Intervention de Laurence Morel

Réunion du 30 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Laurence Morel :

En France, au niveau local ou national, l'initiative populaire n'en est pas vraiment une. Nous avons affaire à une forme de droit « hypocrite ».

Au niveau national, je ne suis pas hostile à l'initiative partagée introduite en 2008 à l'article 11 de la Constitution : l'idée qu'une minorité parlementaire puisse rencontrer une minorité populaire n'est pas mauvaise. Le peuple devrait cependant pouvoir prendre l'initiative du processus, ce qui reste aujourd'hui l'apanage des élus : il faudrait que des signatures puissent être recueillies sans qu'elles constituent un soutien à une proposition de loi préalablement déposée au Parlement. En l'état actuel, le nombre de signatures requis est par ailleurs exorbitant : il doit impérativement être ramené à un niveau plus raisonnable. Songez que le « dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales », qui est exigé, correspond à 4,5 millions de signatures : c'est absolument ridicule !

Par ailleurs, il ne semble pas pertinent que ce référendum, que je qualifie « d'initiative minoritaire », puisse ne pas avoir lieu si les deux assemblées se contentent d'examiner la proposition de loi présentée en application de l'article 11. À l'étranger, dans tous les cas similaires, le rejet de la proposition de loi provoque le référendum. Nous ne pouvons pas conserver sous sa forme actuelle un dispositif aussi hypocrite.

Au niveau local, la seule « initiative populaire » qui fasse sens est prévue non par la Constitution, mais par le code général des collectivités territoriales. Une fois encore, la situation est absurde, car les citoyens, qui doivent à nouveau être excessivement nombreux, ne peuvent que demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'un débat visant à autoriser l'organisation d'une consultation qui n'aurait, si l'assemblée donne son aval, que valeur consultative. On ne prend pas les Français au sérieux avec ce genre de disposition. Mieux vaudrait aller de l'avant et renforcer le droit d'initiative qui constituerait un moyen de couper l'herbe sous les pieds des populistes en rapprochant les citoyens de ceux qui les gouvernent.

La démocratie participative est aujourd'hui beaucoup plus à la mode que le référendum, lequel semble réservé à quelques doux rêveurs qui croient encore en l'expression de la volonté populaire. Je n'ai évidemment rien contre elle, mais elle ne concerne que de toutes petites minorités de citoyens – des professionnels de la démocratie participative – que l'on se contente de consulter. Elle reste donc extrêmement imparfaite.

Certes, le référendum n'implique jamais tous les citoyens, mais ils sont toujours plus nombreux que ceux impliqués dans les procédures de démocratie participative. Le référendum mobilise largement, et il pousse les électeurs à s'informer, à réfléchir, à débattre.

Pour ma part, je suis opposée à la mise en place d'un quorum qui lierait la validité des résultats au niveau de participation. Depuis le milieu des années 1990, les Italiens ont répondu « oui » à quasiment toutes les consultations, mais elles ont pourtant toutes été annulées faute d'un nombre de participants suffisant. Le camp du « non », même s'il est minoritaire, sait parfaitement instrumentaliser le quorum en poussant ses propres partisans à ne pas se rendre aux urnes. La participation aux référendums n'est souvent que de 30 ou 40 %, comme c'est le cas en Suisse, et, sur ce sujet, je n'irais pas aussi loin que M. Giraux : j'admets que cela pose un problème. Je crois toutefois en la capacité du référendum à mobiliser l'électorat si la campagne est bien menée et si la question intéresse les citoyens.

Les questions posées méritent de retenir votre attention, car, si elles ne suscitent pas l'intérêt, si elles sont trop complexes, soit les électeurs ne se déplacent pas, soit nous constatons un glissement d'enjeu. En France, le référendum national peut donner lieu à ce glissement pour deux causes principales. En raison du rôle initiateur du Président de la République, personnage central de la vie institutionnelle et politique, les citoyens peuvent préférer envoyer un message à ce dernier plutôt que répondre à la question posée. Cela est surtout vrai, et il s'agit de l'autre cause du glissement d'enjeu, lorsqu'ils estiment que la question posée est de peu d'intérêt ou qu'elle est trop complexe. Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen a sans doute été très intéressant, mais je ne crois pas qu'il soit vraiment judicieux de soumettre à la population un texte de 200 pages. En l'espèce, le glissement d'enjeu ne s'est pas opéré vers la personne du Président, mais vers une question générale : « Quelle Europe voulons-nous ? » Il s'agissait sans doute d'un bon glissement, même s'il reste que le traité était l'objet réel du vote, et que le « non » a signifié son rejet – ce qui n'est peut-être pas plus mal. Au final, les Français n'ont donc pas vraiment répondu à la question qui leur était posée.

Est-il raisonnable de demander aux citoyens de se prononcer par un vote unique sur des textes qui contiennent une multitude de dispositions ? Le problème se pose par exemple pour les révisions constitutionnelles, dès lors qu'elles portent sur plusieurs sujets. Il serait sans doute préférable d'interroger les citoyens sur une seule orientation – on leur demanderait par exemple s'ils souhaitent que la règle de l'unanimité soit remise en cause pour la prise de décision au niveau européen. Si une question unique, simple et dépourvue d'ambiguïté est posée, il y a plus de chance de mobiliser les gens et d'éviter le glissement d'enjeu. Il reste cependant quasiment inévitable dès lors que l'initiative du référendum appartient au Président de la République, mais, à mon sens, il ne se produirait pas si le sujet en jeu passionnait véritablement nos concitoyens. En cas de référendum d'initiative présidentielle sur le mariage pour tous, les Français n'exprimeraient ni leur défiance ni leur confiance à l'égard du Président : ils se prononceraient sur le sujet, parce qu'il les intéresse.

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