Intervention de Marie-Claire Ponthoreau

Réunion du 13 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Claire Ponthoreau :

Merci, monsieur le président. Je suis ravie d'avoir l'occasion de m'exprimer devant ce groupe de travail – qui pour une fois n'est pas réuni à l'initiative du Président de la République, ce qui me paraît plutôt bon signe.

Le problème le plus épineux de la Ve République est en effet l'absence de responsabilité politique du Président de la République en cours de mandat. J'ai eu l'occasion d'y réfléchir il y a de cela une bonne quinzaine d'années, à l'initiative d'ailleurs d'Olivier Beaud, qui avait organisé à Lille un colloque sur la responsabilité des gouvernants.

La question de la responsabilité politique des gouvernants, et en particulier du Président de la République, est-elle aujourd'hui envisagée de la même façon qu'alors ? Je proposerai plutôt un diagnostic. Je ne suis pas certaine que la solution aux problèmes que nous allons exposer soit évidente.

Si l'on réfléchit aujourd'hui aux dernières réformes constitutionnelles, c'est bien que leurs effets n'ont guère été pensés à l'avance. L'introduction du quinquennat, en particulier, était présentée comme le moyen d'éviter la cohabitation ; le septennat était de plus perçu comme anti-démocratique, le Président ne donnant pas suffisamment la parole au peuple depuis l'abandon de la pratique gaullienne du référendum par les successeurs du Général. Mais le quinquennat a eu pour effet de renforcer le présidentialisme majoritaire ; la réforme s'est, de plus, accompagnée de l'inversion du calendrier électoral, ce qui a eu pour conséquence de faire des élections législatives une simple confirmation de l'élection présidentielle – elles ont perdu leur autonomie. Désormais, la majorité présidentielle et la majorité parlementaire se confondent.

La Constitution a été réformée à de nombreuses reprises, mais l'on n'a guère touché à son article 49 : le Gouvernement est politiquement responsable devant l'Assemblée nationale. La logique du régime parlementaire, c'est le maintien d'un lien, d'un accord permanent entre le Gouvernement et la majorité. Or les difficultés que rencontre la Ve République viennent précisément, je crois, du fait que ces liens sont distendus : ce qui compte vraiment, ce sont les liens avec le Président de la République.

Ainsi, l'article 49 ne prévoit pas de procédure d'investiture ; certes, le Premier ministre peut poser la question de confiance, mais ce n'est pas une nécessité politique, puisque le Premier ministre est soutenu par le Président de la République, qui le nomme. Ces derniers temps – c'est peut-être le résultat des cohabitations – les Premiers ministres vont devant l'Assemblée nationale. Mais ils y bénéficient toujours de la majorité absolue : ils se trouvent donc dans une situation tout à fait confortable.

Il faut également souligner que le Président de la République est, de fait, le chef de la majorité parlementaire. Mais il n'est pas le chef du parti majoritaire, puisqu'il est censé être le président de tous les Français. Bien sûr, il lui est possible d'établir des relations informelles avec sa majorité.

La révision constitutionnelle de 2008 avait, de ce point de vue, modifié l'article 18 d'une façon qui me paraissait intéressante : le Président de la République peut désormais prendre la parole devant les députés et sénateurs réunis en Congrès. Lors du précédent quinquennat, cette pratique a rencontré un succès mitigé, en partie d'ailleurs en raison des réticences de l'opposition. Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, avait même estimé que cette innovation changeait la nature du régime. J'en doute : il me semble au contraire que la possibilité offerte au Président de la République de s'exprimer devant la représentation nationale est une bonne chose – en tout cas meilleure que celle qui consiste à réaliser un entretien à l'Élysée avec deux journalistes. Où est, dans ce second cas, le principe de contradiction ? Seule l'opposition peut le faire vivre.

Je me permets de rappeler ici qu'il existe plusieurs formes de responsabilité politique. La sanction – et donc la motion de censure et la destitution – n'est que l'une d'elles. Ces mesures sont d'ailleurs, dans les démocraties majoritaires, devenues impraticables, précisément parce qu'il appartient à la majorité de soutenir le Gouvernement. On ne peut plus pratiquer ces formes de « tout ou rien ». Les autres formes de responsabilité politique, sans sanction, mériteraient donc d'être développées, et en ce sens, la modification de l'article 18 ne me paraît pas inintéressante.

