Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 5 février 2015 à 15h00
Maladie de lyme — Présentation

Laurence Rossignol, secrétaire d’état chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie :

Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité soumettre au débat parlementaire une proposition de loi relative à la maladie de Lyme, une maladie encore mal connue du grand public qui touche particulièrement les régions de l’est de notre pays. Ce débat nous donne aujourd’hui l’occasion d’informer et de sensibiliser nos concitoyens à cette maladie, qu’il est possible de prévenir par des gestes simples.

En effet, la borréliose de Lyme est une maladie infectieuse due à une bactérie, Borrelia burgdorferi, transmise par une piqûre de tique du genre ixodes ricinus. Cette zoonose, identifiée en 1975 dans le comté de Lyme, aux États-Unis, est bien connue en milieu rural. Les forestiers et les chasseurs sont les principaux groupes à risques.

Ce sont les tiques qui véhiculent la maladie en propageant la bactérie responsable : elles sont donc des réservoirs d’agents infectieux. Au niveau mondial, les tiques sont considérées comme le deuxième vecteur de propagation de la maladie après les moustiques. Toutefois, il faut le rappeler avec force, toutes les morsures de tique ne transmettent pas la maladie de Lyme. En outre, la densité de tiques varie d’une région à l’autre et d’une forêt à l’autre au sein d’une même région, voire au sein d’une même forêt.

La borréliose de Lyme fait depuis plusieurs années en France l’objet d’une surveillance, chez l’homme comme chez l’animal, ce qui a permis de mettre en évidence l’extension géographique progressive des zones à risques, comme dans l’ensemble des pays tempérés. Cette maladie peut être contractée sur tout le territoire national, à l’exception de la haute montagne, à une altitude supérieure à 1 700 mètres, et du littoral méditerranéen, dans les zones sèches, milieux peu favorables à la survie des tiques. Dès 2013, le Centre national d’expertise sur les vecteurs a réalisé une cartographie précise de la progression géographique des tiques vectrices de cette maladie sur notre territoire. Je sais, monsieur le rapporteur, que cette cartographie fait partie des demandes de votre proposition de loi. Cependant, selon les experts européens, la cartographie de distribution des tiques dont nous disposons en France est plus précise que celle qui existe en Allemagne.

Actuellement, la surveillance de la maladie de Lyme est réalisée sous la coordination de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, par plusieurs réseaux de médecins volontaires qui déclarent les cas survenus dans leur région. Les données proviennent des études issues de la surveillance nationale du réseau Sentinelles, des études régionales du Centre national de référence des Borrelia, des données sérologiques transmises par les laboratoires ainsi que des études régionales de l’InVS. Les données de séroprévalence proviennent également des études de la Mutualité sociale agricole. Le site internet de l’InVS permet de suivre l’épidémiologie de cette maladie à travers les données collectées.

Inévitablement, ce débat pose la question du nombre de personnes infectées par la maladie. Il me semble important de rappeler les chiffres exacts. Aux États-Unis, une estimation officielle de 2013 fait état de 300 000 cas chaque année. En Europe, le nombre de cas annuel est estimé entre 65 000 et 85 000, avec d’importantes variations régionales. Certains pays rapportent une tendance à la stabilité, c’est le cas de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Croatie ou de la République Tchèque, tandis que d’autres, comme les Pays-Bas et l’Allemagne, connaissent une tendance à l’augmentation depuis les années 1990.

En France, selon les données disponibles, on estime le nombre moyen annuel de cas de maladie de Lyme à 27 000, soit un taux d’incidence annuel moyen de 43 cas pour 100 000 habitants, stable au cours des trois dernières années. Les taux d’incidence au niveau régional et départemental sont très variables : par exemple, l’Alsace et le département de la Meuse présentent un taux d’incidence élevé, supérieur à 100 cas pour 100 000 habitants, alors que les régions Centre, Basse-Normandie et Aquitaine connaissent des taux plus bas, proches de 10 cas pour 100 000 habitants.

Selon les autorités sanitaires, le nombre de cas annuels est de 90 000 en Allemagne. Ce nombre plus élevé qu’en France est à mettre en regard de la différence de population entre les deux pays et du fait que la borréliose est plus fréquente dans le nord de l’Europe.

La borréliose de Lyme est donc une maladie infectieuse, transmise par les tiques et dont l’évolution reste favorable lorsqu’elle est diagnostiquée et traitée précocement. Le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques biologiques, microbiologiques et épidémiologiques. La symptomatologie, le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme sont bien documentés en cas de morsure récente et de symptômes nets comme l’érythème migrant, caractéristique et présent dans la grande majorité des cas.

