Intervention de Guillaume Liegey

Réunion du 13 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Guillaume Liegey :

Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité. J'ajouterai une précision à la présentation que vous avez bien voulu faire de mon parcours. En plus d'observer la campagne de Barack Obama en 2008, j'ai eu la chance avec mes deux amis Vincent Pons et Arthur Muller de diriger en 2012 la campagne de terrain de François Hollande au cours de laquelle nous avons eu l'occasion de frapper à beaucoup de portes. C'est avant tout à une échelle micro que j'envisagerai les partis, en vous faisant part de mon expérience d'un point de vue opérationnel.

Beaucoup constatent un déclin des partis. Les chiffres incitent au pessimisme : baisse du nombre de militants, diminution de la participation. On assiste à l'émergence de mouvements contestataires, voire de mouvements spontanés comme Podemos, et à la disparition de partis de gouvernement comme le PASOK grec, processus qui a donné lieu au terme de « pasokisation » qui inquiète bien des dirigeants de partis politiques européens.

Toutefois, j'aimerais vous livrer un message d'optimisme car je crois qu'il y a énormément de choses à faire pour transformer la façon dont fonctionnent les partis politiques. C'est ce à quoi s'attache la start-up que je dirige : elle développe de nouveaux outils technologiques pour accompagner la transformation des partis politiques et les campagnes électorales.

Trois leviers principaux peuvent être activés.

Il s'agit, premièrement, des nouvelles technologies : non pas Twitter ou Facebook, mais des outils rendant plus facile la connexion entre militants et citoyens. Ainsi l'interface my.barackobama.com a-t-elle permis à des personnes n'ayant jamais participé à une campagne électorale de leur vie de s'inscrire en cinq minutes comme volontaire pour rejoindre la campagne présidentielle de 2008.

Deuxièmement, l'analyse du big data, qui se développe grâce aux données gratuites disponibles – vous connaissez le travail d'Etalab autour de l'open data –, permet d'élaborer des modèles prédictifs ciblant, par exemple, les endroits où les partis politiques ont le plus intérêt à tenter de recruter des militants.

Troisièmement, les partis peuvent mettre à profit les dernières avancées de la recherche scientifique. Michel Winock demandait si le collage et le tractage servaient encore à quelque chose à l'ère numérique. Eh bien, au même titre que les appels téléphoniques, le porte-à-porte, les tweets, ce sont des actions dont il possible de mesurer l'impact avec précision. Vous ne serez sans doute pas surpris si je vous dis que c'est le contact direct qui est le plus efficace pour encourager les gens à se reconnecter au monde politique.

Je ne vais pas vous raconter que j'ai inventé le porte-à-porte. Mme Buffet le sait mieux que moi, puisque le parti communiste menait déjà il y a plus de quarante ans des campagnes de terrain de très grande envergure. Celle que j'ai organisée avec mes amis en 2012 s'est d'ailleurs inspirée de cet exemple ainsi que de la campagne américaine de 2008. Nous avons simplement essayé d'envisager différemment cette pratique.

Comment peut-on saisir concrètement la transformation du champ des campagnes électorales ?

En 2008, lorsque je suis arrivé aux États-Unis, j'avais fait de nombreuses lectures concernant la campagne d'Obama, présentée comme la plus moderne jamais organisée, la première campagne du XXIe siècle : un simple clic permettait désormais de convaincre des milliers d'électeurs. Sur le terrain, je voyais avant tout des volontaires, sac au dos, allant frapper aux portes, ce qui me paraissait davantage s'apparenter à une technique du XIXe siècle. Derrière cette idée simple, il y avait en réalité beaucoup de réflexion et une énorme organisation. Des études scientifiques très rigoureuses, fondées sur l'évaluation randomisée, ont montré que frapper aux portes permet de mobiliser bien davantage d'électeurs que les appels téléphoniques. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : il faut frapper à quatorze portes pour convaincre un abstentionniste d'aller voter quand il faut distribuer 100 000 tracts ou passer quarante appels téléphoniques pour obtenir ce même résultat. Plus le contact se fait de manière directe, plus l'impact est grand, ce qui incline à l'optimisme.

En 2010, lors des élections régionales, nous avons mené une expérience dans les quartiers populaires d'Ile-de-France avec l'équipe de campagne de Jean-Paul Huchon pour voir si le porte-à-porte permettait encore de mobiliser les électeurs. Nous avons pu constater son efficacité, notamment auprès de personnes dont on pouvait penser qu'elles étaient éloignées définitivement de la politique. Je veux parler des Français d'origine étrangère et de leurs enfants, que nous avons ciblés grâce à la mention du lieu de naissance sur les listes électorales, les statistiques ethniques étant interdites en France. Aller vers les gens en leur parlant cinq minutes, dans un esprit ouvert, pour leur rappeler qu'il y a une élection et leur donner des informations contribue à les remobiliser. C'est ainsi que nous sommes parvenus à augmenter la mobilisation de cinq points, de 30 % à 35 %.

Autre question : quelles leçons tirer de l'analyse des transformations des campagnes électorales pour la vie des partis ?

Je vois deux vertus à ces campagnes de terrain. La première est la repolitisation de personnes que l'on pensait sorties définitivement de la mobilisation politique. La deuxième est d'inciter les militants à sortir de leurs zones de confort en allant faire campagne au-delà de leur environnement immédiat pour parler à des gens qu'ils ne rencontrent peut-être plus dans leur vie quotidienne.

Au vu de ces enseignements, les partis politiques pourraient continuer à faire du porte-à-porte en dehors des périodes de campagne pour encourager l'inscription sur les listes électorales. Mon collègue Vincent Pons a mené une expérience en ce sens à la fin de l'année 2011 : il a pu obtenir une augmentation de 30 % des inscriptions qui, fait intéressant, ont été suivies de votes effectifs.

Nous pourrions imaginer également des campagnes d'information en dehors de tout cycle électoral. Récemment, en Californie, des associations pro-avortement ont ciblé le comté d'Orange, réputé pour son conservatisme, afin d'essayer de convaincre les habitants du bien-fondé de leur cause. Elles ont dépêché des femmes ayant elles-mêmes subi un avortement pour faire du porte-à-porte : après une conversation d'une quinzaine de minutes – soit une durée plus longue que pour le porte-à-porte électoral – 30 % des personnes ont durablement changé d'avis, comme une enquête menée un mois plus tard l'a confirmé. Cette expérience donne espoir : elle montre que, même s'agissant de sujets compliqués, sources de clivages, aller sur le terrain pour prendre le temps d'échanger peut avoir un effet positif.

J'évoquerai, pour finir, un dernier bénéfice que l'on peut tirer de ces nouvelles chances. Les partis politiques sont des lieux de passage pour beaucoup de personnes qui occupent ensuite des positions de pouvoir, vous en êtes des exemples, mesdames, messieurs les députés. Si les candidats recourent de plus en plus à ces méthodes innovantes, apprennent à utiliser les résultats de la recherche scientifique, foisonnante en ce domaine, pour mener leurs campagnes électorales, on peut imaginer que de tels réflexes se développeront davantage une fois qu'ils seront au pouvoir. La professionnalisation des partis politiques débouchera sur une professionnalisation de la manière de concevoir et d'évaluer les politiques publiques.

1 commentaire :

Le 16/12/2016 à 22:51, Laïc1 a dit :

Avatar par défaut

"Récemment, en Californie, des associations pro-avortement ont ciblé le comté d'Orange, réputé pour son conservatisme, afin d'essayer de convaincre les habitants du bien-fondé de leur cause. Elles ont dépêché des femmes ayant elles-mêmes subi un avortement pour faire du porte-à-porte : après une conversation d'une quinzaine de minutes – soit une durée plus longue que pour le porte-à-porte électoral – 30 % des personnes ont durablement changé d'avis, comme une enquête menée un mois plus tard l'a confirmé."

Et si des militants anti-avortement avaient fait la même chose, dans des quartiers hippies, n'y aurait-il pas eu le même pourcentage de changement d'avis ?

Finalement ces initiatives s'annulent, les partis politiques prêchent non pas la vérité scientifique ou morale, mais leur idéologie. Ils sont dangereux pour la démocratie en tant que propagateur d'idées toutes faites ou manipulées, seule la science est véritablement démocratique, la science objective expliquée aux gens sans aucune arrière pensée idéologique, et que les citoyens décident ensuite en leur âme et conscience par voie de référendum.

On pourrait objecter : si la science a toujours raison, il n'y a pas plus besoin de parti politique que de référendum citoyen, mettons-là au pouvoir et le monde sera heureux, sain, bien organisé, ce sera le paradis sur terre...

C'est certes un peu vrai, mais le danger majeur est celui-ci, et c'est aussi le reproche que je fais à l'oligarchie : c'est, dans ce pouvoir absolu et sans partage, de murer les gens, les citoyens, dans le silence, dans le déni de parole, et il est scientifiquement prouvé que l'absence de parole rend l'homme inhumain et le fait retourner à la barbarie.

Aristote disait que "l'homme est un animal politique", autrement dit, s'il n'est plus politique, c'est-à-dire rattaché non pas au parti politique, mais à la vie de la cité par la parole, (cité qui se dit "polis" en grec ancien), alors il redevient animal, avec toute l'idée de sauvagerie et d'instinctivité qui y est associée.

Le référendum est ainsi un impératif de civilisation pour le citoyen, et c'est pourquoi l'oligarchie doit s'effacer pour laisser vivre la parole citoyenne.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion