Intervention de Guillaume Tusseau

Réunion du 13 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Guillaume Tusseau :

Je remercie nos deux invités pour leur présentation. Je m'associe entièrement aux propos que vient de tenir Denis Baranger.

J'aimerais revenir pour ma part sur le contexte dans lequel se pose la question, plutôt technique, de la responsabilité politique des gouvernants.

Parmi les causes qui ont peu à peu acclimaté la Ve République à l'irresponsabilité politique, il y a, bien sûr, la cohabitation. Passe encore lorsque celle-ci résultait d'échéances normales et préprogrammées ; mais que dire de la cohabitation provoquée par une dissolution ratée sans que personne ne voie d'inconvénient au fait que le Président se maintienne au pouvoir ? En la matière, les torts sont partagés. Personne n'a trouvé à redire à ce que la majorité nouvellement élue accepte le résultat et prenne le pouvoir dans ce contexte de cohabitation. Pourtant, sous la IIIe République – qui ne donne pas toujours un si mauvais exemple que l'on veut bien le dire –, la majorité avait bien refusé d'entrer en communication avec le président Millerand, qui s'était engagé politiquement, et qui a dû se démettre. La majorité dont nous parlons aurait pu avoir le même courage et refuser le contact avec le Président de la République qui avait provoqué la dissolution et sa propre mise en minorité, ce qui aurait peut-être entraîné une crise mais obligé le décideur à assumer sa responsabilité politique.

Cela pose un problème beaucoup plus large, que nous avons abordé lors d'une précédente séance : celui de la carrière politique. Même battu, même condamné pénalement, même condamné politiquement, même désavoué pour une faute pénale ou politique, l'homme politique – ou la femme politique – reste en place, sans envisager un seul instant une autre option, y compris un ministre dont découvre qu'il a prêté assistance à une dictature chancelante il y a quelques années. La faute politique peut être évidente, caractérisée, cela ne crée aucune difficulté. S'il – ou si elle – saute, c'est avec l'assurance que, dans quelques années ou dans l'immédiat, un nouveau mandat se substituera à celui qui a été perdu.

Le problème se pose également du point de vue, que vous avez abordé, des moeurs politiques. La responsabilité politique a trait à la moralité : c'est aussi un sentiment d'engagement, le sentiment d'assumer ses actes et ses décisions en le payant le cas échéant non de sa personne, bien sûr, mais de son poste.

On retrouve ici une difficulté déjà évoquée par notre groupe de travail et qui a trait à la dissolution des idéologies. Dès lors qu'il n'existe plus d'idéal véritable pour la défense duquel on serait prêt à se battre, à mourir – politiquement, s'entend –, à sacrifier sa carrière politique au lieu de vivre dans l'espérance d'un futur poste ou mandat, pourquoi être responsable de quoi que ce soit ? L'engagement devient de nature gestionnaire, professionnelle : il n'est plus fondé sur une conviction.

De ce point de vue, l'analyse de la responsabilité politique devrait aller bien au-delà de l'aspect technique, du décompte du nombre de gouvernements qui chutent ou du nombre de ministres qui assument leur faute plutôt que d'en faire porter la responsabilité à leur cabinet, voire qui assument les fautes de leur personnel. Une décision de justice a d'ailleurs estimé il y a quelques années que l'entourage proche du chef de l'exécutif pouvait bénéficier de la protection ou des immunités accordées à ce dernier. Certains constitutionnalistes éminents s'en étaient réjouis. Pour ma part, je la trouvais assez scandaleuse.

Au-delà, donc, des seules statistiques, c'est plus généralement un sentiment de responsabilité qui doit être diffusé. Il ne peut reposer que sur un engagement lui-même fondé sur de puissantes convictions, et sur une nouvelle conception de la fonction. Nous avons parlé tout à l'heure de réinventer des rôles d'hommes et de femmes politiques ; c'est aussi cela qui est en jeu.

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