Intervention de Isabelle Le Callennec

Séance en hémicycle du 10 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, chers collègues, dix ans après la promulgation de la loi de Jean Leonetti, auquel vous me permettrez de rendre hommage, chacun s’accorde, me semble-t-il, à reconnaître que la loi éponyme répond à l’immense majorité des situations de fin de vie.

Il y a aussi consensus, je pense, pour affirmer deux réalités : la loi est mal connue, et donc pas systématiquement appliquée ; les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre sont loin d’être accessibles à tous.

Notre débat sur la fin de vie s’inscrit dans un contexte démographique marqué par un allongement de l’espérance de vie, le vieillissement de la population et une fin de vie de plus en plus médicalisée. Or toute vie humaine doit être respectée au moment où elle est la plus fragilisée.

Cette question de la fin de vie a fait l’objet d’une large concertation souhaitée par le Président de la République « dans un esprit de rassemblement » : avis du Comité consultatif national d’éthique, rapport Sicard et consultation citoyenne, celle-ci ayant donné lieu à plus de 10 000 contributions sur le site de l’Assemblée nationale.

Je veux à cet instant saluer la contribution des deux rapporteurs de la loi, Jean Leonetti, député UMP, et Alain Claeys, député socialiste. Ils ont bien entendu intégré dans leur réflexion le contenu et les conclusions de tous ces débats publics, mais ils ont aussi beaucoup travaillé et beaucoup auditionné, avec à l’esprit la volonté de rendre la loi de 2005 totalement « opérative », pour reprendre une expression entendue au cours de l’examen du texte en commission des affaires sociales.

Les travaux de nos collègues, que j’invite tous les Français qui s’interrogent à découvrir ou à redécouvrir, nous éclairent utilement sur l’état de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays et ont l’immense mérite de proposer les moyens de l’améliorer concrètement.

C’est précisément l’objet de cette proposition de loi dont nous partageons pleinement l’esprit : le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’obstination déraisonnable, la non-souffrance de la personne, mais l’interdiction de tuer, qui doit rester absolue. Autrement dit, soulager mais pas tuer.

À l’instar de Robert Badinter, nous estimons que le droit à la vie est le premier des droits de l’homme et que personne ne peut disposer de la vie d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous restons opposés à toute légalisation de l’euthanasie. Nous mettons aussi en garde contre la tentative d’aide active à mourir qui risque de recouvrir les mêmes réalités.

Nous estimons au contraire que notre corpus juridique doit créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie. Certains de nos semblables se trouvent dans une situation d’extrême fragilité et rien dans notre regard ne doit trahir l’idée qu’ils ne seraient plus dignes de vivre. Nous disposons de nombreux témoignages d’équipes qui travaillent dans des unités de soins palliatifs. Si les demandes de recours à l’euthanasie existent, dans l’immense majorité des cas elles ne sont pas réitérées dès lors que les personnes sont soutenues et accompagnées, que leur souffrance est soulagée.

Nous devons donc parvenir à concilier le devoir des médecins de soulager et le droit des patients à s’exprimer. Si la loi est mal appliquée par le monde médical, c’est par manque d’information et de formation. Le Président de la République a annoncé que la formation des jeunes médecins allait être renforcée dès la prochaine rentrée universitaire, ce dont nous nous réjouissons. Ces formations doivent être axées sur l’accompagnement du patient tout au long du parcours de santé.

Si le recours aux soins palliatifs n’est pas systématique, c’est parce que notre pays ne compte pas suffisamment d’unités spécialisées. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes s’est intéressée aux personnes décédées à l’hôpital : seulement un tiers de celles qui auraient pu recevoir des soins palliatifs en a effectivement bénéficié. La Cour constate néanmoins des progrès réels, surtout entre 2007 et 2012, avec une augmentation de 35 % des unités spécialisées, de 65 % des lits identifiés et de 24 % des équipes mobiles.

Mais nous sommes loin du compte. Il est donc plus que temps de garantir le développement des soins palliatifs dans toutes les régions de France et de dégager les moyens nécessaires pour en garantir l’accès à tous. Notre collègue Philippe Gosselin propose un amendement visant à instaurer un plan pluriannuel de promotion de la culture palliative et de développement des soins palliatifs, à l’instar du Plan cancer. Mais je vous ai écoutée, madame la ministre, et je crois vous avoir entendue évoquer un plan triennal visant à promouvoir la culture palliative. J’espère que l’amendement de notre collègue sera voté à l’unanimité.

Pour les équipes qui font un travail remarquable, pour les bénévoles des associations qui s’engagent avec humanité dans l’accompagnement psychologique, l’attente est grande, tout comme l’est la crainte d’une légalisation de l’euthanasie qui serait forcément un prétexte pour relâcher les efforts.

Nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti nous proposent une voie permettant d’améliorer la loi sans en dévoyer l’esprit, notamment grâce à deux mesures emblématiques : une meilleure prise en compte des directives anticipées, contraignantes sans pour autant être opposables, et un droit absolu à la prise en compte de la souffrance, via la sédation profonde et continue, jusqu’à la mort lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.

Au cours de nos débats, chacun s’exprimera en conscience sur ces mesures et, nous l’espérons, dans le respect des convictions de chacun.

Dans sa grande majorité, le groupe UMP estime qu’un point d’équilibre a été trouvé avec ce texte et ne souhaite pas que cet équilibre fragile soit rompu. Si des amendements ouvrant une brèche vers l’assistance médicalisée active, le suicide assisté ou l’euthanasie devaient être adoptés, nous exprimerions notre profonde opposition.

Notre société a été très malmenée par des réformes sociétales qui l’ont profondément divisée.

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