Intervention de Denis Baranger

Réunion du 13 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Baranger :

Je remercie, moi aussi, nos deux intervenants pour leur contribution très enrichissante.

Monsieur Sawicki, si nous étions en 1990 ou en 1995, nous aurions également pris pour point de départ le constat d'une crise des partis. Il s'agit d'un « pont aux ânes », qui n'en est pas moins vrai. Sa permanence atteste paradoxalement la robustesse des partis, qui n'ont jamais été remplacés : comme de l'État, on en diagnostique inlassablement la crise mais ils survivent très bien, merci ! Parallèlement, leur structure et leur fonctionnement se renouvellent peu. En d'autres termes, sans doute parce qu'ils sont structurellement nécessaires à la démocratie représentative, les partis peuvent se permettre de continuer d'exister en état de maladie chronique. Les formes nouvelles de mobilisation dont on nous annonçait dès le milieu des années 1990 qu'elles allaient tout balayer sur leur passage ne l'ont pas fait, qu'il s'agisse des ONG, dont on promettait qu'elles résoudraient les problèmes internationaux, voire nationaux, ou de mouvements très intéressants car porteurs d'un matériau intellectuel nouveau, comme ATTAC ou la Confédération paysanne. Sans nécessairement dépérir, ces structures n'ont pas été capables de transformer la politique au point de remplacer les partis.

Pourquoi les partis survivent-ils ? Et, sans vouloir cultiver le paradoxe, cette survie n'est-elle pas l'une des causes de leur crise ?

En second lieu, je m'interroge sur la proportionnelle. Je crois savoir que, selon vous, le système majoritaire comporte certaines difficultés : le fait que 85 % des députés appartiennent à l'un des deux grands partis est problématique dès lors que l'on semble aller vers un tripartisme de fait. Sans être politiste, je sais bien qu'il n'existe pas véritablement de causalité en ces matières, que les corrélations mêmes sont douteuses, que les liens sont complexes entre les élections et la manière de gouverner, entre les coalitions électorales regroupant les partis et les coalitions de gouvernement, bref que le passage est délicat de la logique et de la science électorales aux conditions du gouvernement. Néanmoins, la proportionnelle en France ne créerait-elle pas des difficultés par son effet en aval ? Il me semble que le gouvernement par des coalitions pose dans notre pays un problème que l'accroissement de la proportionnelle, peut-être nécessaire par ailleurs, risque d'accuser. Les personnes présentes qui ont fait l'expérience de la gauche plurielle le savent, comme d'autres membres du groupe de travail aujourd'hui absents qui ont connu la première séquence du présent quinquennat : les coalitions de gouvernement ne fonctionnent pas très bien. C'est même le cas des coalitions d'opposition : le Front de gauche n'a rien d'un long fleuve tranquille. Or si l'on peut changer un mode de scrutin, il est plus difficile de modifier une culture politique et de gouvernement.

J'aimerais maintenant poser à M. Liegey trois questions notées à la volée et qui pourront de ce fait paraître abruptes – je m'en excuse par avance, car telle n'était pas mon intention.

Premièrement, comment les start-ups comme les vôtres sont-elles financées ? D'où les partis tirent-ils l'argent qui permet à ces sociétés de fonctionner efficacement, comme cela semble être le cas de la vôtre ?

Deuxièmement, si, de consultant électoral, vous deviez devenir une sorte d'Arthur Andersen, comme on disait autrefois, c'est-à-dire de conseiller en stratégie interne, que recommanderiez-vous aux partis quant à leur structure ? Autrement dit, leur suggéreriez-vous non seulement de modifier leur stratégie de porte-à-porte ou de tractage, mais, plus profondément, de changer de l'intérieur ? Y avez-vous réfléchi ?

Troisièmement, avez-vous également réfléchi au risque de scientisme que comporte votre manière d'aborder la politique ? On voit bien la culture américaine qui vous inspire. Ainsi, dans le New York Times, on trouve sans cesse des articles sur le thème : « tel ou tel problème sociétal se pose, mais, heureusement, nos laboratoires ont trouvé un moyen [ou : nos scientifiques ont posé une équation] qui permet de le résoudre ». Dans la Silicon Valley, on appelle cela le solutionnisme : à tout problème social, une solution technologique. Et ce n'est pas faux, au moins dans un premier temps – vous en êtes l'incarnation. Mais les personnes qui étudient ou vivent la politique depuis un certain temps – ce qui n'est pas mon cas – peuvent nourrir une certaine défiance envers la foi dans l'algorithme, qui risque d'accentuer le phénomène de « boîte noire » que les spécialistes de sciences politiques connaissent bien, ou encore l'oligarchie. Pourquoi remplacerait-on des oligarchies sociales ou de compétence par des oligarchies scientifiques ? La politique française n'aurait-elle pas à y perdre ? Car sa grande beauté, et ce qui fait qu'elle est problématique, certes, mais vivante, c'est qu'il s'y agit précisément de politique, de personnes qui se battent pour des idées. Mme Buffet vient de rappeler qu'un parti est fondé sur la bataille idéologique. Que devient celle-ci entre les mains d'experts comme vous ?

1 commentaire :

Le 17/12/2016 à 22:26, Laïc1 a dit :

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" Sa permanence atteste paradoxalement la robustesse des partis, qui n'ont jamais été remplacés : comme de l'État, on en diagnostique inlassablement la crise mais ils survivent très bien, merci !"

C'est normal qu'ils survivent : ils tiennent tous les rênes de la politique et du pouvoir, même ce débat est organisé avec leur permission, c'est dire la confiance qu'ils ont en leur suprématie pour ne pas craindre les répercussions d'une réflexion officielle sur leur existence. Leur pouvoir est donc ainsi exorbitant, au point qu'ils peuvent prendre le risque que l'on réfléchisse sur la démocratie, sur eux, en n'ayant même pas peur d'être remis en question. Le pouvoir pour le pouvoir, c'est le parti pour le parti, et ainsi sombre la démocratie.

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