Intervention de Patrick Kanner

Séance en hémicycle du 12 février 2015 à 15h00
Débat sur le rapport d'information sur le fair-play financier européen et son application au modèle économique des clubs de football professionnel français

Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les députés, nous avons ce débat – hasard des dates ! – alors que notre dossier de candidature potentielle pour les Jeux olympiques est sur orbite depuis ce midi. J’espère que nous allons ainsi initier une démarche très positive pour notre pays au travers de cette candidature espérée par le Gouvernement, mais qui nécessite naturellement des accords préalables, en particulier de Mme la maire de Paris, Anne Hidalgo, avec le soutien du mouvement sportif, comme il se doit.

Comme bien des élus ici présents, j’ai souvent eu l’occasion d’aller voir des matchs de football professionnel. J’ai encore régulièrement l’occasion de le faire en tant que ministre des sports et pas seulement dans cette belle discipline. Je vous l’avoue : c’est presque toujours un plaisir, pas seulement pour le spectacle sportif mais surtout pour l’ambiance que l’on retrouve dans les stades, faite de joie populaire et d’émotions collectives, grâce aux nombreux spectateurs – plus nombreux que dans l’hémicycle cet après-midi !

Mais derrière cette joie et ces sentiments qui me sont naturels, il y a aussi des inquiétudes, que beaucoup d’entre vous ont rappelées il y a quelques instants : le fair-play financier – le fair-play tout court – est-il encore au coeur de cette compétition ? La sécurité est-elle bien assurée ? Le match est-il équitable ?

Ces questions, nous nous les posons toutes et tous parce que le sport est devenu un spectacle et donc, disons-le très clairement, une activité économique à part entière. Le double effet de l’explosion des droits télévisés et du fameux arrêt Bosmanont radicalement transformé cette économie. Il est donc nécessaire de savoir comment rendre les évolutions du sport compatibles avec le respect des valeurs qu’il porte, valeurs que tous les députés ici présents ont rappelées dans leurs interventions.

Je salue par conséquent l’initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et de son avant-garde éclairée et sportive, Marie-George Buffet, qui nous permet de débattre aujourd’hui de ce sujet, sur la base du rapport d’information de qualité remis en juillet 2013.

Au-delà de Thierry Braillard, que je salue particulièrement et que j’ai l’occasion de voir régulièrement dans ses responsabilités ministérielles, je souhaite insister sur la qualité de l’analyse rendue par les parlementaires auteurs de ce rapport et issus de tous les bancs de cet hémicycle : Mme Marie-George Buffet, M. Pascal Deguilhem et M. Guénhaël Huet.

Avant d’entrer dans le coeur du sujet, il est bon de rappeler le contexte particulier dans lequel se situe le football, et plus largement le sport professionnel.

Juridiquement, le sport a cette spécificité de se situer dans un double champ. D’une part, il y a le droit des États : nous partageons tous le souhait que l’éthique sportive et l’équité des compétitions soient respectées dans les pratiques sportives, des matchs amateurs aux grandes rencontres professionnelles.

Grâce aux ministres des sports successifs, que je salue, et à l’action du législateur, la France est en pointe sur la protection des valeurs, notamment du sport professionnel, avec l’existence obligatoire d’un contrôle de gestion des clubs, des règles en matière de subventionnement par les collectivités ou encore la réglementation de l’activité d’agent – je reviendrai sur ce point.

En outre, la France inscrit sa législation dans un cadre conventionnel, et particulièrement dans celui des traités de l’Union européenne. À cet égard, nos règles doivent tenir compte des décisions du juge communautaire, notamment celles prises en application des principes de libre circulation des travailleurs ou de libre concurrence. Tant en matière de transferts de joueurs que de dispositifs relatifs au financement de la formation, le droit français doit se conformer aux règles des traités.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous poussons autant pour la reconnaissance d’une spécificité sportive au niveau communautaire, afin que les règles du sport, notamment celles qui ont pour objet de faire respecter l’équité sportive, ne soient pas systématiquement soumises aux dispositions de droit commun de la libre concurrence. Je crois que nous partageons toutes et tous cet avis : non, le sport, comme la culture, n’est pas une activité comme les autres, quand bien même il serait une activité économique.

Mais parlons de l’autre champ des règles auxquelles le sport est soumis, que l’on appelle la lex sportiva. C’est tout le champ de la loi sportive, issu non seulement des organisations et fédérations internationales, bien sûr, mais aussi de nos fédérations sportives, puisque le code du sport leur reconnaît un pouvoir réglementaire propre.

Ces règles, qui sont liées à l’autonomie du mouvement sportif, sont édictées par des organes privés ; mais nous ne pouvons pas les ignorer. Le fait par exemple que la FIFA – Fédération Internationale de Football Association – déréglemente l’activité d’agent à partir de 2015 ne peut être passé sous silence. Le fair-play financier de l’UEFA, qui est le thème de votre rapport, est un exemple typique de ce droit privé qui vient se superposer à nos propres règles, cette fois-ci de manière pertinente.

