Intervention de Pierre Cahuc

Réunion du 18 février 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Cahuc, directeur du laboratoire de macroéconomie du CREST, professeur à l'école polytechnique :

J'insisterai sur le marché du travail, non seulement parce qu'il s'agit de mon domaine de spécialité mais parce que c'est un sujet essentiel si l'on veut regagner des points de croissance à court ou moyen terme.

Le PIB par tête des États-Unis est supérieur de 35 % à celui de la France, lequel a tendance à décrocher. Cette situation s'explique non par notre faible productivité, mais par le fait que nous travaillons moins que les Américains. Si notre taux d'emploi est extrêmement élevé entre trente et cinquante-cinq ans, nous commençons à travailler plus tard et nous cessons de le faire plus tôt. Entre 2007 et 2012, le taux d'emploi a baissé chez les jeunes, et globalement chez les moins de quarante ans, alors qu'il est demeuré stable pour les personnes entre quarante et cinquante-cinq ans. La baisse importante de l'emploi des jeunes s'explique par la rigidité à la baisse des salaires et par le fait que les jeunes, souvent employés en contrat à durée déterminée – CDD –, sont les premiers à perdre leur emploi en période de ralentissement économique.

Il y a cependant une bonne nouvelle : pendant cette période de récession, le taux d'emploi des seniors – compris entre cinquante-cinq et soixante-trois ans – a augmenté de près de 10 %. J'y vois l'effet d'une politique d'incitation à rester dans l'emploi, qui a reculé l'âge de la retraite, limité la possibilité de rejoindre la retraite en passant par le chômage et réduit les dispenses de recherche d'emploi. Depuis 2011, l'allocation équivalent retraite a elle aussi diminué.

Ces chiffres montrent qu'en période de ralentissement économique, on peut augmenter l'emploi de manière significative, ce qui stimule le PIB. Depuis 2008, l'Allemagne, dont le taux d'emploi a connu une hausse importante, bénéficie d'un taux de croissance plus élevé que le nôtre. Il n'y a donc pas lieu de croire que la croissance expliquerait à elle seule l'évolution de l'emploi. Celle-ci découle essentiellement de la mise en place de bonnes incitations. Le chômage provient, pour les seniors, d'un problème d'offre, et pour les jeunes, souvent non-qualifiés, d'un problème, à court terme, de demande et, à plus long terme, de formation.

Ces dernières années, l'augmentation significative de l'emploi des seniors a limité le choc de la récession, mais le fait que celle-ci ait surtout frappé les jeunes est un frein à la croissance. Entre 2005 et 2011, le taux des jeunes de quinze à vingt-cinq ans hors emploi, formation et éducation (not in employment, education or training – NEET) a augmenté en France mais fortement diminué en Allemagne, où il s'était élevé entre 2000 et 2005. L'amélioration de la situation allemande, imputable à une politique volontariste, est d'autant plus spectaculaire qu'elle intervient dans un contexte de récession. Elle confirme que, si l'on s'en donne les moyens, on peut influer sur le taux de croissance. Cependant, l'Allemagne possède encore une marge de progression, surtout par rapport aux Pays-Bas, où le taux des jeunes NEET est de 7 %.

Réduire ce taux, qui atteint 20 % en France, devrait être une des priorités des politiques. Toutes les études empiriques montrent que les jeunes qui subissent des épisodes de chômage connaissent ensuite des difficultés d'intégration durables, dans la société comme dans l'emploi, ce qui constitue à terme un obstacle à la croissance. Un épisode de non-emploi entre dix-huit et vingt-cinq ans entraîne une baisse durable sur le salaire, jusqu'à l'âge de quarante à cinquante ans.

Pour agir sur la croissance à l'horizon de deux à cinq ans, on peut augmenter significativement le taux d'emploi des seniors : le nôtre n'est que de 40 %, alors qu'il se monte à 60 % dans certains pays. On peut aussi augmenter le taux d'emploi des jeunes dans le secteur marchand. Pour ce faire, il existe deux leviers.

À court terme, il faut baisser le coût du travail au niveau du SMIC, où sont embauchés essentiellement des jeunes non qualifiés, dont le taux de chômage atteint 40 %. Cette mesure de court terme sera aussi efficace à long terme, puisqu'un jeune qui travaille aujourd'hui recevra par la suite un salaire plus élevé.

À moyen terme, il faut favoriser la formation des jeunes, notamment via l'apprentissage, et améliorer la gouvernance des formations en alternance. Avec Marc Ferracci, Jean Tirole et Étienne Wasmer, j'ai rédigé une note sur le sujet pour le Conseil d'analyse économique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion