Intervention de Jean Leonetti

Réunion du 17 février 2015 à 17h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, corapporteur :

Je partage bien entendu ce qui vient d'être dit. Alain Claeys et moi avons travaillé sur la base d'une lettre de cadrage du Premier ministre qui énumérait les trois thématiques évoquées : la sédation en phase terminale, l'opposabilité des directives anticipées et le développement des soins palliatifs.

La loi de 1999 a ouvert droit aux soins palliatifs ; celle de 2002 a rendu la parole du malade opposable s'agissant de l'arrêt des traitements ; celle de 2005, enfin, a condamné l'acharnement thérapeutique et imposé la non-souffrance et le non-abandon. Or ces trois lois ne sont pas appliquées – c'est d'ailleurs le premier constat de Didier Sicard dans son rapport. Autrement dit ce nouveau texte, pour être appliqué – et ce faisant échapper aux critiques ultérieures sur son contenu –, appelle des moyens. Le développement des soins palliatifs et la formation des médecins sont deux enjeux aussi essentiels, de ce point de vue, que le vote d'un nouveau dispositif législatif. On ne change pas les moeurs avec des lois ; en l'occurrence c'est notre culture médicale, focalisée sur la guérison bien plus que sur le soulagement des souffrances, qui doit profondément évoluer.

J'en viens aux deux mesures-phares de notre proposition de loi. La première a trait au caractère contraignant des directives anticipées : l'opposabilité, elle, poserait des problèmes juridiques, en particulier dans les situations d'urgence, où il peut être difficile d'avoir connaissance de ces directives : des soins de réanimation, dans le cas d'un suicide ou d'un accident sur la voie publique, par exemple, peuvent être nécessaires avant toute réflexion sur les souhaits éventuels du malade. L'une des faiblesses majeures de la loi de 2005 est l'absence de cadre pour la rédaction des directives anticipées, rédaction dont on peut constater la difficulté, surtout lorsque l'on est en bonne santé. Aussi proposons-nous de confier à la Haute autorité de santé (HAS) et au Conseil d'État le soin de donner un cadre à cette rédaction, conformément à la procédure suivie dans des pays qui, tels le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont des législations comparables à la nôtre. Avec ce support, la rédaction des directives anticipées sera claire pour chacun, ce qui facilitera notamment la tâche des médecins qui auront à les suivre.

Quant à la sédation en phase terminale, on a observé qu'elle est déjà possible ; elle l'est, c'est vrai, mais le médecin peut aussi ne pas l'administrer. Or 12 % des Français meurent dans des souffrances physiques intolérables, et près de 80 % des étouffements, par exemple, ne font l'objet, en fin de vie, d'aucun traitement de nature à les soulager. Comme l'a suggéré Alain Claeys, il faut donc passer d'un devoir des médecins à un droit qui est comme son miroir, le droit des malades. Il n'y a là rien qui doive choquer le corps médical, car il est évident qu'un patient à qui il ne reste que peu de temps à vivre doit être soulagé de ses douleurs ou, s'il est réfractaire au traitement, faire l'objet d'une sédation. Les médecins devraient administrer ces soins ; mais, si cette injonction à leur devoir ne suffit pas, la demande du patient doit être de droit.

La sédation revient à endormir profondément le patient ; M. Claeys et moi ne sommes pas favorables à la solution qui consiste à le réveiller périodiquement pour lui demander s'il continue de souffrir : la sédation, à notre sens, doit aller jusqu'au terme de la vie et être profonde, afin d'apaiser réellement la souffrance.

Quant au fait de savoir si la sédation contribue à accélérer la mort, cela nous paraît être un faux problème : d'une part, les sédatifs peuvent tout aussi bien allonger que raccourcir la vie, à supposer d'ailleurs qu'ils aient un effet. Puisque la sédation se prolonge jusqu'au décès, nul ne saura jamais ce qu'il en est sur ce point. D'autre part, ma conviction est que, au moment considéré, la qualité de la vie prime sur sa durée. Le devoir d'assistance trouve donc, avec la sédation profonde, son aboutissement le plus logique.

Sur la consultation citoyenne, je réserverai la primeur des analyses au président de l'Assemblée. Alain Claeys et moi, respectivement président et rapporteur d'une mission d'information sur la révision des lois bioéthiques, avions, dans ce cadre, lancé une telle consultation sur internet, d'ailleurs assortie de nombreuses auditions ouvertes au public. Cette opération avait permis de rassembler des panels de citoyens sur l'ensemble du territoire. Je rappelle aussi que c'est l'un de nos amendements à la loi sur la bioéthique de 2011 qui a rendu ce type de consultation obligatoire. On peut toutefois regretter que celle dont nous parlons arrive trop tard, et surtout qu'elle ne s'appuie sur aucun support, comme l'a noté Alain Claeys. Ce faisant elle a donné un écho à l'avis, non de l'ensemble de nos concitoyens, mais plutôt de ceux d'entre eux qui, organisés en associations, ont des convictions souvent tranchées sur ces sujets. Bref, une telle expérimentation avait déjà eu lieu, et dans de meilleures conditions puisque, d'une durée de six mois, elle s'était faite sur la base d'un support énumérant les différents courants de pensée sur le sujet : cela avait permis des échanges fructueux entre informations et contributions.

Le fait que la majorité et l'opposition se réunissent sur un texte comme celui-ci n'implique nulle trahison de part et d'autre : c'est au contraire le signe d'une convergence qui fait suite à des doutes fertiles et légitimes. Alain Claeys et moi n'avons négocié aucun compromis en acceptant telle ou telle disposition en échange d'une autre ; nous avons surmonté certaines oppositions, forts de la conviction que notre texte fait avancer la cause de l'accompagnement de la fin de vie et qu'il évitera des souffrances inutiles à certains de nos concitoyens.

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