Intervention de Jean-Louis Touraine

Séance en hémicycle du 10 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

Des députés de divers groupes politiques avaient également apporté leur soutien à cette proposition de loi. Un texte voisin a été présenté il y a quelques semaines par Véronique Massonneau.

Aujourd’hui, nous reprenons, de façon plus modérée, les propositions de 2009 dans un amendement que je présenterai après l’article 3, conjointement avec Philip Cordery et de très nombreux collègues. Il ne s’agit pas à proprement parler de suicide assisté, ni d’euthanasie, mais d’accompagnement et d’aide à mourir.

Permettez-moi de résumer les distinctions entre ces trois concepts. Le suicide assisté correspond à une décision du malade, auquel sont fournis des produits létaux. L’euthanasie est souvent entendue comme une décision relevant principalement de l’équipe médicale, qui abrège les souffrances d’une personne en fin de vie. L’aide active à mourir suppose une décision conjointe du malade et de l’équipe médicale, qui organisent ensemble la fin de vie selon les voeux de la personne, après que les médecins se soient assurés d’une décision immuable du patient. Ils s’assurent aussi que l’impasse thérapeutique est avérée, la fin de vie proche et inéluctable, les pressions familiales inexistantes et l’état mental de la personne apte à une décision aussi importante.

Pourquoi cette évolution est-elle nécessaire ? Selon l’étude déjà citée de l’INED, au moins 4 000 personnes meurent chaque année en France grâce à une aide médicalisée active à mourir. En rendant légale cette pratique, devenue quotidienne mais non encadrée, on éviterait les situations d’agonie prolongée, pénible et douloureuse ; on éviterait aussi les dérives, les excès de toutes sortes. En effet, en catimini et hors de toute procédure, le risque d’euthanasie imposée, sans l’accord du malade, existe. À l’inverse, des équipes soignantes peuvent montrer une compassion insuffisante et refuser d’entendre un malheureux qui implore en vain qu’il soit mis un terme à une agonie insensée, accompagnée de suffocations, de douleurs irréductibles, d’une souffrance psychique que rien ne parvient à apaiser.

Pour toutes ces raisons, il importe de compléter la loi par une liberté nouvelle, un droit véritable – le droit de choisir. Ceux qui ne veulent pas se saisir de cette liberté peuvent bien sûr en rester aux dispositions actuellement en vigueur. Mais beaucoup, pour être rassurés, veulent savoir qu’un choix existe, même lorsqu’ils ne sont pas certains d’y recourir le moment venu.

De plus, réglementer l’aide active à mourir en France évitera que des Français se rendent à l’étranger pour avoir accès à un service plus ou moins comparable, parfois loin de leurs proches.

Du fait de toutes les insuffisances actuelles, génératrices d’inégalités devant la mort, nous devons donner un cadre légal aux pratiques d’aide à mourir, nous efforcer de répondre à toutes les situations, à toutes les convictions.

Toute philosophie sur ces questions mérite respect. Chacun d’entre nous sera amené à choisir en son âme et conscience. Soyons attentifs à n’être influencés par aucune pression, aucun groupe de pensée absolutiste, et prenons notre décision sereinement.

Il s’agit d’un choix éthique fondamental. L’éthique, disait Jean Bernard, n’est pas une métaphysique ; elle doit être pragmatique. Seuls notre réflexion et notre humanisme peuvent nous porter vers un choix éclairé. Ainsi sera appliqué à cette fin de vie le principe « du moindre mal », qu’évoquait fréquemment le premier président du comité d’éthique, le Professeur Jean Bernard. Ainsi se réalisera la prophétie d’un autre grand médecin français, Jean Hamburger : « Le grand destin de l’homme est de refuser son destin ».

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