Intervention de Matthias Fekl

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Matthias Fekl, secrétaire d’état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la députée Danielle Auroi, rapporteure de la commission, mesdames et messieurs les députés, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le ministre de l’économie. Il suit de près la proposition de loi aujourd’hui en débat. Son cabinet et ses services, ici présents, sont tout particulièrement en charge de ce dossier auprès de lui et travaillent sur le fond. M. Macron est absent en raison du travail très intense qu’exige l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Il m’a demandé de vous dire qu’il suivrait personnellement les choses, avec ses équipes, au nom du Gouvernement.

C’est dans ce contexte et dans cet état d’esprit que le Premier ministre m’a demandé de représenter le Gouvernement devant vous, ce que je fais bien volontiers tant le sujet est essentiel. Il s’inscrit dans la volonté réaffirmée par le Président de la République d’avancer en matière de transparence de la vie économique, nationale et internationale, ce qui sera fait à travers différents textes de loi qui vous seront proposés à cet effet.

Il n’y a plus guère de débat de principe sur l’impératif d’une approche sociale et environnementale de la responsabilité de l’entreprise. De ce point de vue, l’économiste libéral Milton Friedman a perdu la partie, lui qui éliminait de façon lapidaire le sujet en déclarant : « La responsabilité sociale de l’entreprise, c’est de faire du profit ». Chacun appréciera la subtilité du propos et son élévation d’esprit.

Il reste à donner tort à cette pensée sur bien d’autres points, et l’économie, comme les sciences humaines en général, ont en leur sein bien des ressources pour y parvenir, sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.

Depuis une quinzaine d’années se sont multipliées et renforcées les initiatives internationales sur le terrain de la responsabilité sociale des entreprises. Je n’en citerai que quelques-unes : le pacte mondial de l’Organisation des Nations Unies au début des années 2000, le renforcement des principes directeurs de l’OCDE en 2011, l’adoption des principes directeurs de l’ONU pour le respect des droits humains par les entreprises.

Des initiatives sectorielles ont également changé la donne, l’exemple de la lutte contre les « diamants des conflits », avec le processus de Kimberley, étant le plus connu. Mais on peut citer plus généralement les travaux sur les minerais rares ou la réglementation du commerce des bois tropicaux.

Tout cela n’était acquis, loin de là. Combien de détracteurs ont suscité ces initiatives à l’époque ? Mais rien n’est jamais acquis, et il faut rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui, les premiers, ont porté ces initiatives, notamment dans la société civile.

Outre la production normative, le dialogue international et la coopération sur les enjeux de la responsabilité sociale des entreprises n’ont jamais été aussi dynamiques. La France, à l’offensive dans ce domaine depuis la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001 et le Grenelle 2, en 2010, y joue d’ailleurs un rôle reconnu, comme elle l’a encore montré l’an dernier par sa contribution décisive au Forum de l’OCDE pour la conduite responsable des entreprises.

Nos entreprises se sont également saisies de cet enjeu, et y ont parfois joué un rôle précurseur, notamment à travers leurs organisations représentatives, par exemple en Afrique. Elles savent que l’opinion y est très attentive, que les consommateurs y sont de plus en plus sensibles, et que la presse rend compte de leur attitude, à l’image de ce classement publié par Les Échos l’an dernier, pour la deuxième fois, sur le degré d’engagement dans la responsabilité sociale des entreprises – RSE – des entreprises du CAC 40 dans notre pays.

Enfin et surtout, la société civile, française et internationale, s’implique de manière militante et exigeante depuis de longues années. Récemment encore, en 2012, elle a proposé au gouvernement français la constitution d’une plateforme RSE qui réunirait représentants des milieux économiques, experts, chercheurs et spécialistes du développement, ONG et institutions publiques.

Cette plateforme, qui a fêté ses deux ans d’existence, a montré sa capacité à construire du consensus entre les acteurs de la RSE. Ici comme ailleurs, la société civile a prouvé sa capacité à sensibiliser sur des enjeux majeurs, à mobiliser et à fédérer largement. Le Premier ministre a d’ailleurs rendu hommage à ses travaux à l’occasion du colloque organisé récemment au Conseil économique, social et environnemental. Pour autant, beaucoup reste à faire en ce domaine.

Il aura malheureusement fallu le drame qui s’est produit au Bangladesh 1e 24 avril 2013, l’effondrement tragique du Rana Plaza, ses plus de mille morts, ses centaines de disparus et ses 2 500 personnes blessées, en grande majorité des femmes, pour que ce sujet arrive enfin tout en haut parmi les préoccupations au niveau mondial.

Ce drame a été un révélateur. Il a dévoilé aux yeux de tous la réalité, bien connue et souvent abominable, des conditions de travail dans une partie de la filière textile-habillement au sein des chaînes de production et des ateliers de certains pays – ce que certains appellent de façon atrocement révélatrice les « sweatshops », c’est-à-dire les ateliers où l’on transpire, et où s’approvisionnent certains grands donneurs d’ordre et importateurs.

Ce drame a été un révélateur de nos responsabilités. Nous sommes tous directement concernés par les conditions de fabrication des produits que nous consommons ici, en France, et ces conditions sont parfois déplorables, c’est peu de le dire, en termes de sécurité, de droits sociaux, de normes environnementales. Cette situation ne peut nous laisser indifférents, parce que les chaînes d’approvisionnement, y compris dans les pays du sud, remontent jusqu’à des donneurs d’ordre qui se trouvent ici.

La responsabilité des opérateurs économiques, de la puissance publique, des citoyens est immense. Ces responsabilités découlent d’une économie désormais globalisée. Dans cette économie mondialisée qu’est notre « village global », on ne peut accepter un double standard, avec d’un côté ce qui est jugé inacceptable dans les pays riches, et de l’autre ce qui serait toléré dans les pays en développement, notamment en termes de conditions de travail ou de sécurité des travailleurs. Il n’y a pas deux catégories d’êtres humains. Il y a une seule humanité, et elle a droit à la dignité.

Au-delà de la filière textile, nous savons que de nombreux biens de consommation sont produits dans des conditions comparables à celles qui sont à l’origine du drame du Rana Plaza.

Vous le savez, le gouvernement français avait réagi dès le lendemain de ce drame, pour demander que la lumière soit faite sur les responsabilités engagées, autrement dit sur le degré d’implication des acteurs : donneurs d’ordre, fournisseurs, autorités locales du pays de production et consommateurs. Mme Nicole Bricq, alors ministre du commerce extérieur, avait fortement encouragé patronat, syndicats et administrations à prendre des mesures de diligence raisonnable, en particulier pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.

Les acteurs de la société civile se sont eux aussi mobilisés une nouvelle fois à la suite de cet événement. L’implication collective des représentants de la société civile et des pouvoirs publics est pour nous une raison d’être optimistes, car elle permet de rechercher ensemble des réponses.

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement soutient cette mobilisation et souhaite aboutir avec vous à des résultats concrets et exigeants, qui consacrent la mise en oeuvre d’un devoir de vigilance. Nous poursuivons le même objectif : prévenir de nouveaux drames, et pour cela améliorer la prévention et la gestion des risques liés à l’activité des grandes entreprises multinationales.

La proposition de loi relative au devoir de vigilance déposée par Philippe Noguès, Dominique Potier et Danielle Auroi manifeste la mobilisation de la société civile et du Parlement face à cet impératif. Elle a le grand mérite de mettre en lumière les enjeux considérables attachés à cette question. La prise de conscience est unanime, et le Gouvernement partage le diagnostic et les objectifs de ce texte.

Un examen approfondi a cependant fait apparaître que certains points juridiques et techniques devaient être précisés – ce qui a été confirmé lors des travaux de l’Assemblée nationale –, en termes de compatibilité avec les principes généraux du droit de la responsabilité et avec les règles du droit international privé – ces dernières risquant fort, d’ailleurs, de la priver d’effectivité. En l’état actuel du texte, certaines notions centrales doivent encore faire l’objet de précisions juridiques très importantes afin de ne pas laisser courir de risques au texte, notamment au regard du principe de sécurité juridique.

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