Intervention de Guillaume Garot

Réunion du 28 janvier 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Garot :

Je me réjouis que l'Assemblée se saisisse d'un sujet aussi rassembleur que le gaspillage alimentaire. Il intéresse les Français et suscite une mobilisation de plus en plus forte sur le terrain à travers les initiatives d'associations, d'entreprises, de grandes surfaces ou de producteurs. Il mérite que le législateur fasse en sorte de permettre à ces initiatives de s'épanouir et de tenir les objectifs que nous nous sommes fixés ensemble.

Lorsque j'étais en charge de l'agroalimentaire au Gouvernement, j'ai lancé le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, fixant l'objectif de diminuer de moitié le gaspillage dans notre pays à l'horizon 2025. Avant moi, Bruno Le Maire avait déjà posé quelques éléments d'action.

Cette question requiert à la fois détermination, constance et méthode. L'enjeu est de construire une véritable politique publique contre le gaspillage alimentaire. Aujourd'hui, les initiatives dispersées sur le terrain ne trouvent hélas ! pas de prolongement politique. Il faut passer à une nouvelle étape, car la bonne volonté n'est plus suffisante.

La présente proposition de loi est-elle de nature à fonder une politique publique contre le gaspillage ? À ce stade, je ne le crois pas. Le texte a le mérite de traiter de certains segments d'une politique contre le gaspillage, mais de façon restreinte et trop peu efficace. Certes, il faut sensibiliser les enfants, favoriser les conventions entre les grandes surfaces et les associations de solidarité sur le terrain, et réfléchir à la question des dates de péremption. Mais au-delà, il y a des sujets de fond que le législateur devrait aborder.

Comment, par exemple, mesurer le gaspillage ? Aujourd'hui, cette mesure repose surtout sur des estimations, il nous manque des données chiffrées vérifiables. Ce n'est pas le tout de dire que nous allons diminuer le gaspillage alimentaire de moitié d'ici à 2025. Encore faut-il savoir d'où l'on part et comment on progresse, année après année. Cette question est fondamentale pour engager une nécessaire politique contre le gaspillage alimentaire.

Le deuxième sujet est la mobilisation durable des acteurs. Rien ne serait pire que de lancer des initiatives pleines de bonnes intentions sans lendemain. Si nous voulons diminuer de moitié le gaspillage, la mobilisation locale doit être durable et animée en permanence. Autrement dit, il est impératif de donner une dimension territoriale à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Le troisième point est la création d'outils efficaces contre le gaspillage. Il peut s'agir de choses extrêmement simples, pourvu qu'elles soient concrètes, et accessibles à chacun des acteurs de la chaîne alimentaire, du producteur jusqu'au consommateur. Par exemple, à côté d'une campagne nationale de sensibilisation, il faut aussi aider le principal d'un collège à lutter contre le gaspillage dans sa cantine et l'élu local à faire de même dans les maisons de retraite. Il faut surtout, s'agissant de ces outils, adopter une démarche de clarification juridique et de simplification des règles, car ce sont beaucoup de petits blocages qui empêchent d'être efficaces dans la lutte contre le gaspillage. Nous devons être précis et cohérents, ne serait-ce qu'au niveau des grands enjeux de cette politique. Malheureusement, cette proposition de loi ne couvre pas ce champ.

Nous devons également mettre en avant trois principes. Le premier est la responsabilité de chaque acteur face au gaspillage alimentaire : responsabilité du producteur, de l'industriel, de la grande surface, de l'association qui reçoit des dons et, bien sûr, du consommateur. Dans le travail législatif, nous devons veiller à ce que chacun puisse être mis en responsabilité et lui donner les outils pour exercer cette responsabilité.

Deuxième principe, redonner toute sa valeur à l'alimentation. On jette rarement du foie gras, mais beaucoup plus facilement des pâtes ou des fruits et légumes parce que l'on considère que ces produits n'ont pas de valeur. Je ne parle pas simplement de valeur marchande, je parle de la valeur culturelle de l'alimentation. La lutte contre le gaspillage passe par le respect de l'alimentation, donc par le respect du travail de celui qui a produit la nourriture. Il faut mettre en avant l'éducation à l'alimentation, la formation des personnels de cuisine dans les lycées, les collèges ou les maisons de retraite, mais aussi la formation des restaurateurs, bref, de tous ceux qui ont à voir avec l'alimentation, afin de valoriser l'acte de produire et de transformer.

Pour ce qui est du troisième principe, je le vois émerger depuis que je travaille sur le gaspillage alimentaire, c'est-à-dire depuis 2012 : c'est la naissance d'un nouveau modèle de développement. Lutter contre le gaspillage, c'est consommer autrement, mais c'est aussi produire autrement, et, d'une certaine façon, vivre ensemble autrement. Ce qui se joue dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, c'est bel et bien un choix de société en ce sens que la conscience qu'il faut éviter de gaspiller implique de modifier les comportements, les modes de production et de consommation, les façons d'enseigner, d'élaborer ou de se nourrir. Bref, c'est toute la société qui est interpellée.

Qui plus est, c'est un choix de société qui produit de la richesse, de l'activité et qui crée des emplois. Toutes les initiatives contre le gaspillage alimentaire sont très souvent créatrices d'emplois, telle l'association le Potager de Marianne, qui récupère les invendus de fruits et légumes à Rungis pour en faire des soupes et des jus. Le modèle économique qui est là en train de se développer permet de financer la création d'emplois d'insertion. Aujourd'hui, plusieurs dizaines d'hommes et de femmes en rupture sociale et professionnelle ont retrouvé une activité et une dignité dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, en créant de la valeur et en luttant contre un gâchis insupportable. Ce modèle a, de surcroît, une dimension éthique. Comment supporter que l'on jette aujourd'hui quand tant d'hommes et de femmes ont des difficultés à se nourrir correctement dans notre pays, et que près d'un milliard d'êtres humains souffrent de la faim à l'échelle planétaire ?

Le défi qui est devant nous concerne l'ensemble de la planète, et il est simple : en 2050, nous serons passés de 7 milliards d'êtres humains aujourd'hui à 9 milliards. Comment nourrir tout ce monde supplémentaire sur notre seule planète ? Selon la FAO, il faudrait augmenter de 70 % la production agricole. Je vous laisse imaginer le défi ! Dans le même temps, la FAO précise que 30 % de la production agricole mondiale sont aujourd'hui perdus, car, dans les pays en voie de développement, on ne sait pas stocker ni transformer sur place. Là est le défi alimentaire, et il nous concerne nous aussi, car lorsqu'on jette de la nourriture, c'est de l'énergie, de la capacité à produire et à créer de la richesse que l'on jette.

J'aimerais suggérer une méthode de travail. Le texte que nous examinons a le mérite de lancer le débat mais est toutefois très insuffisant pour fonder une politique publique contre le gaspillage alimentaire. Soucieux de participer à un travail collectif, je propose que nous reprenions ce travail sur la base du rapport que je dois remettre au Gouvernement à la fin du mois de mars, et qui sera riche des enseignements de 170 auditions, de nombreux déplacements sur le terrain et de dizaines de contributions écrites. Ensemble, nous pourrions élaborer une proposition de loi qui traiterait tous les aspects de la lutte contre le gaspillage, et qui pourrait être examiné au cours de ce semestre, dans le cadre d'une niche parlementaire. Ensemble, nous pourrions fonder une vraie politique contre le gaspillage, dotée d'un cadre législatif et d'une dimension contractuelle à l'adresse des acteurs de terrain, car c'est avec eux que nous construirons cette politique. Ne ratons pas cette occasion de faire preuve de l'efficacité et de la cohérence que les Français attendent de nous.

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