Intervention de Laurence Morel

Réunion du 30 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Laurence Morel :

Je remercie votre groupe de travail et ses deux présidents de la confiance qu'ils me témoignent. Il s'agit, il est vrai, d'un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps ; pour autant, je n'ai pas de positions catégoriques, car la matière est extrêmement complexe. Il est très difficile de parler du référendum en général tant les types de référendums sont nombreux. C'est pourtant ce que je m'emploierai à faire dans un premier temps.

Avant de répondre, dans cet exposé et ensuite dans la discussion, à quelques-unes des questions que vous m'avez préalablement adressées, je voudrais essayer de poser le problème du référendum en France selon mes propres termes.

La question de fond, s'agissant de l'avenir du référendum en France, est de savoir si un accroissement du recours au référendum, qui nécessite peut-être l'introduction d'un nouveau droit référendaire, est susceptible d'apporter une contribution à la crise que traverse actuellement notre système politique – crise dont il m'a semblé qu'elle était l'une des raisons d'être de votre groupe de travail.

Pour répondre à cette question, il faut donc partir de la crise de notre système politique. Essayer d'en déterminer les traits principaux n'est déjà pas chose facile. On peut néanmoins s'accorder sur le fait que cette crise est, au minimum, une crise de confiance des citoyens envers leurs institutions, leurs dirigeants politiques, leurs partis, leurs syndicats, c'est-à-dire envers les intermédiaires qui sont les acteurs de la démocratie représentative. La dernière vague du Baromètre de la confiance politique, mis en place depuis 2009 par le CEVIPOF, en témoigne amplement, confirmant ce que l'on avait déjà relevé les années précédentes.

On peut également s'accorder sur le fait que notre système politique vit une crise de fonctionnement. C'est en premier lieu parce que le défaut de confiance est lui-même un dysfonctionnement. La confiance, c'est en quelque sorte le carburant qui permet à la machine de tourner, autrement dit au système politique de produire des décisions et de les faire accepter. Mais il y a aussi crise de fonctionnement parce que la performance du système, c'est-à-dire sa capacité à résoudre ce que les citoyens considèrent comme les principaux problèmes de leur existence, semble s'être réduite, ou en tout cas – et c'est ce qui compte –, est considérée comme telle.

Dans ce contexte de double crise, la question du référendum peut donc être reposée ainsi : l'augmentation de la place des référendums, ou des possibilités de référendum à travers le droit référendaire, est-elle susceptible d'apporter une contribution positive à la crise de confiance, de même qu'à la crise de fonctionnement, de notre système politique ?

Je crois que c'est par là qu'il faut commencer, même s'il est particulièrement difficile de raisonner en termes généraux tant il y a de variétés de référendums et tant les modalités et circonstances de leur tenue peuvent en altérer la pratique et la signification. Mais je crois qu'il y a tout de même un certain nombre d'effets que le référendum, ou au moins certains types de référendums, sont capables de produire, même si ces effets ne sont pas toujours garantis et peuvent nécessiter certaines précautions d'usage pour s'avérer en pratique.

Le référendum peut-il redonner confiance dans le système politique ?

On pourrait arguer que, si la défiance est principalement liée à la baisse de performance du système politique – aux « mauvais résultats », comme on dit plus couramment –, alors il faut aller directement à la seconde question et se demander en quoi le référendum pourrait éventuellement améliorer cette performance.

D'après la même enquête du CEVIPOF, la défiance, notamment celle qui s'exprime à l'égard des personnalités politiques, semble en effet liée en premier lieu à l'absence de résultats probants de leur action.

Pour autant, cela ne signifie pas, à mon avis, qu'une association plus grande des citoyens à la confection des politiques n'aurait aucun effet sur la confiance qu'ils ont dans leur démocratie représentative : on peut penser au contraire que la possibilité de contester les décisions politiques ou les textes législatifs, ou d'en proposer, en particulier au niveau local, aurait pour effet de responsabiliser davantage les citoyens, de mieux les intégrer au système politique, de les rendre plus conscients de la complexité des problèmes et, surtout, de leur donner le sentiment d'être écoutés – actuellement, près de 90 % des individus « pensent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leur avis ». Bref, le recours à la pratique référendaire pourrait accroître la confiance dans la démocratie, indépendamment même du bien-être collectif auquel cette pratique pourrait contribuer en termes de politique publique.

Un des meilleurs spécialistes de la démocratie directe suisse, qui faisait l'année dernière à Paris une conférence sur le sujet et qui ne passe pas pour un fanatique des référendums, M. Yannis Papadopoulos, soulignait ainsi que la principale vertu de la démocratie directe en Suisse est la légitimation du système politique, et même le fait qu'elle génère une sorte de « patriotisme constitutionnel », expression qu'il emprunte à Habermas : non seulement les Suisses ont une confiance élevée dans leurs institutions, mais, plus encore, s'y identifient. Il ne faut donc pas négliger l'effet possible d'un développement de la procédure référendaire sur la confiance.

En second lieu, le référendum peut-il améliorer le fonctionnement de notre système politique, en particulier sa performance, sa capacité à résoudre les problèmes ?

