Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Tel est le sens de mon intervention.

Comme l’a dit Danielle Auroi, et comme Philippe Noguès le fera sans doute, je veux dire combien nous sommes fiers de la manière dont nous avons fabriqué cette proposition de loi. Cela mériterait, en tant que tel, d’être relaté. L’engagement initial de candidats aux législatives qui, dans la continuité de la campagne présidentielle, sont soutenus par des ONG ; une parole, un engagement de changer la donne sur un point très précis des règles qui gouvernent la mondialisation ; un processus d’élaboration original, dans le cadre d’un dialogue permanent avec des ONG, élargi aux cinq principaux syndicats de salariés français qui ont unanimement rejoint ce combat ; et, surtout, une démarche engagée par quatre groupes parlementaires qui déposent la même proposition de loi, au mot près, et en l’espace d’un mois, ce qui est plutôt rare sous la Cinquième République.

Je dis à nos collègues qui siègent sur les bancs de l’opposition – que je connais tous personnellement – l’estime que je porte à certains des combats qu’ils mènent par ailleurs, et je leur demande d’être attentifs à l’esprit de cette proposition de loi. Je fais en effet le pari que, dans cet instant, en France, les uns et les autres peuvent rejoindre le combat incarné par ce texte et initié par la gauche unie et rassemblée. Je vous demande de regarder cette proposition de loi avec attention, et de ne pas se laisser aller aux réflexes pavloviens qu’ont eus certains de vos collègues, en commission des lois, qui ont hurlé au crime contre la compétitivité avant même d’avoir lu le texte et qui se sont fait, dans une certaine mesure, les porte-parole des points de vue les plus libéraux, les plus conservateurs et – osons le mot – les plus archaïques sur ce sujet.

Je vous invite à regarder attentivement l’intention de cette proposition de loi et des versions que nous pourrions en examiner ultérieurement. Je vous propose que nous nous rassemblions sur des dispositions qui pourraient contribuer à renforcer la compétitivité française et à susciter la fierté de la République.

J’insiste sur l’originalité de la fabrique d’une proposition de loi qui vient de loin dans ses combats humanistes et qui est riche d’une grande histoire.

Il nous faut à présent parvenir à un accord. Pour ma part, si j’appartiens à une formation politique depuis une petite dizaine d’années, c’est depuis près de quarante ans, depuis l’adolescence, que je milite pour ces causes, dans une famille paysanne et en ma qualité de paysan, avec des partenaires, des frères paysans, qui viennent d’autres pays du monde, d’Amérique latine, d’Afrique, avec qui j’ai voyagé, que j’ai accueillis sur mon territoire, dans ma ferme, dans le cadre des mouvements d’éducation populaire dont je faisais partie. Ces combats-là, je n’y renoncerai pas. Je ne serai pas un donneur d’illusions, le porte-voix d’une loi qui ne permettrait pas un véritable changement et ne rendrait pas justice à ces Damnés de la Terre.

Quels sont les arguments des adversaires de cette proposition de loi ? Ils expriment tous une vision du monde qui – n’ayons pas peur de le dire – est celle du monde d’avant, d’un monde qui oublierait tant les effets positifs de la mondialisation que le fait qu’elle puisse être porteuse de conséquences terriblement négatives. Je parle d’une mondialisation qui, pour un bénéfice à court terme du consommateur, de l’épargnant, de l’actionnaire, peut faire payer, à moyen et à long terme, un très lourd tribut au citoyen. Cette mondialisation-là est derrière nous ; elle fabrique des désastres, en particulier écologiques, et menace, en fabriquant de la misère, notre propre sécurité. Je crois que les débats récents, à travers le monde comme au coin de notre rue, l’illustrent largement.

Je voudrais dire à ces adversaires qu’ils doivent relire un économiste philosophe – car il n’y a pas de politique sans principes – qui a pour nom François Perroux. Il affirmait qu’en économie, certaines choses ont un prix et d’autres n’en ont pas. Je ne sais pas si c’est un propos de droite ou de gauche, mais je crois que c’est un propos toujours très contemporain. Je voudrais également citer les propos d’un de nos anciens collègues, devenu ministre, qui rappelait, il y a peu, dans cet hémicycle, l’importance du principe de loyauté. Aujourd’hui, chers collègues, le débat ne consiste pas à savoir si nous sommes pour ou contre la dynamique de l’entreprise ou de la mondialisation : au début du vingt et unième siècle, cette interrogation n’a plus de sens. La question est de savoir si ces dynamiques s’inscrivent ou non dans une logique de loyauté.

