Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 10 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, le débat sur la fin de vie est un sujet très particulier, car il nous renvoie d’abord à notre propre mort, au plus intime d’entre nous, et interroge en même temps la société qui est la nôtre sur les valeurs qu’elle veut conforter ou remettre en cause.

Aucun d’entre nous ne peut tirer une expérience de sa propre mort. Nous sommes marqués par la mort de l’autre, l’être aimé que nous avons accompagné et qui nous manque aujourd’hui. Cette expérience structure notre pensée sur la mort et, quelquefois, nous y enferme. Par ailleurs, chaque société, chaque culture, chaque civilisation a une vision de la mort qui traduit ce qu’elle pense du sens de la vie et les valeurs qu’elle défend.

La situation de la fin de vie en France – Alain Claeys l’a dit – n’est absolument pas satisfaisante, comme l’ont rappelé Didier Sicard, dans son rapport, et le Comité consultatif national d’éthique, qui ont été sollicités par le Président de la République. On meurt mal dans notre pays, car la parole du mourant n’est pas entendue, et la souffrance mal soulagée.

Peut-on faire ainsi une loi sur la bonne mort ? Il n’y a pas de bonne ou de belle mort. La mort est un arrachement. Le deuil est une souffrance. Aucune loi n’y pourra rien changer. Mais peut-on, au moins, avec les moyens médicaux et humains qui sont à notre disposition dans notre belle et vieille démocratie, empêcher la souffrance en fin de vie ? La loi ne peut pas tout codifier et la mort ne peut pas être totalement maîtrisée, mais la loi porte un message, en même temps qu’elle dit la règle. Elle est répressive et expressive, comme le dit Robert Badinter, et constitue donc un levier puissant pour introduire les changements de comportement nécessaires à notre pays. Ce changement, madame la ministre, ne sera possible que si nous nous engageons fortement et ensemble en faveur d’une meilleure formation des médecins, et si nous sommes capables de diffuser une culture du « prendre soin », encore défaillante sur notre territoire. Les soins palliatifs méritent, eux aussi, des moyens supplémentaires.

La loi, comme chacun sait, n’a de force que si elle s’accompagne d’une puissante volonté dans les moyens et les objectifs. Pourquoi, malgré la loi de 1999 qui a ouvert à tous l’accès aux soins palliatifs, seule une personne sur cinq en bénéficie aujourd’hui ? Pourquoi la loi de 2002, qui dispose que les hommes et les femmes de ce pays peuvent refuser un traitement, n’est-elle toujours pas appliquée ? Pourquoi, enfin, alors que la loi de 2005 a fermement condamné l’acharnement thérapeutique, celui-ci subsiste-t-il dans notre territoire ?

La nouvelle loi ne peut pas être le verbe législatif incantatoire de l’impuissance publique qui dit la règle, qui dit le droit, qui dit la loi, mais qui ne les met pas en application. Nous avons tous pris acte de l’engagement du Président de la République et du Gouvernement dans ce domaine, et nous serons bien sûr vigilants sur ce point, car c’est le préalable indispensable à un changement de la vie et de la fin de vie de nos concitoyens.

Nous sommes aussi dans un débat de convictions, et toutes les opinions sont respectables. Elles résultent de positions, d’expériences, de croyances philosophiques ou religieuses différentes. Elles traduisent aussi ce conflit de valeurs qui traverse tout débat, entre une éthique de la responsabilité et une éthique de la conviction. C’est aussi un débat entre une éthique de la vulnérabilité, qui dit « nous » et qui protège le plus faible, au nom de la solidarité, et une éthique de l’autonomie, qui dit « je », qui dit la liberté et qui écoute chacun d’entre nous.

Personne ne détient la vérité sur ce sujet – Alain Claeys a eu raison de le rappeler – ; personne ne peut incarner la morale ; personne ne peut incarner le progrès. Personne ne peut dire qui est digne et qui ne l’est pas. Personne ne peut dire quelle vie mérite d’être vécue. Aucun pays n’est en avance sur l’autre et aucune législation n’est parfaite. Et pourtant, avec mon collègue Alain Claeys, nous avons rédigé, à la demande du Président de la République, et en vertu d’une lettre de mission du Premier ministre, un texte que nous avons voulu équilibré.

Je tiens d’ailleurs à exprimer ma reconnaissance aux nombreux parlementaires de la droite, du centre, mais aussi de la majorité, qui ont contribué à élaborer ce texte de consensus. Je veux dire aussi, avec conviction, que ce texte n’est pas un compromis, et encore moins une compromission. Il respecte les convictions de chacun, il fait un pas dans la bonne direction. Ce texte met désormais le patient au centre des décisions, car il remplace le devoir du médecin, qui prévalait jusqu’ici, par un droit des malades opposable. On doit avoir le droit, aujourd’hui, de ne pas souffrir avant de mourir. On doit avoir le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir, et la parole de chacun doit être respectée.

Ce texte répond à l’attente des Français et vise à supprimer les fins de vie douloureuses. Ce texte – vous le savez comme moi – ne permet pas de donner la mort, et il n’est pas la porte ouverte à l’euthanasie ou au suicide assisté. Vous savez que j’y suis personnellement opposé, mais je respecte ceux qui pensent qu’il s’agit d’une évolution nécessaire de notre société. Je partage sur ce point l’avis de Robert Badinter, qui déclarait : « Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain. C’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. » L’ancien garde des sceaux ajoutait, à propos de l’exception de l’euthanasie : « Je n’ai jamais été amateur de juridictions d’exception, encore moins quand il s’agit de principes fondamentaux. Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie. »

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