Il est beaucoup plus difficile de répondre à cette question, je serai donc plus prudente. Mais on ne peut l'éluder, car l'idée la plus répandue, l'argument le plus classique contre le référendum et la démocratie directe en général, c'est que le peuple serait inapte à gouverner. Les arguments sont nombreux : l'incompétence des citoyens, ou leur indifférence, les conduirait à des choix contraires à l'intérêt général, à être manipulés, notamment par des minorités ; ou, à l'inverse, ce seraient les minorités qui feraient les frais des décisions majoritaires du fait de la « tyrannie de la majorité » ; ou, enfin, les décisions populaires seraient potentiellement plus dangereuses pour les libertés et les droits individuels que celles des représentants élus. Au lieu d'améliorer la performance du système politique, sa capacité à produire des politiques adaptées, les référendums ne risquent-ils pas plutôt de la détériorer ultérieurement ?

Encore une fois, il est très difficile de répondre à cette question. En la matière, on ne peut que regarder les expériences réalisées dans les démocraties, et essayer de voir si ces craintes se sont révélées justifiées en pratique. Il est plus facile à cet égard d'évaluer d'éventuelles atteintes aux droits des minorités ou aux droits individuels qu'à l'intérêt général. Les Suisses se penchent régulièrement sur cette question, en ce qui concerne l'initiative populaire. Les études montrent que l'initiative populaire a rarement conduit à remettre en cause des droits acquis, mais qu'en revanche elle a parfois empêché une extension de ces droits. À ma connaissance, les études américaines sur la démocratie directe à l'intérieur des États parviennent aux mêmes conclusions.

Précisons cependant que la Suisse ne pratique qu'un contrôle juridictionnel très peu contraignant, et ce depuis 1999 seulement, sur les atteintes potentielles des initiatives populaires aux droits et libertés individuelles.

Par ailleurs, les Suisses se demandent souvent si certaines décisions populaires ont été préjudiciables à l'intérêt général. La question la plus discutée est évidemment celle du rejet par référendum de l'entrée dans l'Union européenne, contre l'avis de la grande majorité des partis et des élites. Mais les Norvégiens se posent la même question, de même que les Danois et les Suédois s'agissant du rejet de l'euro, et l'on pourrait citer beaucoup d'autres exemples. En définitive, qui peut répondre à cette question ? Les peuples en question se porteraient-ils mieux s'ils avaient suivi l'avis de leurs élites ? Qui peut le dire ?

Ce que l'on peut dire, en revanche, c'est qu'il existe tout de même de nombreux moyens de réduire le risque de « mauvaises » décisions. Le contrôle juridictionnel de la conformité d'une proposition référendaire à la Constitution ou à d'autres textes en est un, très efficace, qui s'est beaucoup développé durant les dernières décennies, y compris en France. Beaucoup de pays, notamment l'Italie, ont défini des règles relativement à la question posée – simplicité, clarté, unicité – ou à la campagne référendaire, qui permettent de porter à un haut degré la capacité du vote à exprimer une volonté populaire authentique et informée sur la question posée. Certains organismes non gouvernementaux ont permis également de réaliser des progrès importants dans la définition des « referendum best practices » et dans le monitorage des référendums, notamment le suivi des campagnes, de plus en plus souvent assuré par des experts en mission d'observation. Le référendum écossais de cet automne était, de ce point de vue, un modèle du genre.

Je crois qu'il faut sortir d'une démarche un peu myope consistant à ne voir que l'impact du contenu des décisions référendaires, et prêter attention à d'autres effets, potentiellement très vertueux, du référendum sur la performance du système politique. J'ai parlé tout à l'heure de la capacité du référendum à redonner un peu de confiance dans les institutions. Or, s'il est vrai que la confiance est indispensable au bon fonctionnement des institutions, on tient déjà ici un premier impact positif sur la gouvernance. Dans un registre similaire, il faut tenir compte de la légitimité particulière dont jouissent les décisions populaires. Certes, cette légitimité, qui dépend de nombreux facteurs, est loin d'être automatique, mais elle constitue un « potentiel » spécifique du référendum.

S'agissant enfin de l'initiative populaire, on sait la contribution décisive qu'elle a apportée en Suisse à la « démocratie de la concordance », c'est-à-dire une démocratie qui procède à une concertation intense et très inclusive des intérêts en amont du processus législatif, de manière à éviter le déclenchement en aval des référendums. Sans doute la France ne deviendra-t-elle pas une démocratie de la concordance, mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux effets vertueux de l'initiative populaire, ne serait-ce que par son existence et par la « menace » qu'elle constitue pour des élus qui n'ont jamais très envie de voir des référendums organisés et qui pourraient ainsi être amenés à de meilleures pratiques.

Pour répondre aux deux questions que je posais en introduction, il me semble qu'une extension du référendum serait à même d'améliorer la relation des Français avec leurs dirigeants politiques et leurs institutions ; quant à la performance de nos institutions, elle ne peut que profiter d'un regain de confiance. À tout le moins, le référendum n'est pas voué, comme on le croit souvent – en France surtout –, à être la pire des choses : une conception attentive de ses modalités, notamment des questions sur lesquelles il peut porter sur le fond et sur la forme, des détenteurs de son initiative, de l'échelle territoriale à laquelle il est appliqué, du contrôle juridictionnel et des règles de campagne, devrait aboutir à une pratique utile et vertueuse.

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