Il nous faut avancer, il nous faut une loi – le texte en discussion ou un texte équivalent quant aux finalités –, qui nous permette d’établir authentiquement le devoir de vigilance, non seulement de l’énoncer de façon parfois publicitaire ou normative, comme le font certains grands groupes industriels, mais de l’appliquer effectivement. La mise en oeuvre réelle de ce devoir de vigilance doit être sanctionnée par le droit, afin que l’on puisse condamner ceux qui méprisent cette exigence.

Au sujet du seuil permettant de délimiter les entreprises concernées, les auteurs de cette proposition de loi sont prêts à discuter de toute question relative à l’étude d’impact : il nous faut cerner la cible, il ne faut pas introduire de complexité pour les entreprises qui ne seront pas concernées. Ce débat pourra être tranché par un discernement collectif et sage.

La clé de notre débat ne porte donc pas sur la fixation de tel ou tel seuil ou le renvoi à tel ou tel décret ; il porte sur la capacité réelle à établir un lien de causalité entre la responsabilité des maisons-mères et les conséquences des agissements de leurs sous-traitants et de leurs filiales au bout du monde. C’est là le coeur du problème que nous voulons dénoncer.

La pratique des ONG et des avocats qui ont pris la défense des opprimés de la terre a démontré que, jusqu’à présent, tous les dispositifs, y compris le reporting extra-financier, avaient été inefficients sur ce plan. C’est donc bien une nouveauté que la loi doit introduire : nous devons mettre en lumière la chaîne de causalité afin de venir en aide aux victimes d’une mondialisation sans foi ni loi.

Je voudrais m’adresser à tous ceux qui évoquent les risques juridiques et l’impact en termes de compétitivité. Chers collègues, si risques il y a, ils sont du côté des victimes de cette mondialisation sans foi ni loi, et ils seront du côté de la France, j’en suis intimement convaincu, bien que je sois incapable de vous le démontrer, si celle-ci fait le pari d’une mondialisation low cost, sans règles. Le pari de la compétitivité dans un tel monde est perdu pour notre pays ; nous devons, en même temps que nous nous battons pour le monde actuel, en changer les règles. Telle est la grande tradition de la France et de l’Europe.

Nous inventons en fait une nouvelle génération de droits lorsque nous nous battons contre les paradis fiscaux, pour les droits du vivant, contre les formes contemporaines de l’esclavage. En cela, nous sommes les héritiers des Lumières.

Le droit, aux dix-neuvième et vingtième siècles, a été profondément inspiré par la défense de l’individu contre la tyrannie. Aujourd’hui, la tyrannie peut prendre le visage d’une toute-puissance économique sans régulation ni contrôle. La fragmentation des sociétés entre différents États-nations rend irresponsables les superpuissances économiques, qui peuvent aujourd’hui agir dans l’impunité. Il faut mettre fin à ce monde-là : à leur toute-puissance économique, nous devons opposer une contrepartie, celle de la responsabilité et de la justice.

Parce que nous voulons une proposition de loi solide, nous pouvons admettre que le texte proposé présente quelques failles qui méritent d’être comblées afin d’assurer sa solidité constitutionnelle et juridictionnelle. Nous voulons une loi juste, une loi qui protège les victimes, une loi à vocation européenne.

Je conclurai mon propos en me référant à un combat du dix-neuvième siècle, qui doit aujourd’hui nous inspirer et qui n’est pas sans lien avec le sujet que nous abordons. Le président Abraham Lincoln, dans son message sur l’état de l’Union adressé au Congrès le 1er décembre 1862, trois ans avant l’adoption du treizième amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui abolit l’esclavage, s’exprima en ces termes, qui m’ont mis du baume au coeur : « Objectez ce que vous voudrez, la question est toujours celle-ci : pouvons-nous faire mieux ? Les dogmes du paisible passé ne sont plus à la hauteur de l’orageux présent. L’occasion offre un amoncellement de difficultés, et il faut nous élever à la hauteur de l’occasion. De même que notre position est nouvelle, il nous faut de nouvelles pensées et des actes nouveaux. Il faut nous affranchir nous-mêmes, et alors nous sauverons le pays. » Il conclut par ces mots : « Nous sauverons noblement ou nous perdrons misérablement la dernière et la plus belle espérance de la terre. […] La ligne à suivre est claire, paisible, généreuse, juste ; si nous la suivons, le monde nous applaudira à jamais […]. »

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