Intervention de Hervé Féron

Réunion du 4 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

La proposition de loi qui vient de nous être présentée lève le voile sur des pratiques discriminatoires ayant cours dans plusieurs communes françaises et tend, pour y mettre fin, à consacrer au niveau législatif le principe du droit d'accès à la restauration scolaire dès lors que ce service public facultatif est proposé dans la commune, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Elle répond en cela à une demande de certaines associations de parents d'élèves, lasses de constater l'attitude de municipalités qui établissent des critères discriminatoires pour procéder à des sélections illicites, refusant notamment l'accès à la restauration scolaire aux élèves dont au moins un des parents est au chômage. La liste des textes nationaux et internationaux prohibant ce type de discriminations est d'ailleurs très longue.

La situation tragique dans laquelle se trouve, en France, un nombre toujours croissant d'enfants me touche particulièrement. Avec le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (COFRADE), j'ai même demandé la création d'une mission interministérielle à ce sujet. Dans notre pays, un enfant sur cinq vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Cela représente 440 000 enfants de plus que depuis le début de la crise en 2008. Pour ces enfants, le déjeuner servi à la cantine représente souvent le seul véritable repas de la journée. Dans ma circonscription, j'ai eu connaissance de plusieurs de ces cas dramatiques, qui nous rappellent à quel point notre pays souffre. Réaliser des économies sur le dos des plus précaires, comme le font certaines municipalités, n'est pas seulement illégal. C'est infliger à ces familles une double peine, et ce triste constat a motivé la rédaction de cette proposition de loi.

La dimension éthique d'un tel sujet est évidente. Mais elles ne sauraient occulter un autre aspect, plus pragmatique, qui n'en reste pas moins primordial : je veux parler des difficultés financières auxquelles font face nombre de communes. Les municipalités qui ont choisi de se doter de cantines scolaires doivent déployer d'importants moyens financiers pour faire face à la demande, mettre en place des doubles services, agrandir ou rénover des locaux parfois anciens. Pour trouver des solutions, les gestionnaires de la restauration scolaire rivalisent d'ingéniosité : ainsi, dans le XIIe arrondissement de Paris, des préaux ou autres espaces vacants ont été transformés en cantines éphémères.

Mais, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, l'ingéniosité et la bonne volonté ont leurs limites, et je crains que cette proposition de loi n'entraîne des contraintes insolubles pour les collectivités qui se plaignent déjà du poids des charges et des normes techniques encadrant l'exercice de leurs compétences. Si le texte ne rend pas obligatoire la compétence en matière de restauration scolaire, se contentant de consacrer un droit à la restauration dans les municipalités où ce service existe, il oblige bien les communes qui ont créé des cantines à satisfaire toutes les demandes d'inscription. Cette démarche prescriptive n'est pas cohérente avec le plan gouvernemental de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

En outre, la proposition de loi précise que le droit à la restauration « concerne le repas du midi pour les jours scolaires », ce qui pourrait inclure le mercredi, alors même que toutes les collectivités territoriales n'ont pas créé de service ce jour-là. À titre d'exemple, la mairie de Bordeaux a renoncé à la création d'un service de cantine le mercredi midi, qui aurait entraîné un surcoût de 4 millions d'euros par an. À l'échelle de la petite ville de Tomblaine, dont je suis maire, ce coût supplémentaire pourrait s'élever à 150 000 euros. C'est peu, me direz-vous, mais cela remettrait en question tout un équilibre budgétaire trouvé à la suite de la réforme des rythmes scolaires. L'amendement de suppression de l'alinéa 3 de l'article premier présenté par le Gouvernement intervient donc opportunément pour régler ce problème.

Dernier point de blocage, la rédaction actuelle de la proposition de loi pourrait remettre involontairement en cause les modulations des tarifs facturés aux parents en fonction des ressources et de la composition des familles, dispositifs pourtant prévus par la loi depuis 1998 et admis par le Conseil d'État, dès lors que le tarif le plus élevé reste inférieur au coût de fonctionnement du service.

En résumé, nous voterons cette proposition de loi à la condition que puissent être évités par voie d'amendement, d'ici la séance, les trois écueils déjà évoqués : le fait que des coûts supplémentaires et de nouvelles normes soient imposés aux communes sans tenir compte des capacités physiques dont elles disposent aujourd'hui pour les cantines ; l'introduction indirecte d'une obligation de service le mercredi ; le risque d'incompatibilité du texte avec la loi autorisant le recours au quotient familial pour moduler les tarifs applicables à la restauration scolaire.

L'examen, dans les mois à venir, du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires nous donnera probablement l'occasion d'approfondir notre réflexion sur les discriminations dans les services publics, dans le dessein de garantir une réelle équité sur le territoire national.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion