Intervention de Nathalie Hanet

Réunion du 18 février 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Nathalie Hanet, directrice générale de l'établissement public d'insertion de la Défense, EPIDE :

Merci de m'accueillir aujourd'hui. L'EPIDE a été créé il y a bientôt dix ans par Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, et M. Jean-Louis Borloo, alors ministre du Travail. L'ambition était alors de transposer en métropole le service militaire adapté (SMA) qui existe outre-mer depuis 1961. L'objectif assigné à l'époque était d'offrir, dans un délai relativement court, 20 000 places en EPIDE. Actuellement, nous comptons 2 085 places alors que, par ailleurs, l'an dernier, nous ressentions quelques inquiétudes quant à la fermeture de certains centres dans le but de restreindre la dépense et d'équilibrer le budget de l'établissement. À ces 2 085 places correspond un flux annuel de 3 500 jeunes.

L'objectif de l'EPIDE est l'insertion professionnelle et sociale de jeunes majeurs de 18 à 25 ans qui ont peu ou n'ont pas de qualification. Ces jeunes adultes sont volontaires et signent un premier contrat de deux mois puis de cinq mois, soit un parcours total de huit mois même si, en pratique, les trajectoires peuvent être un peu plus rapides ou, inversement, un peu plus longues.

La singularité de l'EPIDE, qui fait également sa force, c'est de proposer un accompagnement global à ces jeunes, avec la mise en place de regards croisés de professionnels très différents. Il s'agit d'une réelle spécificité dans un paysage social caractérisé par des dispositifs qui, généralement, prennent les personnes « en tranches », selon des critères ou des éléments relatifs à leur situation. À l'EPIDE, nous travaillons du lundi au vendredi en internat en analysant l'ensemble des éléments de vie et de situation de ces jeunes. C'est ce qui fait l'efficacité de ce dispositif.

Quel est donc le « cocktail magique » qui permet d'accompagner ces jeunes, de les faire mûrir, grandir et se structurer ? Il tient d'abord à l'encadrement extrêmement structurant, une vie collective très organisée, associés à des équipes pluridisciplinaires qui construisent des parcours individualisés. Nous allons à la vitesse de chacun, nous progressons selon les difficultés de chacun et nous mettons des moyens particuliers à chaque fois que l'on rencontre un élément bloquant – comportement, difficulté à acquérir certaines notions ou à franchir certaines étapes.

Ces équipes pluridisciplinaires sont organisées en quatre grandes fonctions :

– l'insertion professionnelle, avec des conseillers qui travaillent avec ces jeunes à l'élaboration de leur projet professionnel et les accompagnent dans sa mise en oeuvre jusqu'à la recherche d'emploi ou de formation qualifiante leur permettant d'accéder in fine à cet emploi ;

– un travail de remise à niveau, avec des enseignants de formation générale issus du milieu de la formation voire, pour quelques-uns, de l'Éducation nationale. Les volontaires reçoivent également des cours d'informatique et de préparation au code de la route – nous disposons à cet égard de simulateurs de conduite – ainsi que des cours de sport ;

– un accompagnement social et médico-social avec la présence, dans chaque centre, d'un chargé d'accompagnement social et d'un infirmier. Nous effectuons tout un travail de prévention dans le domaine de la sexualité et, plus généralement, dans la prise en charge par ces jeunes de leur propre santé en les orientant vers des médecins dès lors que sont identifiés des problèmes non traités – optiques, dentaires, etc. Nous travaillons évidemment sur les addictions. Sans être nécessairement très dépendants, nombre d'entre eux ont pris l'habitude de fumer des drogues telles que l'herbe ou le cannabis, ce qui est évidemment interdit dans nos centres ;

– enfin, la dernière dimension très importante qui constitue une autre originalité de l'EPIDE, a trait au parcours civique de ces jeunes. Celui-ci commence par l'apprentissage de la vie en collectivité, du respect des autres et de soi-même et par le fait d'être en tenue. Les jeunes – comme les agents – portent un uniforme qu'ils doivent entretenir et laver. Ils doivent également se prendre en charge afin de se conformer aux horaires et aux attentes que l'on formule à leur égard. Les journées commencent à 6 h 30 et s'achèvent à 22 h 30, avec assez peu de temps libre durant cette période du fait des enseignements et de ce que nous nommons les « temps de remédiation », qui sont des entretiens individuels que les professionnels mènent afin de remédier à telle ou telle difficulté ou d'avancer sur tel sujet.

En complément, les jeunes reçoivent des cours d'instruction civique qui leur permettent de découvrir ce que sont la démocratie, la République, un préfet ou un élu et ce que sont leurs responsabilités. Comme pour l'enseignement général, cet enseignement civique fait appel à des méthodes pédagogiques originales. Nos volontaires ne sont pas sanctionnés par des notes. En cas de mauvaise réponse, il leur est simplement demandé pourquoi ils ont avancé telle solution, puis on les amène à considérer pourquoi leur réponse n'est pas adaptée. Nous utilisons beaucoup les jeux, à l'image de quizz citoyens avec des questions du type « À quel âge doit-on se faire recenser ? Pourquoi ? Selon quelles modalités ? ». Nous les amenons alors à débattre, à identifier et à assimiler la bonne réponse. Des jeux de rôles sont également organisés. J'ai par exemple assisté à une séquence ou certains volontaires jouaient les représentants d'une association de chasseurs tentant de convaincre le maire et deux de ses adjoints d'ouvrir un terrain pour exercer cette activité. Les uns et les autres développaient leurs arguments, avec l'assistance de nos cadres.

Ce qui est particulièrement performant est que nous associons systématiquement la parole au geste. En plus des cours, nos volontaires effectuent des visites en mairie, participent à des cérémonies commémoratives ou à des actions de solidarité auprès d'associations – Banque alimentaire, Restos du coeur – de maisons de retraites ou de structures d'accueil de personnes handicapées, etc., toutes activités et toutes choses qui permettent d'imprimer des moments associés aux valeurs républicaines et qui font également voir à nos volontaires qu'ils sont utiles non seulement aux yeux des cadres qui les entourent, mais également aux yeux des citoyens – y compris les plus distingués du fait des responsabilités qu'ils exercent, tels les maires ou les préfets. C'est extrêmement structurant et important pour ces jeunes qui arrivent souvent avec un très fort sentiment d'échec et une très faible estime d'eux-mêmes. Je rappelle que 80 % d'entre eux n'ont pas atteint le niveau 5 qui correspond au CAP ou au BEP. Nous cherchons à les valoriser, et leur montrer qu'ils sont capables de réussir quelque chose à leurs propres yeux, comme aux yeux de personnes importantes, ce qui est primordial et très constructif pour eux.

Toute notre pédagogie vise à les valoriser. Nous leur faisons passer le certificat de formation générale (CFG), équivalent du brevet des collèges, le passeport de compétences informatique européen (PCIE), nous leur faisons préparer le code de la route. Certains centres ont également créé des « diplômes en chocolat » comme je les appelle : il s'agit de diplômes ad hoc qui valident un certain nombre de compétences dans un domaine donné. Tous les vendredis matins et conformément à notre culture d'inspiration militaire qui fait le bonheur de la presse, parfois au détriment de la perception du reste de notre action, au moment de la levée des couleurs, le directeur du centre donne un certain nombre d'informations et valorise tous les volontaires qui ont, au cours de la semaine, accompli quelque chose, passé un diplôme ou obtenu une réponse positive pour une formation ou une entrée dans l'emploi. Ces volontaires sont mis à l'honneur, sont appelés, sortent du rang et sont applaudis par l'ensemble de l'assistance.

Au bout de quelques semaines, un mois, cette vie en collectivité, ce travail sur l'expression et cette valorisation de ce que ces volontaires sont capables d'accomplir ont pour effet de transformer des jeunes nonchalants en des jeunes rassemblés, qui se tiennent droit, qui s'adressent à vous dans un vocabulaire correct en vous regardant dans les yeux.

Quels sont nos résultats ? Sur un flux annuel de 3 500 jeunes, un peu plus de la moitié sortent en emploi ou en formation qualifiante. Cela peut paraître modeste ; en réalité c'est beaucoup compte tenu de leur situation de départ. Les autres sont, pour une bonne partie, réorientés et s'insèrent dans d'autres dispositifs pour continuer sous d'autres formes le travail commencé à l'EPIDE. Pour certains, il est compliqué de rester en internat. Parfois, leurs familles ou des soucis familiaux les éloignent de l'engagement qu'ils ont pris en entrant à l'EPIDE pour construire leur propre avenir. Quelques-uns abandonnent en raison de l'effort que cet engagement représente. En revanche, et c'est un aspect intéressant, il arrive que certains jeunes partis au bout de quelques mois reviennent vers nous, s'étant finalement rendu compte de la chance qui leur était donnée.

Les témoignages spontanés que nous recueillons sont révélateurs. Hier encore, j'interrogeais une jeune fille sur les raisons de son engagement compte tenu des contraintes de la vie en internat. Celle-ci m'a répondu que, à l'EPIDe, on s'occupait d'elle, que des cadres étaient présents pour elle du matin au soir qui l'aidaient et lui permettaient de surmonter les difficultés. Lorsque je lui ai fait remarquer que d'autres structures existaient, à l'image des missions locales ou de Pôle emploi, elle m'a répondu que l'accompagnement n'y était pas aussi développé.

Pour cette jeunesse qui sort démunie du système scolaire, il existe un réel besoin d'accompagnement complet structurant comme celui que propose l'EPIDE. Certes, les 3 500 jeunes pris en charge représentent une part modeste par rapport aux 150 000 qui sortent sans qualification du système scolaire tous les ans. Mais comme l'a souligné le président de la République, il s'agit d'un investissement de la collectivité. Quand bien même on ne peut pas s'adresser à l'ensemble du public qui pourrait en bénéficier, cela reste un élément structurant et important.

Je souhaiterais aborder un dernier sujet. Dans la période actuelle et après les événements de janvier, on s'interroge beaucoup sur les raisons qui peuvent conduire des jeunes à partir faire le djihad en Syrie par exemple. Comme moi, vous avez probablement entendu ces témoignages de familles qui se trouvent dans un désarroi total. Quand on voit les jeunes de l'EPIDE, on mesure les processus qui peuvent les rendre vulnérables à ce type de discours et d'engagement. Nous accueillons des jeunes qui ont à peu près tout raté, dont les parents n'ont jamais pu ou su porter un regard aimant et structurant sur eux, certains sont dans des familles d'accueil ou adoptés. Dans une société où ils ont du mal à trouver leur place dès lors qu'ils n'ont pas d'emploi, pas de diplôme ou qu'ils n'ont pas fait d'études, à partir du moment où on leur explique qu'ils ont une utilité, que leur vie à un sens, qu'on leur construit un univers avec des repères, qu'on leur donne une mission et des responsabilités, qu'on les valorise, même au travers de projets détestables, on comprend comment, du fait leur vulnérabilité, ils peuvent se faire embrigader dans ce type de systèmes, de même qu'ils pourraient l'être dans un système sectaire ou un autre système totalitaire.

L'EPIDE leur permet de comprendre la société dans laquelle ils vivent et d'y trouver leur place, de se structurer, d'être capable de se préparer à un certain nombre d'échéances, de trouver un emploi, de vivre en autonomie, de gérer leur budget, autant de choses qu'ils accomplissent à l'EPIDE. À travers ce parcours, s'il est accompli jusqu'au bout, nous leur donnons des chances de devenir des citoyens parmi d'autres citoyens, qui seront utiles pour eux, pour leur famille et pour la société.

1 commentaire :

Le 08/03/2015 à 10:52, chb17 a dit :

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« On s'interroge beaucoup sur les raisons qui peuvent conduire des jeunes à partir faire le djihad en Syrie ». Elle est bien bonne.

La position depuis quatre ans du gouvernement français y est-elle pour rien ? Il ne s'agit chez nous, depuis le début des troubles estampillés printemps syrien, que de vitupérer le « boucher de Damas », qui « ne mérite pas d'être sur Terre ». Sur de simples rumeurs, on a rompu les relations diplomatiques avec cet état pourtant très lié historiquement commercialement à la France. On a empêché les réfugiés de participer aux scrutins. On a inventé de sales histoires comme celle avec le sarin (aucun autre pays ne soutient l'hypothèse que le « dictateur » a empoisonné son propre peuple justement quand une commission d'enquête onusienne était présente). On attribue tous les crimes au « régime », alors que les soldats de l'armée régulière sont une grosse part des victimes, etc. etc.

Il est confortable de croire impartiale notre diplomatie pendant que nous encourageons un putsch sectaire, celle-ci pourtant a soutenu à bout de bras une opposition virtuelle, car sans lien avec le peuple. La structure « Amis du peuple syrien » n'a eu de cesse de torpiller les négociations, et d'aggraver le conflit ! La propagande contre l'Iran, la Russie, le Hezbollah accompagne la communication belliciste à l'égard de ce pays martyrisé...

Comme dans le dossier ukrainien, la France soutient des groupements extrêmement violents dont les actes ne servent pas notre intérêt national. Et on s'étonne, pompier pyromane, de quelques dommages collatéraux ??

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