En revanche, en cas de morsure ancienne et devant des symptômes peu spécifiques, la démarche diagnostique et thérapeutique est plus complexe. Une conférence de consensus visant à éclairer la prise de décision dans des situations complexes a été organisée dès 2006, permettant de rassembler l’ensemble des disciplines concernées par ce sujet, de rapprocher et de confronter des connaissances, et de répondre à des questions précises sur la clinique, le dépistage et les traitements.

Dès juillet 2012, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, a saisi le Haut conseil de la santé publique pour actualiser l’état des connaissances sur cette maladie, son épidémiologie, les techniques diagnostiques et les traitements. Le Haut conseil a publié son rapport en décembre dernier. Dans ce rapport, très complet et consultable par tous sur le site internet du Haut conseil, les experts confirment l’importance de mieux affiner le diagnostic de cette maladie et la sensibilité des tests utilisés.

Les définitions sont au coeur de la controverse portée par certaines associations de patients sur la maladie de Lyme. Le rapport du HCSP rappelle les trois phases de la maladie décrites dès 2006 : phase primaire, phase secondaire et phase tertiaire, désormais appelées phase précoce localisée, phase précoce disséminée et phase tardive. Il évoque aussi l’existence de situations cliniques ne permettant pas d’établir un diagnostic précis.

Certaines associations invoquent auprès du ministère chargé de la santé – et, je le sais, également auprès de vous, mesdames et messieurs les députés, depuis plusieurs semaines – l’idée selon laquelle la chronicité de la maladie de Lyme ne serait pas reconnue, ce qui est erroné. Elles cherchent à expliquer que de très nombreuses manifestations cliniques relèveraient d’une maladie de Lyme non diagnostiquée en raison de diagnostics inefficients.

Il faut rappeler que la maladie peut prendre plusieurs formes cliniques et que les phases secondaire et tertiaire n’apparaissent qu’en l’absence de traitement en phase primaire. Un traitement antibiotique simple, initié rapidement et bien conduit a toute raison d’être actif et efficace. Dans les situations peu claires, soit sur le plan clinique, soit sur le plan biologique, les recommandations incitent à la prudence en matière de traitement antibiotique, et tout doit d’abord être mis en oeuvre pour étayer un diagnostic.

Il est important d’expliquer que les tiques peuvent être infectées par différents agents pathogènes, dont la transmission simultanée pourrait expliquer certaines formes cliniques atypiques et la résolution incomplète des symptômes après traitement antibiotique. Ainsi, encore plus que pour toute autre maladie infectieuse, les résultats des examens biologiques, notamment de la recherche des anticorps de la borréliose, doivent être interprétés au regard du tableau clinique.

Une sérologie en deux temps est et reste recommandée. Le test immuno-enzymatique de dépistage, le test ELISA, est utilisé en première intention. Devant un résultat douteux ou négatif associé à un tableau clinique évocateur, un second prélèvement permettra de conclure. Des résultats positifs dans les deux classes d’anticorps conduisent à la réalisation d’une confirmation par immuno-empreinte appelée « western blot » afin de confirmer le résultat. Cette démarche est validée au niveau européen et par les experts du HCSP.

Les difficultés diagnostiques peuvent également être liées à la performance des tests, à l’hétérogénéité des espèces de Borrelia en Europe et à la possibilité de réactions croisées avec d’autres agents infectieux.

Pleinement conscient de l’importance de disposer de diagnostics plus fiables encore, le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre les recommandations formulées dans le rapport du HCSP de décembre dernier. Il entend réaliser des études cliniques associant infectiologues, dermatologues, rhumatologues, cardiologues et neurologues, des études épidémiologiques et diagnostiques associées à des études sociologiques, et mettre en place des essais cliniques randomisés sur les traitements.

Le diagnostic de la maladie de Lyme pourra ainsi progresser grâce à l’expertise de plusieurs spécialités médicales. De nombreuses études suggèrent aussi que d’autres agents infectieux peuvent intervenir dans le contexte des pathologies liées aux morsures de tiques. Là encore, le HCSP nous recommande d’approfondir les approches diagnostiques par sérologie en étendant leur spectre vers d’autres Borrelia ainsi que vers de possibles co-infections.

À la suite de ces recommandations, nous engageons une réflexion pour renforcer les outils de communication auprès de la population et des professionnels de santé sur les risques infectieux liés aux tiques et pour évaluer les performances des tests de dépistage commercialisés.

Tout d’abord, s’agissant de l’information et la prévention, le Gouvernement encouragera dans la future loi de santé toutes les actions d’éducation et de prévention. Dans le cadre de la maladie de Lyme, la prévention primaire a pour objectif d’éviter le contact avec les tiques. La protection mécanique est recommandée en zone à risque. Elle repose sur le port de vêtements longs et fermés. Les répulsifs cutanés peuvent également être recommandés. Les répulsifs vestimentaires peuvent aussi être utilisés, même si les données concluent à une efficacité limitée de ces produits vis-à-vis des tiques.

