Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Respect du choix de fin de vie pour les patients — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, chers collègues, reconnaissons qu’en choisissant de vous soumettre une proposition de loi qui vise à garantir aux patients le droit de choisir leur fin de vie, le droit de définir pour eux-mêmes ce qu’est leur dignité, le groupe écologiste n’a pas choisi la facilité. Et ce d’autant que la proposition qui nous est soumise aujourd’hui n’a rien d’une proposition d’affichage : elle est le fruit d’un travail opiniâtre et considérable d’auditions, de confrontations de points de vue, de réflexions, mené par notre rapporteure Véronique Massonneau, à qui je souhaite rendre ici un hommage qui va bien au-delà d’une simple solidarité partisane.

Le sujet n’est pas simple, mais la question est essentielle. Elle est essentielle au sens premier du terme, parce qu’elle concerne ou concernera chacune et chacun d’entre nous, et parce qu’elle touche à notre conception de la nature humaine. Mais elle est également essentielle car la législation actuelle ne répond pas à de nombreuses situations. Ainsi, il est insupportable que des questions aussi intimes doivent, faute de réponse législative claire, être traitées dans le désarroi des malades, de leurs proches et des équipes soignantes, ou, pis, trouver leur solution devant les tribunaux ou être jetées en pâture à tous les voyeurismes.

Oui, sur cette question, il faut agir, et la proposition écologiste de ce jour propose, pour agir, un principe simple et clair : celui du respect de la liberté du choix de chacun.

En préparant cette intervention, j’ai beaucoup discuté, échangé et lu les différents points de vue exprimés. Trois réflexions me semblent revenir sur ce sujet. Les objections qu’elles soulèvent méritent que l’on s’y arrête, car leur traitement témoigne bien souvent de faux-sens, qui rendent la discussion difficile.

La première de ces objections pourrait se résumer en une question : « Est-ce que notre vie nous appartient ? Pouvons-nous disposer de nous-mêmes, de notre corps, au point de décider d’abréger cette vie lorsque la souffrance est insupportable, lorsque la conception que nous avons de notre propre dignité est atteinte, alors même que l’issue fatale ne fait pas de doute ? ». Il s’agit là d’un questionnement éminemment intime, d’ordre philosophique pour ne pas dire métaphysique. Au risque de surprendre, je considère qu’il n’appartient pas à l’Assemblée nationale de le trancher, mais que c’est à chacun de le faire, dans l’intimité de sa conscience.

En examinant la proposition de loi de Véronique Massonneau et du groupe écologiste, ce n’est pas à cette question que vous êtes appelés à répondre, mes chers collègues. Non, c’est à une autre question, une question qui tient en ces termes : est-il légitime que des citoyens pensent que leur vie leur appartient et agissent en conséquence ? En ont-ils le droit ?

À cette question, la République a déjà répondu, au moins deux fois. Elle y a répondu dans un de ses principes fondamentaux, dont le rappel est si essentiel – nous l’avons vu ces derniers jours : notre République est laïque. Cela signifie qu’il ne lui appartient pas de définir ou d’entretenir quelque croyance officielle que ce soit. La République ne décide pas, elle n’a pas à décider si notre vie nous appartient. Mais elle garantit à chacun la capacité à répondre, pour lui-même, à cette question. Et elle doit, par conséquent, garantir à celles et ceux qui pensent ainsi, qui entendent demeurer maîtres de leur vie, jusqu’au bout, que leur choix soit respecté et garanti.

Oui, la laïcité est une première réponse. Elle doit nous conduire à balayer l’objection selon laquelle notre décision de législateur serait soumise à une loi supérieure à la loi des hommes. Cette loi-là, qui est souvent foi, est éminemment respectable. C’est en la faisant vivre là où elle doit, c’est-à-dire dans la conscience et dans l’existence intime de chacun que la République la respecte, non en s’y soumettant.

S’agissant du droit de chacun à disposer de sa vie, notre droit a répondu une seconde fois en dépénalisant le suicide, d’une part, et la tentative de suicide, d’autre part. J’entends les objections : une liberté n’est pas un droit, et les campagnes de prévention du suicide prouvent que la puissance publique entend enrayer la progression de ce phénomène.

C’est juste, mais telle n’est pas la question car le suicide assisté, que propose le texte que nous examinons aujourd’hui, ne consiste pas à faire la promotion du suicide en général. Elle est posée dans un cadre précis. Ceux et celles qui nous demandent de légiférer n’hésitent pas entre vivre ou mourir. Ils et elles savent que la mort est là, proche. Ils et elles cherchent, pour eux-mêmes, à répondre à la question du comment mourir.

Dès lors, répondre à leur demande ne revient pas à instaurer un droit au suicide universel, qui serait garanti par une assistance à la personne en fonction de sa seule volonté, dont on perçoit bien qu’elle pourrait résulter d’un jugement altéré par une dépression passagère. Pour les patients dont nous parlons, la mort proche n’est pas une hypothèse ou une option, c’est une certitude. Et c’est la capacité à choisir la manière dont ils mourront, à déterminer le moment de leur mort que cette proposition entend garantir à ces patients.