Au plan national aussi, il est tout à fait nécessaire de le prendre en compte. Ainsi, en matière de contrôle de gestion, d’incompatibilités liées aux conflits d’intérêts – ils sont nombreux –, de licences de clubs ou encore de plafonnement de la masse salariale, nos fédérations et ligues sont extrêmement actives.

Je tiens à le souligner : le mouvement sportif s’est pris en main et si nous sommes là parfois pour l’inciter, voire le contraindre, nous sommes aussi et surtout là pour le soutenir et le protéger dans ses démarches.

À cet égard il faut rappeler que la plupart des initiatives prises par les ligues, notamment sur les questions de joueurs formés localement ou de régulation financière, sont attaquées judiciairement par certains clubs – je ne ferai pas d’autres commentaires.

Elles ne le sont pas sur la base des règles du droit français, qui encouragent ces initiatives tout en laissant à chaque discipline le soin de définir les règles qui protègent le mieux ses compétitions ; elles le sont sur la base du droit communautaire. L’État est à leurs côtés, je pense par exemple au basket ou au rugby, pour défendre les règles qu’ils ont définies et qui doivent être respectées par les équipes participant à leurs championnats.

Évoquons maintenant, un à un, chacun des grands thèmes abordés par le rapport dont nous discutons – de manière synthétique, rassurez-vous !

En ce qui concerne la reconnaissance de la spécificité sportive au niveau communautaire, je vous en ai déjà un peu parlé et je peux vous dire que nous sommes déterminés et actifs, et d’abord auprès de la Commission européenne : ma prédécesseure et Thierry Braillard ont ainsi saisi dès leur arrivée la Commission pour encourager une initiative communautaire en matière de fair-play financier, qui pourrait prendre la forme d’une directive.

Auprès du Conseil ensuite : j’ai moi-même proposé aux ministres européens des sports réunis à Rome, et à Michel Platini, que l’on reconnaisse la spécificité sportive en lui donnant une traduction concrète à travers l’édiction de règles. Je vous avoue qu’il n’est pas forcément évident de convaincre nos homologues européens sur ce point, notamment ceux d’Europe du Nord, qui considèrent l’autonomie sportive comme un principe fondamental interdisant l’intervention des États en la matière. Mais là encore, notre salut peut venir des institutions sportives elles-mêmes, qui demandent aux États une faculté de régulation propre, dérogatoire aux strictes règles de droit commun. C’est ainsi que l’UEFA est parvenue à définir des règles compatibles avec les traités en négociant avec la Commission. Des alliances avec d’autres États, tout aussi concernés, peuvent aussi être passées et nous permettre de tracer de nouvelles perspectives dans ce domaine.

Nous encourageons aussi pleinement les initiatives du Conseil de l’Europe en matière d’intégrité sportive. Après en avoir été l’inspiratrice, la France a ainsi très récemment signé la convention de Macolin contre la manipulation des compétitions sportives. La démarche que nous menons auprès de l’Union européenne pour qu’elle signe elle aussi cette convention a de fortes chances d’aboutir.

Le niveau européen est le plus pertinent pour deux raisons. D’une part, dans un contexte extrêmement compétitif sur le plan sportif, nous ne pouvons pas imposer des règles nationales si contraignantes qu’elles constitueraient un désarmement unilatéral de la France.

Nous saluons les initiatives très fortes et très saines de la ligue nationale de rugby en matière de plafonnement de la masse salariale. Mais si elles peuvent être prises, c’est parce que le championnat de France est le plus puissant d’Europe sur le plan économique et que nous pouvons montrer la voie. C’est évidemment moins le cas de nos championnats de basket-ball ou de football, qui doivent trouver le moyen d’assainir leur discipline tout en se maintenant dans un environnement très concurrentiel.

D’autre part, notre meilleure chance de faire évoluer notre droit est de faire évoluer d’abord les règles communautaires. C’est bien le désarmement collectif et la définition de solutions communes que nous prônons en matière de sport professionnel.

Je ne veux pas dire que nous ne pouvons pas avancer seuls sur certains sujets, et de nombreuses propositions du rapport dans le domaine du respect de l’éthique et de la transparence sont à prendre en considération. La proposition d’une chambre de compensation placée auprès de la ligue pour gérer les flux financiers relatifs aux transferts de joueurs, l’obligation du dépôt des mandats ou encore l’interdiction formelle d’embauche des joueurs sous tierce propriété sont tout à fait pertinentes et je les soutiens.

La transparence sur les transferts doit aussi prendre d’autres formes. L’idéal serait certes, madame Buffet, que les joueurs paient leurs agents. Mais à cet égard, ni la prohibition du paiement des agents par les clubs, en vigueur avant 2010, ni son autorisation n’ont fait la preuve de leur efficacité. Je suis donc convaincu que la solution réside dans l’amélioration de la traçabilité des sommes versées aux agents. Et qui de mieux placé pour surveiller les transferts d’argent que les organismes de contrôle de gestion, qui scrutent au quotidien les comptes des clubs ? Des organismes similaires à la DNCG, dont l’indépendance serait encore renforcée, seraient à mon sens le meilleur outil de supervision financière et de transparence s’ils avaient le pouvoir de contrôler les comptes des agents. Je pense que cette mesure innovante serait particulièrement efficace dans un contexte où les clubs paient les agents, car ce sont les clubs qui sont le plus facilement contrôlables.

