Intervention de Ben Lefetey

Réunion du 29 janvier 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet :

J'y viens. Cette expulsion d'une parcelle occupée illégalement, à laquelle j'ai assisté en tant qu'observateur, s'est dans un premier temps déroulée de manière normale, les forces de l'ordre agissant, a priori sur la base d'une décision de justice et donc en présence du directeur du cabinet du préfet et d'un membre du conseil général, de manière correcte et proportionnée. S'en est suivi un face-à-face entre forces de l'ordre et manifestants, ces derniers évidemment mécontents mais ne s'en prenant pas aux gendarmes. C'est alors qu'un manifestant a franchi le cordon des forces de l'ordre pour grimper sur un tas de débris. Il était seul, les bras ballants, et la logique aurait voulu que les gendarmes viennent le chercher pour le ramener sur la voie publique : il n'aurait opposé aucune résistance, et tout serait rentré dans l'ordre. Au lieu de cela, un membre du PSIG – le même que celui qui avait jeté la grenade dans une caravane – est arrivé en courant, l'a saisi par le bras, l'a fait tomber en arrière, risquant de le blesser grièvement sur les débris tranchants, avant de le traîner sur le sol. Cela a évidemment suscité la colère des autres manifestants, qui ont débordé le cordon de gendarmes pour porter secours à leur camarade et ont commencé à escalader les pelleteuses. Les images de la scène montrent alors des membres du PSIG et des forces de l'ordre en civil s'en prendre violemment aux manifestants grimpés sur les pelleteuses, au risque de les blesser, tandis qu'un gendarme en civil de la gendarmerie de Gaillac – je peux en témoigner, car c'est le même qui a saisi ma déposition sur la mort de Rémi Fraisse – jetait les manifestants sur les débris. Des gaz lacrymogènes ont enfin été lancés pour évacuer tout le monde.

Voilà comment s'enclenche la spirale de la violence car, lorsque ces images sont diffusées sur internet, elles attirent d'autres manifestants sur les lieux, dont certains forts de leur expérience à Notre-Dame-des-Landes. Début mars, une cinquantaine de personnes sont ainsi arrivées en renfort pour organiser la défense de la zone humide, en y installant des barricades. Encore une fois, les gendarmes, dans leur grande majorité ne sont pas en cause, et l'on voit sur les images le commandant rappeler à l'ordre le membre du PSIG ayant fait preuve de brutalité. Quoi qu'il en soit, cette expulsion, qui signe le premier acte de violence des forces de l'ordre, a été annulée par la Cour d'appel de Toulouse, qui l'a jugée illégale.

En ce qui concerne la position des élus et sa légitimité, je voudrais rappeler qu'à l'automne 2013, avant que l'État n'autorise le projet de barrage, nous avons adressé un courrier aux deux ministres concernés, avec copie aux députés et sénateurs du Tarn, aux préfets du Tarn et du Tarn-et-Garonne, au préfet de région, au président du conseil régional, aux présidents des conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne, à l'ensemble des conseillers généraux ainsi qu'au maire de Lisle sur Tarn. Ce courrier reprenait les conclusions de notre contre-rapport ainsi que l'ensemble des avis défavorables montrant que le projet était surdimensionné.

Il aura malheureusement fallu attendre un an pour que cette alerte soit enfin entendue par les pouvoirs publics, après que les experts du ministère ont procédé aux mêmes analyses que nous et abouti aux mêmes constats, tout comme la Commission européenne, qui a jugé le projet illégal au regard du droit européen et non éligible aux financements européens. Aujourd'hui, la pertinence du projet est enfin reconsidérée, mais il aura fallu, pour en arriver là et malgré tous nos efforts pour convaincre les pouvoirs publics, en passer par le saccage de la zone humide, un mort et plusieurs blessés, y compris parmi les forces de l'ordre. Cela aurait pu être évité, si les pouvoirs publics, au lieu de vouloir passer en force, avaient tenu compte de nos alertes. Nous considérons que les élus du conseil général n'ont pas défendu l'intérêt général en agissant comme ils l'ont fait et que les citoyens avaient raison d'essayer de sauver 15 à 20 millions d'euros et une zone humide d'importance départementale.

Par ailleurs, en marge de l'attitude disproportionnée des forces de l'ordre qui provoque l'arrivée sur le terrain de gens décidés à en découdre avec elles de façon plus musclée, enclenchant la spirale de la violence, il faut également s'interroger sur le rôle de la presse. En effet, certains font délibérément monter la tension, estimant que c'est le seul moyen d'attirer l'attention des journalistes sur leur combat. Je demande aux médias et aux responsables politiques s'il est normal que, lorsque la FNSEA se livre en guise de protestation à des dégradations, elle soit généralement reçue aussitôt à la préfecture et obtienne du Gouvernement qu'il recule, tandis que, lorsque la Confédération paysanne organise une marche de plusieurs jours entre la Marne et Bruxelles, elle ne bénéficie d'aucune couverture médiatique et ne dispose d'aucun moyen de pression pour faire plier le Gouvernement ?

Les gendarmes ont parlé de jets d'acide. Cela me laisse très circonspect car je n'ai pour ma part jamais eu connaissance de telles pratiques chez les manifestants. L'acide entraîne dégâts et blessures, or rien n'a jamais été constaté de tel. Photographier une bouteille d'acide posée au sol n'est pas la preuve qu'elle a été utilisée, et il faut se méfier de certaines manipulations qui visent à discréditer les manifestants aux yeux de l'opinion publique.

Il y a bien eu en revanche des tirs de cocktails Molotov lors de la manifestation des 25 et 26 octobre – les images en témoignent. Avant cette date, des cocktails Molotov ont également été lancés sur les barricades pour les enflammer et ralentir les forces de l'ordre mais, à ma connaissance, ils ne visaient pas directement ces dernières.

On sait que les éléments radicaux qui infiltrent une manifestation le font pour des raisons qui leur sont propres, et l'on peut fort bien imaginer – mais je n'ai aucune preuve de ce que j'avance – qu'en l'occurrence ils aient été téléguidés par l'extrême droite, voire par l'État lui-même, pour ternir l'image de notre combat.

Quoi qu'il en soit, nous nous étions concertés, avant la manifestation du 25 octobre, avec la préfecture du Tarn, car la DGSI s'inquiétait en effet de la présence d'éléments radicalisés parmi les manifestants. Nous nous étions engagés à assurer le service d'ordre de notre manifestation, laquelle devait se dérouler à 1,5 kilomètre du chantier, et avions obtenu que, de son côté, la préfecture évacue les engins présents sur le chantier, afin d'éviter que d'éventuels agitateurs s'en emparent. Un groupe électrogène et un Algeco laissés sur place ont malheureusement été incendiés mais, alors qu'il ne restait plus rien à défendre sur ce chantier, était-il raisonnable d'y laisser des vigiles pouvant servir de cible ? Que les consignes aient été données par Bernard Cazeneuve ou par Matignon, fallait-il, le samedi matin, laisser les forces de l'ordre postées sur le terrain ? Le plus grave, ainsi que je l'ai déclaré lors de mon audition dans le cadre de l'instruction judiciaire sur la mort de Rémi Fraisse, est d'avoir laissé les gendarmes face aux manifestants pendant la nuit. Il faut juridiquement quarante-huit heures pour que les occupants illégaux d'un terrain soient protégés d'une expulsion, donc, si les forces de l'ordre avaient quitté le chantier le samedi avant la tombée de la nuit, il aurait été parfaitement loisible aux pouvoirs publics de procéder à l'expulsion des occupants le lundi matin, pour que les travaux puissent redémarrer. Je m'interroge donc sur cette décision d'avoir laissé en place les forces de l'ordre, au risque d'affrontements nocturnes. Quel sens y a-t-il à procéder à des tirs de flash-ball ou de grenade en pleine nuit ?

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