Intervention de Gilda Hobert

Réunion du 4 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert, rapporteure :

La proposition de loi que nous examinons vise en effet à garantir le droit d'accès de tous les élèves des écoles maternelles et élémentaires aux cantines scolaires. Au cours des dernières années, certaines communes n'ont pas hésité à arguer de difficultés financières souvent réelles pour restreindre cet accès. De manière illégale et inacceptable, quelques-unes ont même délibérément exclu de la restauration scolaire les élèves les plus vulnérables, les enfants de chômeurs, sous prétexte que leurs parents auraient le temps de leur fournir un déjeuner à domicile, alors que la recherche d'un emploi suppose d'accomplir nombre de démarches absorbantes. Non seulement ces mesures stigmatisantes ne font qu'ajouter de l'exclusion à l'exclusion, mais elles ont des conséquences dramatiques pour les enfants des familles les plus précaires, le déjeuner à la cantine étant parfois le seul repas complet, équilibré et varié dont ils puissent bénéficier.

La restauration scolaire dans l'enseignement primaire étant un service public administratif facultatif, les cantines sont librement créées, organisées et supprimées par les communes. Leur financement ne figure pas parmi les dépenses obligatoires de ces collectivités, contrairement à celui de la restauration des collégiens et des lycéens, qui figure parmi les dépenses obligatoires des départements et des régions.

Les grandes lois républicaines des années 1880 n'ont pas traité la question de la pause méridienne : la restauration collective pour les enfants constituait alors une oeuvre sociale et de charité. Tout au long du siècle, les communes et les parents ont donc dû s'organiser de manière autonome lorsque ces derniers étaient dans l'incapacité de faire déjeuner leurs enfants. Ce n'est qu'en 1936, avec le Front populaire, qu'a été instaurée l'obligation de construire des locaux de restauration dans toute nouvelle école, avant que l'explosion démographique des années 1960 n'encourage les pouvoirs publics à resserrer le maillage des services de restauration scolaire. Aujourd'hui, 6 millions d'élèves – soit la moitié des écoliers et les deux tiers des collégiens et lycéens – sont inscrits dans les cantines. Au total, plus de 80 % des communes dotées d'écoles ont su mettre en place une cantine scolaire.

On ne saurait méconnaître l'importance de tels progrès. Dans le cadre du service public national de l'éducation, la restauration scolaire tend en effet à assumer des missions de plus en plus décisives. Elle poursuit d'abord un objectif d'équilibre nutritionnel, notamment à l'intention des enfants les moins favorisés. De nombreuses études montrent sans ambiguïté que, si la qualité de la restauration scolaire connaît des variations notables d'un établissement à l'autre, les repas que les élèves prennent à la cantine sont la plupart du temps plus complets et plus conformes aux recommandations nutritionnelles traditionnelles que ceux qu'ils prennent chez eux. C'est d'ailleurs encore plus vrai depuis que les préoccupations nutritionnelles et de sécurité alimentaire font l'objet d'une attention marquée, en particulier depuis que l'Union européenne a adopté le « paquet Hygiène » en 2004, et que le décret du 30 septembre 2011 et l'arrêté pris le même jour par le ministre de l'éducation nationale ont défini les principes de variété des repas. À ces règles s'ajoutent les recommandations formulées par le groupe d'étude des marchés consacré à la restauration collective mis en place en 2006, qui a instauré une norme de service, complétée en 2008 par un règlement de certification, mettant l'accent sur les qualités nutritionnelles attendues des services de restauration scolaire et sur l'importance du rôle éducatif des cantines.

Garantir l'accès quotidien des élèves à un repas complet, varié et équilibré, me semble une nécessité fondamentale pour la santé et l'aptitude à étudier des enfants les plus vulnérables. Cet objectif constitue même à mes yeux le prolongement cohérent et incontournable des efforts que nous avons consentis depuis 2012 pour placer les capacités et les rythmes réels d'apprentissage des enfants au coeur des calendriers et des démarches scolaires, au travers de la loi sur la refondation de l'école et la réforme des rythmes scolaires.

Mais la restauration scolaire remplit aussi d'autres missions, tout aussi importantes. Je pense ainsi à l'éducation nutritionnelle, en particulier celles des enfants qui n'ont guère de possibilités, au sein de leur foyer, d'expérimenter des saveurs et des aliments variés. Je n'oublie pas non plus que, pour de nombreux élèves, la cantine joue le rôle irremplaçable de lieu de socialisation et d'acquisition des règles d'hygiène et d'autonomie. Priver certains enfants d'accès à la restauration scolaire, c'est aussi les exclure, même momentanément, du groupe scolaire. Et le faire en stigmatisant leurs parents, c'est reproduire avec cynisme des inégalités sociales dont l'école est pourtant censée affranchir les élèves.

Malgré ces avancées incontestables, il subsiste encore des entraves au libre accès des élèves à la restauration scolaire. Pour mieux vous faire comprendre en quoi notre intervention est nécessaire, permettez-moi encore une fois de vous présenter l'ampleur des progrès accomplis.

S'agissant des enfants handicapés ou souffrant de troubles de santé, les choses ont beaucoup évolué. Le Conseil d'État a ainsi jugé, dans son arrêt Ministère de l'éducation du 20 avril 2011, que l'État devait prendre à sa charge toutes les mesures nécessaires à la mise en oeuvre du droit à l'éducation reconnu aux enfants handicapés, y compris en dehors du temps scolaire stricto sensu. Il lui appartient ainsi de financer l'accompagnement de ces enfants à la cantine par des auxiliaires de vie scolaire. Malheureusement, ce droit n'est pas toujours bien connu des parents concernés. Il importe donc que les directeurs d'école veillent à mieux les en informer. A contrario, il va de soi que, lorsque la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées estime que ces enfants n'ont pas besoin d'accompagnement, les communes ne peuvent leur refuser l'accès à la cantine sous peine d'être sanctionnées pénalement pour discrimination.

Les enfants affectés d'allergies, qui représentent 7 % de la population scolaire, font eux aussi désormais l'objet d'une prise en charge adaptée, régie par une circulaire du 8 septembre 2003. Celle-ci prévoit que soit les cantines leur fournissent des repas adaptés, soit les enfants peuvent y consommer les paniers repas préparés par leurs parents.

Cette proposition de loi ne traite pas des questions de tarif ou de coût de la restauration scolaire. Cette omission est volontaire : nous devons concentrer nos efforts afin de mettre un terme à l'entrave la plus inacceptable et la plus scandaleuse qui soit à l'accès au service de restauration scolaire : les discriminations que certaines communes font subir à quelques élèves, au plus complet mépris du droit, en leur fermant la porte de la cantine.

Dans le silence de la loi, la restauration dans les écoles du primaire est principalement régie par la jurisprudence du juge administratif. Or, compte tenu du caractère facultatif de ce service public, le juge a toléré que les communes limitent l'accès aux cantines lorsque leurs capacités d'accueil sont saturées. Ces restrictions doivent être conformes au principe fondamental d'égalité des usagers et sont strictement encadrées par la jurisprudence. Sont ainsi interdites toutes les discriminations fondées sur le domicile et la situation professionnelle des parents, comme l'a notamment jugé le Conseil d'État dans son arrêt Pasquier du 23 novembre 2009, ou encore sur l'âge des enfants. De même, les discriminations fondées sur les critères proscrits par l'article 225-1 du code pénal sont susceptibles d'engager la responsabilité pénale de leurs auteurs.

Au mépris de ces jurisprudences limpides, certaines communes persistent à introduire des discriminations manifestement illégales, qui produisent leurs effets sournois dans le temps, nécessairement long, qui s'écoule avant que les tribunaux n'y mettent un terme. Pour que ces derniers puissent intervenir, encore faut-il que les parents des élèves concernés aient le réflexe et l'expertise nécessaire pour saisir le juge, ce qui n'est pas toujours le cas, en dépit des remarquables efforts déployés par les associations de parents d'élèves en faveur des familles victimes de discriminations. L'ampleur du phénomène est difficile à cerner avec précision puisque peu d'administrés choisissent de s'engager dans la voie contentieuse. Selon les informations que j'ai pu recueillir, ces discriminations pourraient concerner quelques centaines de cas par an, ce qui est intolérable. C'est pourquoi il me paraît plus que temps de fixer clairement dans la loi les grands principes dégagés par le juge et d'éradiquer ces délibérations illégales.

Cette proposition de loi tend ainsi à introduire dans le code de l'éducation un nouvel article L. 131-13 disposant que l'accès des élèves à la cantine est un droit et que, en conséquence, « il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de leur famille », expression qui renvoie aux limitations illégales ayant été constatées sur le terrain et qui recouvre la structure et la composition du foyer familial, la situation professionnelle des parents et la localisation de leur domicile. Ce droit vaudrait logiquement tous les jours scolaires où un service de restauration scolaire est organisé. Une telle innovation permettrait de faire clairement connaître aux parents l'étendue des droits dont ils disposent, écarterait l'éventualité, à vrai dire peu probable, de tout revirement jurisprudentiel et fournirait aux préfets, dans le cadre de leur contrôle de légalité a posteriori, un fondement incontournable pour déférer aux juges toutes les délibérations municipales contrevenant à ce droit.

Certes, ce texte obligerait les communes dont les cantines sont aujourd'hui saturées à aménager et à réorganiser sans délai leur service de restauration scolaire afin de pouvoir y accueillir tous les enfants. Mais une telle contrainte est toute relative : en effet, le code de l'éducation ayant fixé la durée de la pause méridienne à une heure trente au moins, les communes auront la possibilité d'organiser un double service, solution plus facile et plus rapide à appliquer que celle consistant à agrandir leurs locaux de restauration scolaire. En tout état de cause, la proposition de loi prévoit que l'éventuel accroissement des dépenses des communes pouvant résulter de son application sera compensé par l'État grâce à une majoration de leur dotation globale de fonctionnement (DGF).

Si la proposition de loi n'impose pas la création de cantines là où elles n'existent pas, c'est dans un souci de modération à l'égard des collectivités aujourd'hui confrontées à des difficultés budgétaires et plus encore de réalisme et de solidarité à l'égard des communes – essentiellement rurales – qu'une telle obligation aurait pu concerner. Ces communes sont en effet les plus fragiles et, dans la majorité des cas, elles parviennent aujourd'hui à trouver des solutions alternatives en mutualisant ce service avec d'autres communes mieux dotées.

L'école peut être un formidable vecteur de socialisation. Pour ce faire, il nous faut concevoir une coéducation qui soit assurée de façon transversale par les collectivités territoriales, les écoles, les enseignants, les familles et les structures associatives, et qui garantisse un apprentissage de la vie et de la citoyenneté, un apprentissage riche et épanouissant débarrassé de toute tentation d'introduire des discriminations. Le temps scolaire, dans la continuité de son déroulement, et dès lors qu'il englobe sans interruption le temps de l'enseignement, celui du repas et celui des activités, me paraît un outil de socialisation essentiel. Je ne doute pas qu'une proposition de loi visant à renforcer les droits de l'enfant fasse consensus. D'ailleurs, cette proposition s'inscrit dans une longue série de projets comparables parmi lesquelles la proposition de loi déposée en février 2012 par le groupe socialiste, républicain et citoyen ainsi que le rapport du Défenseur des droits, et elle consacre les décisions unanimes prises par le juge administratif. L'enfant étant une priorité nationale, avançons chaque fois que cela est possible dans cette direction.

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