Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 12 février 2015 à 15h00
Débat sur le rapport d'information sur l'évaluation de l'adéquation entre l'offre et les besoins de formation professionnelle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Monsieur le président, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de l’évaluation de l’offre et des besoins en formation professionnelle. C’est un sujet majeur pour notre société, particulièrement en cette période de profondes évolutions socio-économiques et technologiques. Nous avons d’ailleurs eu l’opportunité d’y travailler, il y a tout juste un an, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Je rappelle que ce texte avait été précédé, en janvier 2014, d’un rapport d’information de nos collègues Jeanine Dubié et Pierre Morange portant précisément sur « l’évaluation de l’adéquation entre l’offre et les besoins de formation professionnelle ». Ce rapport a permis de poser un diagnostic éclairant sur le fonctionnement du système paritaire et les effets de la décentralisation. Il a également souligné le fait que l’accès à la formation professionnelle est, dans notre pays, très insuffisant et de surcroît inégalitaire.

En effet, selon le rapport, ce sont les personnes les plus diplômées et les plus qualifiées qui accèdent le plus facilement à la formation professionnelle continue. Les chiffres avancés sont éloquents. Chez les actifs occupant un emploi, 66 % des diplômés de niveau supérieur à bac + 2 ont suivi au moins une formation dans l’année 2012 contre 25 % seulement des personnes sans diplôme. Ce sont également les cadres qui accèdent le plus aisément à la formation : ils étaient 68 % en 2012, contre 37 % pour les ouvriers. Il faut ajouter que la taille de l’entreprise accentue ces inégalités.

Quant aux demandeurs d’emploi, ils sont véritablement les parents pauvres de la formation, ce qui est assez paradoxal. Là encore, les chiffres du rapport d’information sont éloquents. En 2012, 566 000 demandeurs d’emploi sont entrés en formation, soit 4,5 % de moins qu’en 2011. Et seuls 12 % des fonds de la formation professionnelle bénéficiaient aux demandeurs d’emploi. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cet état de fait, dont la difficulté à analyser les besoins en formation, le coût de la formation, le poids des responsabilités familiales et l’éloignement géographique du lieu de formation.

Le projet de loi adopté le 5 mars 2014 permettra-t-il de lever ces obstacles ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais nous avions déjà fait part de certaines préoccupations qui, bien sûr, persistent aujourd’hui.

Nous avons approuvé le changement d’approche faisant passer d’une obligation de dépenser à une obligation de former, ainsi que la création d’un compte individuel de formation et la portabilité du droit à la formation. Nous avons également salué l’augmentation du plafond des heures de formation, passant de 120 à 150 heures, même si ces chiffres sont modestes – Mme Eva Sas vient de nous le rappeler – et si, au regard des difficultés réelles et prégnantes dans l’accès à la formation que je rappelais, ces avancées restent timides.

Mais nous avions souligné deux grandes limites à ce projet de loi sur lesquelles je crains fort que celui-ci n’achoppe. La première est la baisse massive de l’obligation de financement de la formation professionnelle par les employeurs, de l’ordre de 2,5 milliards d’euros, soit près d’un tiers. On peut légitimement se demander comment prétendre améliorer l’accès à la formation en en réduisant aussi massivement les moyens.

La seconde est un droit d’opposabilité marginal pour le salarié. Comment peut-on prétendre favoriser l’accès des catégories populaires des personnes les moins diplômées et les moins qualifiées à la formation quand on fait porter sur le seul salarié le poids de la responsabilité de la lutte contre l’illettrisme ?

Quant aux salariés à temps partiel, qui sont à 80 % des femmes, ils seront doublement pénalisés puisque contraints à ne travailler que peu de temps, ils auront très peu d’heures inscrites à leur compte personnel de formation.

L’ensemble de ces réserves, vous le comprendrez, nous laisse sceptiques sur les progrès que l’on peut attendre de cette loi qui vient tout juste d’entrer en vigueur. Pour ces raisons, notre débat aujourd’hui est sans doute précoce. Il peut toutefois être le préalable à un prochain échange, quand nous serons en mesure d’évaluer précisément si les dispositions de cette loi ont pu réduire les inégalités d’accès à la formation, notamment pour celles et ceux qui en ont le plus besoin, ce qui doit rester notre seule boussole.

Je rappellerai enfin pour conclure qu’aux termes de la constitution du 27 octobre 1946, la nation doit : « garantir l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. » Il reste, chacun le mesure, beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre cet objectif.

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