J'aimerais souligner une différence entre la France et les autres démocraties : à l'étranger aussi, les gouvernements sont rarement renversés par des motions de censure ; mais cela ne signifie pas que la responsabilité politique ait totalement disparu, alors que l'on peut avoir ce sentiment avec le renforcement du présidentialisme majoritaire à la française. La responsabilité peut, dans d'autres pays, prendre des formes internes au parti majoritaire : l'intérêt de celui-ci est que son leader soit toujours populaire ; si tel n'est pas le cas, alors le parti s'en débarrasse. C'est ce qui s'est passé avec Margaret Thatcher en 1990 : elle est au pouvoir depuis longtemps, depuis trop longtemps ; elle ne pourra pas mener le parti à la victoire aux élections suivantes ; on choisit donc quelqu'un d'autre. En France, ce n'est pas possible : le Premier ministre est soutenu par le Président de la République, qui peut l'user jusqu'à la corde, voire s'en servir comme d'un fusible, pour se protéger contre l'impopularité.

Ce qui change encore en France par rapport à la pratique d'autres démocraties, c'est l'ampleur des droits donnés à l'opposition pour faire vivre le contrôle politique, indépendamment du bon vouloir de la majorité. Ainsi, l'article 44, alinéa 1, de la Loi fondamentale allemande donne le droit de créer une commission d'enquête à un quart des membres du Bundestag. Là aussi, la révision constitutionnelle de 2008 a apporté un changement intéressant : la reconnaissance constitutionnelle des groupes d'opposition, concrétisée ensuite dans les règlements des deux chambres. Ainsi, en principe, les propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête doivent être débattues, puisqu'un « droit de tirage » a été mis en place, ce qui assure au moins à l'opposition la publicité de cette demande et sa discussion. Mais, sous le précédent quinquennat, le groupe socialiste, alors groupe d'opposition, avait demandé la création d'une commission d'enquête à la suite des observations de la Cour des comptes sur l'utilisation surprenante de sommes importantes, par l'Élysée, pour faire réaliser des sondages : la majorité a trouvé le moyen d'écarter cette demande, qui n'a même pas été discutée, au motif qu'elle ne visait pas à contrôler l'activité du Gouvernement mais celle du Président de la République, et qu'elle constituait donc une remise en cause du principe de l'irresponsabilité politique du chef de l'État.

Il faut reconnaître que les droits de l'opposition sont sans doute mieux reconnus qu'ils ne l'étaient dans le passé ; mais cet exemple montre bien qu'il existe un verrou présidentiel, et que celui-ci n'a pas sauté. S'il y a eu des progrès, c'est surtout sur le contrôle de l'action gouvernementale – je pense en particulier aux politiques publiques.

Enfin, la France se distingue des démocraties voisines parce qu'elle a perdu le sens du mot « démission ». Je me contenterai ici de rappeler la stupeur qui a accueilli, en 2002, le retrait de Lionel Jospin – qui venait d'être battu dès le premier tour de l'élection présidentielle – de ses fonctions gouvernementales mais aussi de la tête du parti socialiste. Mais, quand on perd une élection, on s'en va ! Il y a vraiment là une exception culturelle française, sans doute liée à l'élection présidentielle, qui suppose un investissement de très longue durée. Toujours est-il que les perdants ne s'en vont pas aussi vite chez nous que chez nos voisins.

Sommes-nous au bout du présidentialisme majoritaire ? C'est le sentiment qui se dégage : nous sommes parvenus à des résultats qui sont bien au-delà de tous ceux escomptés ; il conviendrait donc de desserrer l'étau.

J'ai parlé de « faire sauter le verrou présidentiel » ; cela ne signifie pas que je sois favorable à l'instauration d'un régime présidentiel. La fonction de contrôle du Congrès américain est, il est vrai, inégalée ; pour autant, il faut mesurer ce que représenterait le passage à un tel régime présidentiel. Un bon régime politique a deux finalités : la limitation du pouvoir, via le principe de la responsabilité politique, et l'efficacité. Or, si l'on considère aujourd'hui les difficultés que rencontre pour gouverner le président Obama, on en concevra nécessairement quelques doutes sur l'opportunité d'imiter les États-Unis.

Avec la Ve République, c'est en France l'impératif d'efficacité qui l'emporte : nous devons chercher à rééquilibrer nos institutions.

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