La deuxième objection qui s’élève dans ce débat a trait à la déontologie médicale. Une partie du corps médical, d’ailleurs très représentée et très active parmi les membres de cette assemblée, considère que l’assistance au suicide ou l’aide active à mourir – l’euthanasie – ne relèvent pas de la mission d’un médecin et même, pour certains, y contreviennent.

Cette objection mérite d’être examinée et entendue, parce qu’aucune évolution de la réalité de la fin de vie ne sera possible sans la participation active et convaincue du personnel soignant. Le médecin est-il au service de la médecine ou au service du patient ?

Là encore, chers collègues, tournons-nous vers notre droit. D’abord, pour rappeler que la loi Kouchner de 1992, la loi Leonetti de 2005, le projet issu de la mission Claeys- Leonetti de 2014 mettent tous le malade au centre des décisions qui le concernent. Un patient ne peut plus être soumis à un traitement dont il ne voudrait pas. Il doit rester maître des décisions le concernant. L’instauration des directives anticipées, la désignation d’une personne de confiance ont ainsi pour but de garantir ce droit, au-delà même de l’état de conscience du patient.

Cette proposition de loi renforce ces dispositifs, les précise, et vise à les rendre plus facilement accessibles, compréhensibles aux patients, faisant des directives arrêtées, modifiables à tout moment, le cadre opposable à tout acte médical.

Cette place du patient, ce rôle du médecin, précisés par la loi, permettent-ils pour autant de prévoir et d’autoriser l’intervention du personnel soignant dans un acte qui n’est pas curatif ? Voilà encore une question légitime, qui a en partie trouvé une réponse juridique avec l’instauration, en 1974, d’un cadre législatif sur l’interruption volontaire de grossesse que notre assemblée a érigée, il y a quelques mois, en droit des femmes.

Lorsqu’ils ont eu à se pencher sur ce sujet, nos prédécesseurs ont tenu compte de ce dilemme déontologique qui se pose aux médecins. Ils ont reconnu le droit des praticiens à considérer, en conscience, que les seuls actes qu’ils étaient autorisés à réaliser sont des actes curatifs.

Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui garantit le droit individuel des médecins à l’objection de conscience, tout en les contraignant à désigner au patient qui demanderait une euthanasie ou un suicide assisté un autre praticien ayant fait un choix inverse. C’est là une proposition équilibrée, qui tient compte, sans y répondre à leur place, des objections déontologiques de chaque médecin.

Que ceux qui considèrent que le médecin n’a ni à provoquer la mort à la demande du patient dont la fin de vie est proche, ni à entamer une sédation profonde à visée ultime parce que cela disconvient à leurs convictions, à leur vision de leur mission de médecin, que ceux-là réfléchissent bien : la proposition de Véronique Massonneau est la seule à leur garantir cette objection de conscience. Parce que le corollaire de la liberté de choix du patient, c’est la liberté de conscience du médecin.

Un dernier mot, mes chers collègues, sur les risques de dérives, un mot fourre-tout, qui signifie tout et rien, et qui permet d’entretenir les fantasmes ou les peurs. L’observation des exemples étrangers devrait nous permettre de mesurer les avantages et les limites des législations que d’autres parlementaires que nous, qui ne sont pas moins responsables ou moins respectueux de la vie humaine que nous, ont adoptées. Nulle part, la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté n’a eu pour conséquence de freiner le développement des soins palliatifs. Bien au contraire.

Parce que le développement des soins palliatifs est la seule garantie pour que le choix de ne pas y recourir ne soit pas entaché de suspicion. C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi débute par la nécessité d’un accès aux soins palliatifs universel, garanti et identique sur tous points du territoire. La meilleure garantie face aux dérives, c’est le choix éclairé et libre du patient et un cadre légal clair, avec des contrôles et des évaluations.

Je veux remercier ici Véronique Massonneau du travail considérable qu’elle a accompli. Je veux lui dire ma fierté, en tant que coprésidente du groupe écologiste, de voir un texte aussi complet et sérieux soumis à nos débats. Mais je veux dire aussi, par avance, la déception, pour ne pas dire le dépit, de voir si peu d’amendements déposés, de constater la volonté de ne pas débattre au fond et de privilégier, sur un sujet pareil, des postures politiques.

La proposition de loi que nous examinons, que nous devrions examiner aujourd’hui est solide, complète et équilibrée. Surtout, elle ne prétend pas répondre à des questions dont, je l’ai dit, les réponses ne relèvent pas du législateur. Elle est à la fois beaucoup plus humble, mais aussi beaucoup plus ambitieuse : son adoption permettrait à chacun, patient comme soignant, l’exercice de tous les choix.

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