Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 3 février 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Mme Buffet m'a interrogé sur la présence de l'autorité civile, ainsi que sur ses responsabilités et celles des forces chargées du maintien de l'ordre. J'ai souhaité, je l'ai dit, qu'on ne puisse plus engager d'opérations lourdes de maintien de l'ordre sans la présence de l'autorité civile, qui seule possède le recul suffisant pour évaluer en permanence l'adéquation des moyens mobilisés aux résultats obtenus.

Rappelons les règles qui régissent le maintien de l'ordre sur des théâtres où la violence est présente. Aux termes d'un décret de 2004, la responsabilité de l'ordre public relève de la responsabilité du préfet. Celui-ci doit faire remonter régulièrement certaines informations au cabinet du ministre de l'intérieur, qui peut lui donner des instructions sur la manière de conduire les opérations.

M. Larrivé m'a demandé ce qu'on pouvait faire en amont de la manifestation du 25 et 26 octobre, compte tenu des tensions constatées à Sivens. Dès le début de l'été, et plus encore à la fin août, j'ai senti que celles-ci pouvaient aboutir à des difficultés sérieuses. Les informations dont je disposais sur le nombre de blessés dans les rangs des forces de l'ordre m'ont incité à donner au préfet des consignes d'apaisement, que j'ai réitérées jusqu'au dernier moment.

Dès l'annonce de la manifestation du 26, et du risque d'une contre-manifestation des agriculteurs, je lui ai conseillé d'engager un dialogue avec les organisateurs. On pouvait éviter de positionner des forces mobiles sur le site, tant qu'il n'y avait pas de tentative d'occupation, mais, si c'était le cas, on pouvait craindre une contre-manifestation, ce qui obligerait les forces de l'ordre à s'interposer entre manifestants et contre-manifestants. Je vous laisse imaginer les reproches qui auraient été adressés à l'État si la tentative d'occupation du terrain avait été immédiatement suivie d'une contre-manifestation d'agriculteurs.

Les forces de l'ordre n'ont pas été positionnées jusqu'au moment où, dans la nuit du vendredi au samedi, les terrains ont fait l'objet d'une tentative d'occupation. Cette précision me permet de répondre aux affirmations selon lesquelles on aurait cherché à protéger un terrain qui n'avait pas besoin de l'être. Ce n'est pas ainsi que le problème s'est posé, en termes d'ordre public. Dans un souci d'apaisement, j'avais donné l'instruction de ne pas positionner de forces, mais, dès lors que les zadistes ont décidé d'occuper le terrain, on devait le défendre pour éviter un affrontement dans lequel les forces de l'ordre n'auraient pu s'interposer. Toute autre affirmation relève d'une réécriture de l'histoire.

Avant cet épisode, le ministère de l'intérieur a évité les affrontements en demandant à ses représentants sur place de créer les conditions d'un dialogue permanent. C'est au préfet de coordonner et d'organiser l'engagement des forces. Dans les opérations de ce type, je souhaite – je l'ai dit – la présence permanente d'un représentant de l'autorité civile, qui évalue le climat et conseille aux forces de l'ordre, engagées dans l'action, souvent même agressées, de se repositionner ou de graduer l'engagement de la force. Cette mesure, qui clarifiera les responsabilités, protégera les parties en présence.

Mme Buffet m'a également interrogé sur la nature et l'organisation des groupes de manifestants. Je vous répondrai par écrit dès que j'aurai reçu le résultat d'études menées non seulement par mon ministère mais par des chercheurs et des universitaires. On rencontre sur les ZAD une majorité d'acteurs non violents, environnementalistes, écologistes, parfois scientifiques, qui défendent leur position par la force des arguments. On y trouve aussi d'autres acteurs, qui prennent l'écologie en otage dans un but politique de déstabilisation et de contestation de l'État. Les forces de l'ordre subissent la violence très structurée de groupes organisés et radicaux, qui instrumentalisent les manifestants et cherchent l'incident. Cette situation, qui justifie les consignes d'apaisement que j'ai données, rend notre action extraordinairement difficile.

Monsieur Larrivé, créer 8 000 emplois pour en supprimer 12 000 ne me semble pas la meilleure manière de donner des moyens à la police et à la gendarmerie, qui, dans un contexte d'extrême tension, ont besoin de visibilité et de stabilité. Je vous rejoins cependant sur un point : il n'est pas utile de nous quereller sur le sujet. C'est la raison pour laquelle je ne ferai pas de la question des heures supplémentaires l'alpha et l'oméga de la lutte contre le terrorisme. Ne suscitons pas de mauvais débats, qui entretiendraient de mauvaises polémiques.

Le nombre de patrouilles sur la voie publique a été maintenu à un haut niveau et, dans un souci de rationalisation, des fonctionnaires travaillant dans des bureaux ont été remis sur la voie publique. À cet égard, vos chiffres ne correspondent pas à ceux dont je dispose, mais, vous sachant très précis, je m'engage à vérifier les conditions dans lesquelles s'opèrent ces patrouilles, et à vous en indiquer le nombre.

La révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a conduit à réduire les effectifs, a entraîné la suppression de quinze escadrons de gendarmerie mobile. En optimisant la location des unités de forces mobiles sur le territoire, nous évitons de consommer en permanence des renforts qui pourraient être déployés soit sur des théâtres d'opérations soit, en complément des forces de sécurité, dans des actions transversales comme la lutte contre les cambriolages. Nous mobilisons en effet des unités de forces mobiles pour compléter les effectifs de sécurité intérieure. C'est ainsi que j'ai décidé d'affecter une demi-unité de force mobile à Calais, en complément des effectifs de sécurité publique, pour lutter contre la petite délinquance ou les cambriolages.

Le nombre de compagnies de CRS n'a pas changé, mais celles-ci se sont adaptées en interne. Elles peuvent fonctionner en demi-section, se séparer et passer à tout moment d'une opération de sécurisation à une opération de maintien de l'ordre. En outre, nous avons adapté les matériels. Certaines compagnies disposent désormais de canons à eau et peuvent mettre des barrages en place. Les équipements individuels, comme les boucliers ou les tenues de protection, ont été renforcés. Autant de mesures qui permettent de faire face aux situations avec des effectifs contraints.

Les événements de 2013 auxquels vous avez fait allusion se sont produits avant que je sois en situation. Le préfet Boucault, que vous allez auditionner, vous donnera à leur sujet toutes les informations que vous souhaiterez. Le défenseur des droits a adressé des recommandations relatives au maintien de l'ordre, au terme de l'opération menée le 14 juillet 2013. À l'époque, le ministère avait reçu des informations alarmantes : on pouvait craindre des perturbations entraînant des troubles graves à l'ordre public et mettant en péril la sécurité des personnes. Des dispositifs rigoureux de filtrage avaient été mis en place, notamment pour l'accès aux tribunes, lors du défilé. Ces mesures sont classiques, compte tenu du nombre important de personnalités présentes.

Le défenseur des droits, saisi par une personne dont le drapeau avait été confisqué, a jugé le dispositif de sécurité trop lourd, et considéré que la confiscation du drapeau pouvait s'apparenter à une interdiction générale et absolue. Je ne partage pas son analyse, puisque, pour peu que l'intéressée renonce à ce qui pouvait être considéré comme un projectile ou une arme par destination, elle aurait pu accéder aux tribunes. Quoi qu'il en soit, il faut répondre précisément et dans les plus brefs délais au défenseur des droits. J'ai donné des instructions dans ce sens au préfet Boucault, qui aura probablement répondu quand vous l'auditionnerez.

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