pas en ouvrant les commerces le dimanche que vous redonnerez du pouvoir d’achat aux Françaises et aux Français. L’argent dépensé le dimanche est en effet de l’argent qui ne le sera pas un autre jour de la semaine.

Ce n’est qu’en luttant contre le fléau du chômage, en relançant l’activité, et en mettant un terme à la flambée des prélèvements sociaux opérés sur les entreprises et sur nos concitoyens que nous pourrons leur redonner du pouvoir d’achat. Sur ce point, le projet de loi reste muet.

La législation actuelle sur le travail du dimanche était parvenue à un équilibre entre petit et grand commerce. Selon de récentes études, tout dimanche ouvert fait perdre jusqu’à 25 % de chiffre d’affaires au petit commerce. Deux cent mille emplois seront ainsi détruits dans le commerce de détail, sans que la grande distribution en recrée pour autant un nombre équivalent.

En outre, l’ouverture des magasins le dimanche conduit parfois à une perte de recettes. Un grand groupe de magasins de bricolage a récemment révélé qu’il dressait un bilan négatif de son ouverture le dimanche. En effet, le client qui vient le dimanche acheter du matériel, par exemple une boîte à outils, ne reviendra pas au cours de la semaine.

Il s’opère ainsi un transfert de clientèle de la semaine vers le dimanche, sans que les ventes se développent pour autant : le chiffre d’affaires stagne, voire diminue. Dans le même temps, les charges augmentent, car les salariés sont rémunérés pour une journée de travail supplémentaire, avec des contreparties justifiées liées à la compensation du repos dominical.

Chiffre d’affaires équivalent et charges en hausse reviennent à une perte pour l’entreprise. C’est la raison pour laquelle nous sommes loin d’être persuadés qu’une ouverture le dimanche créera de la croissance et de l’activité. Bien au contraire, cela reviendra à détruire des emplois, ce qui, vous en conviendrez, est contraire à l’esprit de votre texte.

Par ailleurs, en plus d’accentuer la concurrence entre petit et grand commerce, l’ouverture généralisée contribuera au transfert de consommateurs du centre ville vers la périphérie, créant d’autres problèmes liés à la circulation et à l’organisation des transports en commun.

Le travail de la commission spéciale a pourtant permis d’avancer sur cette question. Cependant, en ce qui concerne les zones touristiques internationales, vous répondez un problème purement parisien, en déstabilisant dans le même temps les zones touristiques existantes et le commerce de proximité sur l’ensemble du territoire.

Enfin, on ne peut tirer argument de la concurrence d’internet en matière d’ouverture dominicale. On peut en effet faire ses courses sur internet à toute heure du jour et de la nuit, sept jours sur sept. C’est le cas le soir quand on rentre du travail et que les commerces sont fermés. Je ne pense pourtant pas que vous ayez l’intention d’autoriser les commerces de proximité à ouvrir plus tardivement le soir.

J’en viens à la réforme des conseils de prud’hommes. C’est la troisième fois en une année – et dans trois textes différents – que nous abordons ce sujet. Un premier projet a été retiré ; un deuxième prévoyait la mise en place d’un système dérogatoire, en recourant qui plus est à une ordonnance. Voici le troisième.

Tout cela dénote un manque de vision du Gouvernement sur ce sujet. L’article fleuve qui y est consacré dans ce projet de loi aborde des sujets extrêmement divers, comme la déontologie, la formation, la procédure et le volet disciplinaire.

L’intégration de l’organisation des conseils de prud’hommes dans le projet de loi pour la croissance et l’activité pourrait donner à penser que la justice prud’homale participe à la croissance et l’activité. Nous ne partageons pas cette vision. Par ailleurs, il n’y a pas eu de concertation approfondie avec les partenaires sociaux sur ce sujet.

Tout ceci nous amène à dire que la réforme de la justice prud’homale devrait faire l’objet d’un projet de loi distinct, présenté par le ministre du travail, et non de quelques dispositions figurant à la fin d’un texte de deux cent huit articles.

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