Intervention de Clotilde Valter

Réunion du 5 mars 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClotilde Valter :

J'imagine que les CRS qui tiennent le dispositif sur le terrain sont les mieux à même de sentir la situation et d'estimer le risque de perturbation supplémentaire que fait courir l'intervention d'autres forces. L'autorité civile n'est peut-être pas autant que vous en mesure d'anticiper les effets collatéraux et le désordre que ses décisions peuvent provoquer ?

Commandant Christian Gomes. Tout au long de l'opération, nous rendons compte de l'évolution de la situation au commandant du groupement opérationnel ainsi qu'au responsable de l'autorité civile – présent sur les lieux en cas d'usage de la force –, auquel nous proposons, en qualité de commandants de la force publique, des modus operandi dont il n'aurait pas forcément décidé seul : si l'autorité civile conserve la maîtrise des moyens mobilisables, nous jouons, à ses côtés, un rôle de conseiller technique. Entre les acteurs de terrain que nous sommes, le commandant de la force publique et les décideurs, le contact est donc permanent : il est très rare que ces derniers n'aient pas une connaissance précise de la situation.

Commandant Roland Guillou. Le maintien de l'ordre public n'étant pas une science exacte, le facteur humain y revêt en effet une grande importance. Cela dit, les réactions individuelles n'ont pas cours dans nos unités. Les personnels qui les intègrent, s'ils proviennent d'autres directions où l'on autorise l'usage individuel de certaines armes, sont formés à notre culture : le CRS n'est jamais un « gardien lambda » ; il fait partie d'un groupe au sein d'une section elle-même rattachée à une demi-compagnie, la compagnie dans son ensemble étant placée sous l'autorité d'un commandant. Au demeurant, les moyens sont attribués en fonction des capacités de chacun : si quarante-huit fonctionnaires doivent être formés à l'usage du LBD, on les choisira bien entendu parmi ceux qui ont la meilleure maîtrise d'eux-mêmes. Pour les éventuels « excités », passez-moi l'expression, il existe des postes de conducteur de véhicule… (Sourires.)

À la différence des forces mobiles regroupées au sein de compagnies ou d'escadrons comprenant chacun jusqu'à une dizaine d'unités, comme à Nantes ou à Notre-Dame-des-Landes, les unités comme la nôtre ont un contact direct avec l'autorité civile, à laquelle elles peuvent donc proposer des solutions, y compris s'il s'agit d'éviter des moyens dont l'usage a pu être autorisé, telles des grenades. Un bond offensif de quinze mètres, par exemple, permet de faire reculer les manifestants de cinquante ou soixante mètres – puisque, a priori, nul n'a envie d'affronter des unités de CRS lourdement équipées.

Bien entendu, des erreurs sont toujours possibles et la tâche est loin d'être simple ; mais nos troupes sont bien formées et composées de personnes aguerries aux missions délicates. Cette expérience, fortifiée au fil de notre carrière et de notre progression hiérarchique, nous sert pour apprécier au mieux les situations. Le maintien de l'ordre relève de l'humain : on ne gère pas une manifestation en Corse de la même façon qu'en Bretagne. Revêtu de l'uniforme de CRS, je représente la force publique, mais je n'en demeure pas moins un citoyen qui, résidant en Bretagne, peut engager avec les manifestants une discussion sur les problèmes d'un territoire qu'il connaît bien : cela permet souvent d'apaiser des tensions, par exemple avec des agriculteurs ou des pêcheurs que, le lendemain des événements, je pourrai croiser dans la rue. Notre objectif est bien entendu d'éviter les incidents et les blessés, aussi bien de notre côté que du côté des manifestants, dont certains peuvent être des proches, des familles ou des enfants. Qui me dit qu'un jour, je ne me retrouverai pas en face de mes propres enfants lors d'une manifestation qu'une minorité aura fait dégénérer ? Notre but est d'assurer le maintien de l'ordre de façon responsable : nos compagnies, républicaines, agissent dans le cadre de la légalité.

Commandant René-Jacques Le Moël. Le responsable du service n'est jamais seul : la plupart du temps, un responsable de l'autorité civile, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), un représentant des CRS et un autre de la gendarmerie sont présents dans la salle de commandement ; chacun apporte sa pierre à l'édifice. Le commandant de l'unité de terrain peut aussi faire part de son ressenti si une instruction lui paraît peu adaptée.

La DCCRS dispose par ailleurs d'un outil remarquable avec le système autonome de retransmission d'images pour la sécurisation d'événements, dit « SARISE », sorte de car-régie qui, doté de caméras asservies, recueille des images tout au long de l'opération. Il permet donc au DDSP et au préfet de prendre la bonne décision au bon moment.

Quant à l'aspect humain, tout est strictement encadré au sein de nos unités : du commandant jusqu'à l'agent qui lancera le projectile, les personnels ont suffisamment d'expérience pour contrôler leurs réactions.

Commandant Christian Gomes. Comme le rappelait le commandant Guillou, notre principal souci, d'un bout à l'autre de l'opération, est d'éviter les blessés dans nos rangs comme chez les manifestants. La chose est évidemment beaucoup plus simple si la manifestation est tranquille que si elle vient à dégénérer, comme à Quimper fin 2013 ou à Nantes en février 2014, d'autant que nous sommes conduits à déployer des moyens relativement lourds. Aussi retardons-nous, autant que faire se peut, l'emploi de la force : nous sommes entraînés à subir des pressions fortes, voire des agressions physiques, et à recevoir des projectiles de toutes natures, qu'il s'agisse d'objets contondants ou incendiaires, ou d'acide. Ces entraînements, bien qu'ils n'occupent que vingt-cinq jours par an, sont conçus pour nous mettre au plus près de la réalité. La discipline n'est pas moins essentielle : on l'a dit, nul, au sein de nos compagnies, ne peut prendre l'initiative d'une riposte individuelle.

Outre que la sécurité même des manifestants nous conduit à différer cette riposte, parfois pendant plusieurs heures – comme à Quimper en 2013 –, les moyens employés restent souvent très en deçà de ceux qui nous sont autorisés par la loi. Notre expérience nous permet de relativiser les situations de violence et de ne riposter qu'avec mesure.

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