La prévention secondaire repose pour sa part sur la détection et le retrait rapide des tiques après exposition. L’ablation rapide après leur attachement réduit en effet le risque de transmission. Il est nécessaire de rechercher les tiques par un examen minutieux.

En présence d’une tique fixée à la peau, il faut la retirer le plus rapidement possible par une technique mécanique : pince fine ou tire-tique. Le risque de transmission de la bactérie dépend du taux d’infestation des tiques et du temps d’attachement de la tique à la peau. Après le retrait de la tique, il faut désinfecter le site de la piqûre et surveiller l’apparition éventuelle d’un érythème migrant. Vous le voyez, ce sont des conseils simples, pratiques, que nous devons mieux diffuser auprès de nos concitoyens afin de prévenir les morsures de tiques et de possibles infections.

Concernant les tests, il est important de répondre aux inquiétudes sur leur fiabilité. Le Centre national de référence – CNR – réalise régulièrement des études sur les kits diagnostiques. Ces études portent sur la sensibilité, la spécificité, la reproductibilité des kits. La praticabilité est aussi étudiée. Il y a actuellement sur le marché un grand nombre de tests ELISA, avec un renouvellement assez rapide. Une étude est déjà engagée par le CNR sur les tests western blot.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – a procédé à un état des lieux des informations présentées dans les notices des kits réactifs commercialisés disposant du marquage Communauté européenne. L’ANSM va échanger avec les firmes pour préciser ou compléter autant que de besoin les informations sur les données de performance. Ces performances seront vérifiées expérimentalement et pour chaque kit par le CNR. En parallèle, l’ANSM mettra en oeuvre des études dans le cadre du contrôle national de qualité. De telles études permettent de voir quels tests sont utilisés, qui les utilise et comment ils sont interprétés.

Parce que votre proposition de loi évoque une hypothétique transmission par voie sexuelle, je tiens ici à rassurer et à rappeler que ces données n’ont jamais été confirmées et n’ont donné lieu à aucune publication scientifique.

Votre Assemblée a adopté le 18 août dernier une proposition de résolution européenne relative à la maladie de Lyme, invitant les institutions européennes à conduire une réflexion sur le sujet, à engager une campagne de sensibilisation et de prévention et à soutenir des travaux de recherche.

En réponse à cette résolution, la Commission européenne a d’ores et déjà indiqué que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies reconnaissait pleinement les problèmes posés par la maladie de Lyme et que des travaux étaient engagés au niveau communautaire pour mieux comprendre cette maladie infectieuse et permettre la mise en place d’une surveillance européenne et une approche harmonisée.

La proposition de loi que nous examinons pose la question de la mise en place d’une déclaration obligatoire pour la maladie de Lyme. Les critères épidémiologiques des maladies à déclaration obligatoire sont très précis. Selon le code de la santé publique, cette déclaration est nécessaire pour les maladies graves qui nécessitent une intervention urgente d’abord, dont la surveillance est nécessaire à la conduite et à l’évaluation de la politique de santé publique ensuite, le tout en l’absence d’un système de surveillance répondant aux objectifs spécifiques. La pertinence de la déclaration obligatoire doit être analysée par l’InVS – incidence, définition, coût, acceptabilité. Un avis du HCSP est aussi requis.

Enfin, votre texte insiste avec raison sur la nécessité d’encourager la recherche et l’amélioration des connaissances scientifiques sur cette maladie. La ministre de la santé partage pleinement cet objectif. Dans l’intérêt évident des personnes malades ou en souffrance en raison de difficultés diagnostiques et thérapeutiques, la ministre va demander aux acteurs de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé de procéder à une importante expertise collective des données disponibles dans les différents domaines concernés.

Nous avons, monsieur le rapporteur, pleinement conscience des problèmes diagnostiques et thérapeutiques liés à la maladie de Lyme. Comme je l’ai longuement exposé, de nombreuses actions sont en cours et d’autres seront prochainement engagées par le Gouvernement à la suite des récentes recommandations du Haut conseil de la santé publique.

Mesdames et messieurs les députés, vous le voyez, la réponse efficace et rapide aux défis posés n’est pas législative, mais nécessite en premier lieu une mobilisation des acteurs autour de la prévention et de l’information.

À quelques semaines de l’examen du projet de loi de santé, dans la perspective des débats qui seront alors les nôtres sur la prévention ou la place des associations dans notre système d’alerte sanitaire, le Gouvernement est favorable à un renvoi en commission du texte afin de poursuivre un travail concret dans l’intérêt des malades, à la fois sur la question de la déclaration obligatoire et l’amélioration de l’activité de recherche et des connaissances scientifiques. Je sais que cet objectif est aussi le vôtre, monsieur le rapporteur.

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