Intervention de Pierre Cahuc

Réunion du 18 février 2015 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Cahuc, directeur du laboratoire de macroéconomie du CREST, professeur à l'école polytechnique :

Le meilleur moyen de réduire le chômage des jeunes est de concentrer les baisses de charges sur les bas salaires. Parce qu'il concerne une palette de salaires trop large, le crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi – CICE – n'aura qu'un effet très faible sur l'emploi. Il augmentera la rémunération des personnes qui gagnent plus de 1,5 SMIC, dont le taux de chômage, situé aux alentours de 5 %, est très faible. Il est dommage d'avoir employé 20 milliards d'euros sans cibler le dispositif, ce qui a réduit un d'autant les possibilités de création d'emplois.

Avec Stéphane Carcillo, j'ai étudié le dispositif « zéro charge », qui a réduit les cotisations de l'employeur entre 1 et 1,6 SMIC dans les petites entreprises. Nous avons observé comment évoluaient dans le temps les entreprises de plus et de moins de dix salariés. Il est apparu que 67 % des personnes embauchées grâce à ce dispositif avaient moins de vingt-cinq ans.

En matière de droit du travail, la voie est étroite, en raison d'une jurisprudence foisonnante et inventive de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui fragilise toute tentative législative de modifier les modalités de rupture du contrat de travail. Une possibilité serait d'allonger la durée maximale des CDD ; une autre, de clarifier les modalités des licenciements pour raison économique, paradoxalement beaucoup moins nombreux que les licenciements pour motif personnel. La moitié des départs s'expliquent aujourd'hui par une fin de CDD, signe qu'on n'embauche plus en contrat à durée indéterminée – CDI. Pour clarifier le sujet, je travaille avec des juristes, notamment Jean-Emmanuel Ray.

En France, l'apprentissage fonctionne assez mal. Il existe plus de 500 000 formations en alternance – 410 000 contrats d'apprentissage et 150 000 contrats de professionnalisation – mais une particularité française veut que l'école et les régions aient la main sur l'apprentissage, alors qu'en Allemagne, en Autriche, au Danemark ou en Suisse, où le système fonctionne mieux, ce rôle revient aux partenaires sociaux et aux entreprises. Il n'est pas normal de laisser trop de place à l'État, mais celui-ci doit veiller à ce que les entreprises ne dispensent pas une formation trop spécifique, ce qui réduirait la possibilité pour les salariés d'aller trouver d'autres employeurs.

En France, du fait de l'obligation de passer par le rectorat et la région, les seules formations en alternance qui aient augmenté depuis quinze ans ont été montées dans le supérieur. L'exemple de l'école d'ingénieurs cité par M. Lefebvre est significatif. En Allemagne, les formations en alternance, qui sont des formations d'excellence, s'arrêtent au baccalauréat. On observe l'inverse dans les régions françaises : les organismes les plus dynamiques capables de monter des formations en alternance, les universités ou les écoles d'ingénieurs et de commerce utilisent l'argent public destiné à la formation des jeunes. C'est ainsi qu'un système qui devrait favoriser la formation des jeunes en difficulté profite en fait aux diplômés.

Le seul moyen de mettre fin à cette dérive est de changer la gouvernance du système. Il faut limiter le rôle prépondérant de l'école, qui ne s'intéresse pas à l'apprentissage, et dont les enseignants ne savent pas optimiser ce type de formation, pour redonner l'initiative aux entreprises. Dans la note destinée au CAE que j'ai rédigée en décembre avec Marc Ferracci, Jean Tirole et Étienne Wasmer, nous nous inspirons du système de formation professionnelle instauré en Allemagne par les réformes Hartz.

Nous proposons que les formations soient certifiées par des agences contrôlées par un organisme d'accréditation nationale, où seraient représentés les partenaires sociaux, l'école et le ministère du travail. Concrètement, si une entreprise ou une branche veut monter une formation en alternance, elle s'adresse à une agence et monte son dossier avec un centre de formation d'apprentis – CFA – ou une université. Ce dossier est ensuite visé par une agence chargée de son suivi, qui, au vu de certains critères, certifie la formation. Après trois à cinq ans, celle-ci doit recevoir l'accréditation d'une autre agence, ce qui évite toute collusion. Le système que nous proposons rencontre l'opposition de l'école et des régions. Tout est compliqué en politique. Reste que la France consacre près de 6 milliards d'euros à créer des formations en alternance, alors que le système n'a pas réellement de pilote sur le territoire national. J'ajoute que la segmentation en régions ne tient pas compte de la mobilité de la main-d'oeuvre. Mieux vaudrait s'en remettre à des agences bénéficiant d'une vue plus large.

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