Intervention de Michel Liebgott

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Respect du choix de fin de vie pour les patients — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Liebgott :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues : « intime », « grave », « complexe »… Au fil de nos échanges, ces mots ont résonné dans tout l’hémicycle. Vous l’avez tous exprimé : la fin de vie est une question existentielle, pour soi, pour ses proches, pour les soignants et pour la société. Merci à vous, madame Massonneau, d’avoir, avec vos convictions, mais aussi avec votre coeur, relancé ce débat, si fondamental pour nous tous. Merci à tous les autres orateurs d’avoir exprimé les nuances qui sont les leurs. Merci, aussi, à ceux qui ont évoqué les exemples étrangers, qui nous permettent aussi de rappeler non seulement que, dans notre pays, nous sommes très correctement soignés jusqu’à la fin, mais aussi que les législations étrangères sont extrêmement diverses, que l’humanisme traverse nos frontières, mais qu’il n’y a pas de solution miracle, dans aucun pays.

La fin de vie met en question « autant la conscience de notre finitude que l’existence de l’autre », a dit notre collègue Jean Leonetti. De prime abord, la question de la fin de vie digne déstabilise nos certitudes, perturbe l’ordonnancement de nos valeurs, entre le devoir de soigner et le droit de mourir dans la dignité, avec humanité. Elle doit être in fine considérée sur le plan de la loi, à l’aune des valeurs républicaines que sont la liberté, l’égalité, la solidarité et la fraternité, à l’égard des mourants. Cela renvoie à notre capacité à vivre ensemble, hautement symbolique en ces temps troublés.

Au seuil de la mort, il s’agit de respecter intimement les derniers voeux des mourants. Or ces voeux sont divers, contradictoires souvent, tranchés parfois, secrets et fragiles surtout. Les exemples sont légion de malades incurables, dont le corps est comme enfermé dans un sarcophage mais dont l’âme papillonne, et qui s’accrochent à la vie jusqu’au dernier souffle.

Et puis il y a les personnes déprimées, déterminées à en finir, et celles qui, à l’instant décisif, renoncent à franchir le Styx ; celles qui, plongées dans un état de dégénérescence physique et psychologique, mettront à bas tous les interdits et demanderont à faire plus vite l’ultime voyage. Et puis il y a tous ces signes, toutes ces réactions inattendues de l’autre, notre alter ego, agonisant, gisant, que nous déchiffrons avec difficulté : la demande illusoire de traitement, la colère, la demande de mort anticipée, le regard suppliant et déchirant ; et pour finir, ce silence insondable et notre angoisse lancinante…

Le débat peut être passionné, source de tiraillements émotionnels, philosophiques, spirituels, la loi n’en sera pas moins votée en raison, avec discernement, dans le respect des principes démocratiques et des valeurs universelles, humanistes que nous portons. L’examen de cette proposition de loi du groupe écologiste, le débat de la semaine dernière, le rapport du professeur Sicard, celui du Comité consultatif national d’éthique, et le débat citoyen, en sont la preuve. Permettez-moi de rappeler succinctement les grandes dates qui jalonnent deux ans de réflexion et de débat, deux ans d’un cheminement collectif et national. Pour certains, ce temps paraît trop long, mais c’est objectivement peu au regard des vingt années de maturation législative des Suisses et des douze années de débat chez nos voisins belges.

En décembre 2012, la commission Sicard remet un rapport soulignant l’insuffisance de la prise en charge palliative des malades en fin de vie, et la méconnaissance de la loi Leonetti de 2005 par près de 53 % des médecins. Elle préconise la possibilité d’administrer une sédation terminale, sans modification législative.

En février 2013, le Conseil national de l’ordre des médecins déclarait que 54 % des médecins sont favorables à une sédation terminale pour les patients pris en charge en soins palliatifs, sur décision d’un collège, dans des cas non pris en compte par la loi de 2005. Il confirme le diagnostic du professeur Sicard ; il préconise en outre de renforcer les directives anticipées et d’élargir leur diffusion.

En juin 2013, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé conforte les avis précédents et se prononce pour une sédation profonde jusqu’au décès, si la personne en fait la demande, et lorsque les traitements ont été interrompus à sa demande. Il rappelle la nécessité de lutter contre l’isolement et le dénuement des personnes malades, des personnes handicapées et des personnes âgées, et de mieux les accompagner.

Enfin, en décembre 2013, la conférence citoyenne sur la fin de vie se prononce pour une législation du suicide assisté sous certaines conditions, et pour une exception d’euthanasie.

C’est un débat nourri, approfondi et serein que nous menons depuis deux ans. C’est un débat qui ne fuit pas nos peurs, nos doutes, nos convictions, mais les confronte et les dépasse pour instaurer les conditions d’une compréhension plus large et plus consensuelle. C’est le débat d’une société postmoderne et laïque qui s’interroge sur le sens et la légitimité de ses décisions, en s’appuyant sur la liberté humaine et non sur les dogmes ou toute vérité révélée, potentiellement totalitaires. C’est le débat d’une société développée qui offre, en France du moins, un relatif confort et une certaine qualité de vie au plus grand nombre. C’est le débat d’une société marquée par des progrès thérapeutiques considérables qui repoussent encore plus loin les limites de la mort, au risque de la nier ou de négliger les conditions qui l’entourent.

Vous avez été nombreux à rappeler que l’on meurt mal, en France, qu’il y a des inégalités d’accès aux soins palliatifs. Ces inégalités sont territoriales ou sectorielles ; elles jouent également selon le type de pathologie. Vous avez également noté le défaut de formation des personnels soignant : au total, seulement 20 % de ceux qui devraient bénéficier de soins palliatifs y ont accès. Le nombre de lits en soins palliatifs progresse faiblement, passant de 3 060 lits en 2007 à 5 057 en 2011. Le taux d’équipement en soins palliatifs varie de 0,4 lit pour 100 000 habitants à 8,2 lits pour 100 000 habitants. Cinq régions concentrent les deux tiers des unités en soins palliatifs. Là est la première inégalité.

Par ailleurs, les soins palliatifs sont quasiment inexistants dans le secteur médico-social, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD. On sait que 60 % des personnes âgées décédées aux urgences souffraient d’une pathologie qui aurait nécessité des soins palliatifs. C’est là une question essentielle : des gens qui auraient pu mourir paisiblement en EHPAD se retrouvent aux urgences, dans nos hôpitaux.

Notre première réponse collective, la première mesure législative à prendre, doit être de remédier au déficit des soins palliatifs mis en évidence par Alain Claeys et Jean Leonetti. Notre premier devoir législatif est de redonner de l’humanité, de recréer de la solidarité et de la fraternité, là où règnent parfois l’isolement, le désoeuvrement et l’injustice. Le développement des équipes mobiles, à l’hôpital ou à domicile, est une priorité. Il faut prendre exemple sur ce qui a été réalisé dans certains de nos territoires – je pense notamment aux hôpitaux de Metz et d’Hayange – pour accompagner les patients dans la proximité et le respect de leur altérité. J’ai ici une pensée pour les médecins et les personnels médico-sociaux qui accompagnent chaque jour les malades en fin de vie.

La mise en place, en 2015, d’un nouveau plan triennal pour les soins palliatifs dans le milieu hospitalier et le secteur de l’hospitalisation à domicile va dans le bon sens. Ce sera un des éléments du débat à venir. Que faire de plus ?

D’un côté, le rapport Claeys-Leonetti et la proposition de loi d’Alain Claeys qui en découle avancent des pistes pour améliorer notre législation : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, et l’arrêt des traitements en cas de maladie incurable ; en phase terminale, le droit de ne pas souffrir. Il préconise des directives anticipées plus contraignantes pour le médecin, leur encadrement, et un recours plus large. Il affirme la primauté de l’avis de la personne de confiance pour les cas où les patients ne sont plus conscients. Ces pistes devraient répondre aux cas d’acharnement médical les plus graves, qui sont contraires aux souhaits des patients. Il reste cependant des zones d’ombre, que l’examen de la proposition de loi d’Alain Claeys devra clarifier en mars prochain : la question de la fin de vie dans les cas de réanimation néonatale, comme le notait notre collègue Jean-Louis Touraine, ou la marge d’interprétation laissée au personnel soignant lorsque les directives sont mal rédigées ou trop anticipées, comme le soulignait notre collègue Michèle Delaunay.

De l’autre côté, la proposition de Mme Massonneau et des membres du groupe écologiste, que nous examinons aujourd’hui, considère que l’achèvement de cette réflexion doit être l’euthanasie – ou le suicide assisté – à la demande du patient, et lorsque ce dernier est atteint d’une affection grave et incurable. Elle place la liberté intime du patient au-dessus de tout. Nos amis écologistes veulent ainsi aller plus loin que ce que nous proposons.

Ma première objection tient au fait que leur proposition ne lève pas les zones d’ombre que j’évoquais plus tôt, la deuxième au fait qu’elle pose de nouvelles questions. Peut-on préconiser l’euthanasie ou le suicide assisté avant d’avoir assuré la généralisation et l’accessibilité des soins palliatifs pour tous ?

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