Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du 12 février 2015 à 15h00
Débat sur le rapport d'information sur le fair-play financier européen et son application au modèle économique des clubs de football professionnel français

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre débat s’intéresse à la question du fair-play financier dans le football. Si cela ne touche que quelques grands clubs, ceux-ci sont tout à la fois la vitrine et le moteur du monde du football composé, lui, de millions de joueurs professionnels ou amateurs, d’équipes locales et de passionnés.

Ces grands clubs ont donc une responsabilité toute particulière. Leurs valeurs ne doivent être ni celles du profit ni celles de l’opulence, mais tout simplement celles du sport : loyauté, respect, contrôle de soi, dépassement de soi et, évidemment, dans la joie de l’activité et de l’affrontement sportifs.

Or qu’observe-t-on aujourd’hui ? La Ligue 1 est éclatée, à deux vitesses. Songez que les quatre plus gros budgets additionnés sont supérieurs à ceux des seize autres clubs ! Le montant des transferts est vertigineux, déconnecté de la vie des Français ; les rémunérations des agents sont opaques ; les droits télévisés sont disproportionnés, créant une véritable télédépendance ; l’opacité règne toujours concernant les investissements de certains mécènes ou les contrats de sponsoring. Réjouissons-nous tout de même que l’actuel leader de la Ligue 1 soit celui qui intègre le plus de jeunes issus de son centre de formation parmi les grands clubs français. Cette qualité est reconnue dans le monde entier : ainsi, plus de 180 joueurs français évoluent dans d’autres championnats.

Il reste cependant une réalité que nous devons affronter : celle des clubs français déracinés de leur territoire, où ne joue plus aucun joueur issu de leur centre de formation ; un football où les femmes ne sont pas représentées, où les clubs ne peuvent plus recruter. Et que dire des valeurs du sport, alors que la coupe du monde de 2022 se jouera au Qatar sur le sang des travailleurs immigrés morts sur les chantiers ? Nous sommes ici bien loin des valeurs du sport ! Nous sommes trop près du « foot business » et nous le réprouvons.

Aussi, dans ce contexte, la décision prise par l’UEFA et son président Michel Platini d’instaurer le fair-play financier des clubs est par principe une bonne chose. L’objectif était de mettre fin au cercle vicieux du surendettement qui venait alimenter l’inflation des dépenses des clubs de football et du montant des transferts et, in fine, dévoyer les valeurs sportives dont ces clubs devraient être les premiers défenseurs.

À certains égards, ce dispositif a déjà rempli son objectif en divisant par deux en deux ans les pertes des clubs européens. Cependant, force est de constater que le système actuel, tel qu’il est conçu comptablement, ne fonctionne pas convenablement, notamment parce que les dettes passées ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Il protège ainsi les clubs établis, pénalise les nouveaux entrants et a donc gravé dans le marbre une situation inégalitaire. Les neuf clubs ayant les plus gros chiffres d’affaires actuels faisaient déjà partie du top 10 de ce même classement en 2001. Il faudra donc améliorer ce système.

S’il est utile que le mouvement sportif se dote de ses propres régulations, la puissance publique ne peut faire l’économie d’une intervention étant donné l’importance du football en France et de ses nombreux dysfonctionnements. Aussi devons-nous prendre nos responsabilités. L’excellent rapport sur le fair-play financier dans le football présenté en 2013 par Thierry Braillard, Marie-George Buffet, Pascal Deguilhem et Guénahël Huet, offre de nombreuses propositions pragmatiques et judicieuses, auxquelles nous adhérons totalement.

L’ancrage territorial des clubs doit être rétabli, notamment par le biais des centres de formation qui doivent former, éduquer, permettre aux jeunes de s’émanciper dans leur équipe et avant tout dans la vie ; je l’ai évoqué en faisant référence au leader actuel de la Ligue 1. Aucun jeune ne doit être laissé sans solution : c’est aussi l’autre point que nous devons avoir à l’esprit.

Le caractère populaire du football doit être préservé et le football féminin largement encouragé. Nous sommes par exemple favorables à une subordination de l’octroi des licences à l’existence d’une équipe féminine.

Bien sûr, le contrôle de la gestion des clubs doit être largement renforcé, tant l’opacité semble de mise. Dans ce domaine, aucune solution ne doit être a priori écartée, comme la limitation des transferts ou le plafonnement de la masse salariale. Certaines solutions devront naturellement être négociées dans un cadre européen, au-delà même du cadre de l’Union, pour éviter une distorsion trop rapide entre les clubs ; mais rien ne nous empêche d’être force de proposition, et je compte sur vous, monsieur le ministre.

Ne nous résignons pas à voir le football accaparé par quelques multinationales et milliardaires. Ouvrons ce débat, défendons le développement d’un sport populaire, démocratique, ouvert à toutes et à tous, un football durable, un football vecteur des valeurs originelles du sport collectif – ces valeurs que, d’une certaine manière, nous avons retrouvées ce 11 janvier : respect, loyauté, dépassement de soi, au service d’une certaine idée du vivre ensemble dans les moments forts, que ce soit sur le terrain ou dans notre république.

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