Intervention de Nathalie Chabanne

Séance en hémicycle du 12 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 49

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Chabanne :

Je voudrais revenir à l’exposé des motifs de ce projet de loi. Il précise : « L’entrée de nouveaux investisseurs au capital de ces sociétés aéroportuaires doit permettre à ces sociétés de bénéficier d’une expertise additionnelle et d’une capacité financière accrue, permettant ainsi d’accélérer leur développement ». On y lit également : « L’État veille cependant à disposer, par son rôle de concédant et de régulateur, des leviers adéquats pour atteindre les objectifs qui sont les siens en matière de garantie du service public aéroportuaire, de maîtrise des programmes d’investissements et de contrôle de l’évolution des tarifs de redevances aéronautiques. »

Outre que l’« expertise additionnelle » n’est en rien garantie, les actualités à propos des concessions autoroutières ont jeté une lumière nouvelle sur les conditions dans lesquelles les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont été privatisées. Cela doit nous inciter à la plus extrême prudence quant aux garanties dont l’État dispose réellement en qualité de concédant et de régulateur.

Je n’ai pas la chance de faire partie de la commission spéciale, mais j’ai lu dans le compte rendu les précisions que vous avez apportées, monsieur le ministre. Je vous cite : « l’ouverture du capital des sociétés de gestion aéroportuaires diffère profondément de celle des concessions d’autoroutes : en effet, l’ouverture du capital est limitée et un contrat de régulation économique l’encadre. » L’État entend céder les 60 % de parts qu’il détient dans ces sociétés : je ne vois pas en quoi l’ouverture du capital est limitée ! Certes, elle ne sera pas de 100 %, mais les acteurs privés n’en seront pas moins majoritaires.

J’avoue être tout aussi dubitative quant aux contrats de régulation économique qui les encadrent. Dès 2008, la Cour des comptes rendait un rapport intitulé Les Aéroports français face aux mutations du transport aérien, dans lequel elle préconisait d’améliorer le rôle de l’État régulateur. C’était même une recommandation prioritaire. Sans entrer dans le détail, la Cour des comptes visait à la fois les méthodes de fixation des redevances, l’encadrement de leur évolution ou encore la qualité du service. Elle estimait nécessaire de mieux orienter les indicateurs pour prendre en compte les résultats perçus par les passagers et les compagnies, et de ne pas se borner aux simples résultats comptables.

Vous me direz que, depuis ce rapport, nous avons franchi une étape supplémentaire, ne serait-ce qu’avec le contrat conclu par l’aéroport de Lyon et l’État pour les années 2015 à 2019. Certaines clauses sont plus précises que ce qui existait en 2008. Nous sommes cependant loin de la période où l’État concédait un certain nombre de services publics, avec comme seule contrepartie un engagement contraignant sur la qualité du service rendu et sur les prix. Or aucune disposition de ce projet de loi ne renforce les moyens d’action de l’État sur ces concessions aéroportuaires, qui ont été prolongées, en 2005, au-delà de 2040 ; le doute est donc permis quant à leur efficacité.

En second lieu, monsieur le ministre, l’exposé des motifs recèle à mes yeux des contradictions pour le moins inquiétantes. Il affirme que cette mesure permettra à l’État de céder ses participations dans des conditions avantageuses, mais, deux lignes plus bas, concède que l’impact financier ne peut être estimé précisément à ce stade, car la valorisation de la participation de l’État dépendra in fine des offres présentées.

Un grand économiste, prix Nobel d’économie, a donné le 13 janvier une conférence ici même, à l’Assemblée nationale. Il s’agit de Joseph Stiglitz ; je voudrais mettre ses propos en regard des dispositions du projet de loi que nous examinons actuellement. Il a évoqué un certain nombre de réformes que la France pourrait d’ores et déjà engager. Il a également évoqué les privatisations, non pas d’une manière générale, mais telles qu’elles sont envisagées par ce projet de loi. À ce propos, il disait qu’elles ne rendront pas notre pays plus riche, à moins que les actifs soient vendus à des étrangers à des prix supérieurs à leur valeur. Mais, ajoutait-il, ces actifs seront probablement sous-évalués, comme c’est presque toujours le cas en période de ralentissement économique. En conséquence, concluait-il, le pays s’appauvrira, et le bilan financier pour l’État, mesuré de manière appropriée, en sera diminué, même si la dette publique à court terme sera réduite.

En dernier lieu, monsieur le ministre, je vous rappelle que les infrastructures de transport – au même titre que celles de l’énergie – sont stratégiques puisqu’elles concourent à l’aménagement du territoire, politique publique par excellence. Elles constituent aussi un facteur majeur pour l’attractivité et la compétitivité de la France. Enfin, elles sont au coeur de la souveraineté du pays. La maîtrise publique de ces infrastructures stratégiques doit donc être garantie pour éviter la perte de souveraineté que les Grecs, par exemple, ont subie avec le port du Pirée, ou les Portugais, avec leurs aéroports et leurs infrastructures électriques. En transférant au secteur privé la majorité du capital de ces sociétés aéroportuaires, l’État prend le parti de perdre le contrôle d’infrastructures stratégiques.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je considère que la cession de ces aéroports est prématurée. Elle doit, dans tous les cas, être accompagnée de meilleures garanties. Dans ces conditions, nous proposons la suppression de l’article 49.

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