Intervention de Jean-Noël Carpentier

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Noël Carpentier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, nous examinons ce soir la proposition de loi relative au devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordres à l’égard de leurs sous-traitants. Mais c’est bien de la mondialisation dont nous parlons. Plusieurs l’ont dit ici, la guerre à la mondialisation n’a pas de sens, mais la rendre plus humaine et plus solidaire est un enjeu fondamental.

Voilà maintenant un certain temps que le monde s’interroge sur le développement économique, qui ignore parfois les droits sociaux et humains les plus élémentaires. Rappelons-nous ce drame au Bangladesh, l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza qui abritait plusieurs usines textiles : près de 1 200 ouvrières furent tuées, des milliers blessées. Ce drame, survenu après bien d’autres, a devoilé à la manière d’un électrochoc le côté obscur de la mondialisation.

La dérégulation, le non-contrôle, le non-droit, l’argent pour l’argent, le manque d’éthique profitent aux affairistes de tout poil et, au bout du compte, permettent à certaines multinationales de dégager des profits énormes, au détriment de millions de personnes travaillant dans des conditions indignes, pour un salaire de misère.

Comme vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, nous devons légiférer. Pour éviter que de tels drames se reproduisent, il faut énoncer des règles claires, afin d’engager la responsabilité des sociétés dominantes sur les agissements de leurs sous-traitants. Les multinationales doivent s’engager à faire respecter les droits humains. Bien sûr, la communauté internationale, les États, les grandes multinationales se disent sensibles à cette question ; l’on ne compte plus les déclarations d’intention, souvent sincères, des leaders de grands groupes, et les placards sont pleins de textes internationaux.

Dès 1976, l’OCDE émet des principes généraux pour que les entreprises respectent « les droits de l’homme ». L’Organisation internationale du travail, dans sa déclaration de principes, demande aux multinationales et aux États de respecter les droits humains dans le processus de production. Puis les Nations unies invitent les multinationales à respecter le droit international relatif aux droits de l’homme « dans leur sphère d’influence ».

Face aux drames, aux scandales – on pense à Nike, à Apple, à Benetton –, beaucoup de multinationales se sont dotées de règlements internes pour éviter certaines dérives de leurs sous-traitants. Cela est légitime et procède d’une ferme volonté, mais les aventuriers de la finance et du gain facile n’en sévissent pas moins. Ces bonnes intentions sont insuffisantes. En l’absence de sanctions, ces dispositifs n’ont aucun résultat et certains poursuivent une logique de sous-traitance totalement irresponsable.

Ces textes et ces recommandations ont beau relever d’une bonne intention, ils ne suffisent pas à protéger les droits humains. Renvoyer à la bonne volonté individuelle des acteurs n’est pas efficace. Il faut encadrer le système dans son ensemble. Nos collègues de l’UDI ou de l’UMP prétendent qu’il serait dangereux pour nos entreprises et notre économie de légiférer aujourd’hui. Pourtant, de nombreux pays ont déjà fait des avancées substantielles à ce sujet, en particulier la France avec la loi Canfin.

L’Union européenne elle-même souhaite que la responsabilité sociale des grandes multinationales soit mise en avant. Nous devons cependant aller plus loin pour mettre de l’éthique dans la mondialisation et protéger les droits humains mais aussi les entreprises qui respectent la vie et les droits essentiels des travailleurs car, d’une certaine manière, elles souffrent d’une concurrence déloyale.

Tel est l’objectif de cette proposition de loi qui trouve son origine dans l’implication de plusieurs associations humanistes dont les militants, les bénévoles – dans les tribunes pour certains ce soir – n’économisent pas leurs efforts. Je tiens à les remercier pour leur engagement et je suis honoré de porter avec eux ce juste combat.

Ce texte, lors de son dépôt, a réuni tous les groupes de gauche de l’Assemblée nationale – SRC, écologiste, RRDP, GDR. Entre-temps, plusieurs amendements, que nous soutiendrons, ont été déposés afin de renforcer la sécurité juridique et la portée de ce texte. Ils sont de nature à vous rassurer, monsieur le secrétaire d’État. Cette proposition de loi, sérieuse et solide, peut d’ores et déjà être votée. Nous nous opposerons par conséquent à toute manoeuvre législative ou dilatoire visant à renvoyer ce texte.

Je vous le dis, monsieur le secrétaire d’État, la gauche au pouvoir a, bien entendu, des responsabilités. Elle doit tenir compte de l’environnement économique national et international mais elle doit aussi ouvrir les champs du possible. Les grandes avancées démocratiques et sociales ont toujours été conquises par les peuples mais parfois il est nécessaire que les institutions donnent un petit coup de pouce. Nous pouvons le donner aujourd’hui, chers collègues de la majorité, en votant cette loi.

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