Intervention de Denis Giraux

Réunion du 30 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Giraux :

Le champ que nous explorons est tellement vaste et méconnu que nous devons conclure brièvement sans en avoir exploré toutes les dimensions. Si je me permettais une facétie, monsieur le président, je vous suggérerais de nous inviter à nouveau. Faute de temps, je me contenterai de deux remarques.

Je trouve toujours extraordinaire que certains puissent s'étonner que le peuple réponde « non » à un référendum ! Une réponse négative serait donc illégitime ? Si l'on pose une question référendaire, il faut pourtant s'attendre à ce qu'il soit répondu « oui » ou « non », sans quoi l'on ne pose pas de question. Ce serait un adoubement populaire. Passez-moi le terme que j'utilise au sens littéral : ce serait débile !

En France, la confusion existe bel et bien entre référendum et dérive plébiscitaire. La formation, ou plutôt la déformation, de nos élites y est pour beaucoup – à ce titre, l'intervention de M. Tourret était caricaturale. Pourtant, la différence entre référendum référendaire et référendum plébiscitaire tient à un facteur simple : la fréquence. Si la population est interrogée tous les dix ans, elle répondra plus à celui qui l'interroge qu'à la question posée. Les dictatures pratiquent ce type de référendum. En 1986, Ceauşescu a demandé aux Roumains s'ils étaient d'accord pour une baisse de 5 % des dépenses militaires ; ils ont répondu « oui ». En revanche, si le référendum est fréquent, la population finit par répondre à la question. En tout état de cause, il ne faut pas lier le sort de celui qui la pose au résultat.

Nombre d'entre vous se sont interrogés sur l'objet du référendum. Il peut porter sur un sujet sulfureux comme l'euthanasie. Depuis 1997, en Oregon, suite à la décision du peuple prise par référendum d'initiative populaire, la prescription d'une médication létale à un malade en phase terminale qui en fait la demande est légale. Les autorités de cet État américain, catholiques ou protestantes, ont évidemment hurlé, et le Président George W. Bush a bien tenté de la faire invalider ; la mesure est restée en vigueur. Ce que le peuple a voulu s'applique sur un sujet éminemment délicat sans que tous les Américains se précipitent dans l'Oregon pour y mourir. Une solution a été choisie concernant l'un des aspects de l'épineux problème de la fin de vie : sans me prononcer sur le fond, je constate qu'elle est issue de la volonté du peuple et qu'elle fonctionne.

Monsieur Thibault, notre génération est passée par les isoloirs. Nous adorions déposer un bulletin dans l'urne lors de la grand-messe du dimanche de scrutin. Aujourd'hui, les générations nouvelles sont sur internet. Essayez de demander à des gamins d'aller voter : ils vous répondront que cela pourrait se faire électroniquement. L'Estonie ou la Suisse font partie des rares nations à avoir mis en place le vote par internet. En Suisse, il a été systématisé pour se substituer au vote par correspondance. Les autorités fédérales, à l'origine opposées à cette solution, ont fini par s'y rallier pour des raisons économiques – comme il me semble que nous sommes ruinés, nous pourrions nous en inspirer. Résultat : il n'y a pas de fraudes, et cela fonctionne !

Nous passerons un jour aux élections et aux référendums électroniques. Le procédé pourra évidemment poser d'énormes problèmes, mais il comportera également un avantage énorme : en cas de fraude, la solution ne sera pas difficile à trouver, il suffira de recommencer quelques heures plus tard. Le référendum électronique permet aussi de renforcer la communauté nationale : où qu'ils se trouvent, tous les Suisses peuvent aujourd'hui participer aux nombreuses votations. Les nations seront demain de plus en plus nomades. Trois cent mille Français se trouvent déjà à Londres ; le vote électronique constituerait une excellente solution, même si elle est prospective, pour qu'ils restent dans la communauté nationale.

Pour conclure, j'insiste sur le fait qu'il faut dissocier, d'une part, les référendums locaux et nationaux, dont les enjeux ne sont pas de même niveau, et, d'autre part, le référendum qui vient d'en haut, à la main des autorités, de celui qui vient d'en bas. Pour ma part, je suis férocement engagé en faveur des procédures d'initiative populaire – la popular initiative en opposition à la popular demand –, car elles donnent aux minorités, évidemment « extrémistes », qui ont enclenché la procédure la certitude qu'elle ira jusqu'à son terme. En Suisse, ces procédures ne tournent pas à la révolution ; elles permettent seulement de prendre en considération des individus qui sont parfois laissés pour compte. Il faut bien reconnaître que, pour les élus, repasser sous les fourches caudines de l'élection est toujours désagréable.

Alors que la Suisse ou la Californie étaient encore des cas d'école quasiment isolés lorsque j'ai commencé mes travaux il y a trente ans, les procédures d'initiative populaire comme la révocation se développent considérablement aujourd'hui. Elles semblent bien correspondre à des nécessités sociétales. Il ne faut pas en avoir peur ; il faut les encadrer.

Le référendum d'initiative populaire est totalement différent du référendum. C'est un monde à part. Selon ce que l'on souhaite en faire, il est techniquement possible de mettre en place une procédure extrêmement ouverte à l'initiative populaire ou extrêmement fermée.

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