Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du 13 février 2015 à 9h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 59

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Les articles 59 et suivants visent à renforcer les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, notamment en matière de concentration économique. Le groupe UMP a déposé des amendements de suppression de chacun de ces articles. La raison en est simple : on ne saurait d’un côté afficher une volonté de libérer l’activité tout en introduisant, de l’autre, des mesures de contrainte importantes sur les entreprises.

Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez la raison d’être de chacun de ces articles et les conséquences concrètes qu’ils entraîneront pour les entreprises et l’activité économique. Que vont-elles y gagner ? Telle est bien l’ambition que vous affichez, en effet : simplifier la vie des entreprises et leur donner un bol d’air. Or, nous ne comprenons pas comment ces mesures pourraient aller dans ce sens.

Plus généralement, ces articles nous préoccupent parce qu’ils prévoient un renforcement sans précédent des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence. Celle-ci est présente tout au long du texte – en matière de transports, de commerce ou encore de professions juridiques. Il va de soi que nous ne faisons pas de l’intervention de l’Autorité de la concurrence en tant que telle un casus belli, mais nous vous reprochons son omniprésence si manifeste dans ce texte. Nous avons en effet l’impression que vous instaurez lentement mais sûrement, dans tous les secteurs, une économie de plus en plus administrée – à l’inverse du discours public que vous tenez par ailleurs.

En outre, l’existence d’une « super-autorité indépendante » – pardonnez-moi l’expression – aux pouvoirs quasi exorbitants pose la véritable question du contrôle du contrôleur. Par définition, une autorité indépendante ne rend compte ni devant la représentation nationale ni même devant le Premier ministre.

Permettez-moi de m’arrêter plus précisément sur l’article 59 ter, ce qui m’évitera d’y revenir tout à l’heure. Adopté à l’initiative du Gouvernement en commission spéciale, cet article vise à permettre à l’Autorité de la concurrence de se procurer, auprès des opérateurs téléphoniques, les factures détaillées des usagers – autrement dit, les fameuses « fadettes ». Le Gouvernement a justifié ce nouveau pouvoir d’intrusion dans la vie privée des personnes par une autorité administrative indépendante au motif que d’autres autorités administratives chargées de la répression des infractions économiques en disposent déjà – et, à l’appui de votre argumentation, vous avez cité l’administration fiscale et douanière, l’Autorité des marchés financiers, et la célèbre Hadopi.

Or, cette possibilité n’est pas aussi générale et absolue que le Gouvernement dans son ensemble et vous-même en particulier, monsieur le ministre, avez voulu le dire. En effet, les agents des finances publiques et des douanes sont tenus au respect de la règle générale et absolue du secret professionnel édictée par le code pénal à l’égard des personnes auxquelles des renseignements confidentiels sont confiés à l’occasion de l’exercice de leur profession, ce qui n’est le cas ni des membres de l’Autorité de la concurrence ni des membres de ses services permanents ou temporaires.

Ensuite, s’agissant de l’Hadopi, seuls certains de ses agents, dûment et spécifiquement assermentés par son président, y sont autorisés ; la limitation est donc là aussi plus importante.

Quant à l’Autorité des marchés financiers, enfin, elle ne dispose pas en réalité de ce pouvoir : l’article L.621-10 du code monétaire et financier permet à ses enquêteurs et contrôleurs de faire usage d’une fausse identité pour recueillir des preuves sur internet lorsque les personnes visées par une instruction fournissent leurs services en ligne. Vous conviendrez que c’est bien différent de l’argumentation que vous avez formulée.

Sauf erreur de ma part, le dispositif prévu par l’article 59 ter ne comporte aucun verrou. En premier lieu, l’Autorité de la concurrence pourra faire usage de son pouvoir au cours d’une enquête simple, et non pas en cas d’infraction particulièrement grave. Par ailleurs, aux termes de l’article 450-1 du code de commerce, les agents des services d’instruction habilités par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, des fonctionnaires habilités par le ministre de l’économie mais aussi des agents de l’Autorité de la concurrence d’un autre État membre de l’Union européenne seraient susceptibles d’y recourir. Enfin, ces derniers n’encourent aucune sanction particulière en cas de divulgation de ces informations.

De ce point de vue, cet article porte une atteinte manifestement disproportionnée à la vie privée des personnes, en dehors de toute intervention du juge et, de ce fait, sans garantie des droits – et sans que l’objectif poursuivi d’harmonisation des pouvoirs ne puisse nous convaincre.

Lorsque l’on connaît, en matière de sécurité publique, l’obsession de la gauche en général et de votre gouvernement en particulier à interdire toute atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles, on ne comprendrait pas qu’elle ne souscrive pas à la suppression de cet article, qui contreviendrait largement à certaines libertés publiques fondamentales.

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