Dans le domaine de la promotion des talents locaux et de la valorisation de la formation, il y a aussi des améliorations à apporter. Vous avez raison de dire que la règle des joueurs formés localement est saine pour protéger et encourager la formation. Les fédérations et les ligues en sont d’ailleurs parfaitement conscientes. Le football a la chance d’être exportateur de joueurs et la France est même la première au monde en la matière. Dans les autres disciplines, des règles de protection très fortes ont été mises en place, mais elles sont aujourd’hui attaquées au niveau communautaire par des agents et par des clubs. Je peux vous dire ici que nous soutenons au quotidien les efforts des ligues pour faire reconnaître leur droit d’édicter ces règles et que nous mettons les services de l’État à leur disposition.

Nous avons aussi lancé un travail sur la formation dispensée dans les centres des clubs professionnels afin de garantir le double projet et l’éducation citoyenne. Le sport professionnel comptant beaucoup de candidats, mais peu d’élus, la formation ne doit pas être que sportive : je peux vous dire, que la encore, en dépit des efforts qu’il reste à faire, la France est en pointe.

Le sujet de l’amélioration de l’image du sport est aussi important. Je tiens à souligner qu’il ne faut pas se laisser aveugler par les montants très élevés de certains salaires ou les mauvais comportements de quelques-uns. Le sport est à l’image de notre société, c’est-à-dire imparfait. Mais je sais aussi que de nombreux clubs professionnels ont mis en place des actions citoyennes, des programmes éducatifs ou caritatifs. Dans le cadre de notre dialogue avec eux et dans la perspective de la réunion, le 6 mars, du comité interministériel pour la lutte contre les inégalités et la promotion de la citoyenneté, le Premier ministre nous a demandé de réfléchir au rôle du sport dans la construction de cette unité nationale tant attendue par nos quartiers en difficulté.

Thierry Braillard a parlé hier, aux assises du supporterisme, de la place des supporters. Il a été clair : nous soutenons la structuration du mouvement parce que les clubs, les pouvoirs publics et le sport français ont tout intérêt à disposer d’interlocuteurs représentatifs pour améliorer la sérénité du spectacle sportif.

Mesdames, messieurs les députés, j’ai déjà beaucoup parlé du contrôle de gestion. Ces organismes ont un rôle terriblement difficile puisqu’ils ont quasiment droit de vie ou de mort sur les clubs pour préserver l’intérêt supérieur du sport, qui passe par l’équité des compétitions. Il faut qu’ils soient indépendants. Cela pourrait passer par la loi, même s’ils font régulièrement la preuve qu’ils le sont de fait. Il faut aussi, à mon sens, qu’ils soient adaptés à chaque discipline, pour lesquelles les enjeux et les pratiques sont différents. Ne tuons pas un système qui a largement fait ses preuves. D’ailleurs, si nous soutenons pleinement le fair-play financier mis en place par l’UEFA, nous souhaitons également qu’il puisse s’inspirer du modèle français, notamment à travers la prise en compte de l’endettement des clubs.

Enfin, et vous avez parfaitement eu raison de l’aborder, le sujet de la compétitivité des clubs sportifs est le corollaire nécessaire à notre capacité à lui appliquer des règles de régulation efficaces. Celles-ci seront en effet d’autant plus appliquées et respectées que le sport français sera fort au niveau européen. La suppression de la taxe sur les spectacles que nous avons proposée et que vous avez votée en loi de finances est un premier pas que je tiens à saluer.

Mais tous les moyens doivent aussi être mis en oeuvre pour améliorer la gestion des enceintes sportives par les clubs : on le sait, le renforcement de leur principal outil productif est nécessaire au développement économique du sport professionnel et sera le seul moyen d’assurer le désengagement progressif des collectivités.

Après ces mots sur le sport professionnel, qui est l’objet de ce rapport, j’ai envie de conclure sur le sport amateur, celui qui est pratiqué le week-end dans nos stades et dans nos gymnases municipaux. Je veux saluer tous les éducateurs et tous les bénévoles, le mouvement sportif étant le plus grand secteur bénévole de France, qui accompagne les jeunes, et les moins jeunes, sur les terrains. Rappelons-nous que le fair-play, ce sont en premier lieu ces éducateurs qui le font respecter au cours des milliers de rencontres sportives qui se déroulent chaque semaine.

J’ai bien entendu, madame Buffet, votre propos sur l’article 62 du projet de loi Macron, qui n’a d’ailleurs pas encore été examiné par votre assemblée. Il faut naturellement permettre aux clubs d’accroître leurs ressources propres si l’on veut qu’ils se passent du financement des collectivités locales. Cependant – je le dis avec une grande sérénité – si ces ressources doivent passer par une extension du modèle publicitaire, encore faut-il que celle-ci soit compatible avec d’autres règles de droit, notamment la loi Evin.

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