Intervention de Jean-Luc Reitzer

Réunion du 18 mars 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Reitzer, président de la mission :

Nous vous présentons notre rapport sur le Proche et le Moyen-Orient à quelques jours d'une échéance cruciale pour les négociations sur le programme nucléaire iranien. Comme vous le savez, les parties se sont donné jusqu'à la fin du mois de mars pour s'entendre sur le cadre politique d'un accord, dont les aspects techniques sont à régler avant la fin du mois de juin. Un accord avec l'Iran, s'il était signé, aurait évidemment des répercussions importantes sur l'ensemble de la région. Ouvrira-t-il la voie à une détente des relations entre l'Arabie saoudite et l'Iran, ce qui pourrait permettre de débloquer un certain nombre de crises, en particulier en Syrie ? Un éventuel accord conduira-t-il, au contraire, à une crispation supplémentaire, s'il est perçu par l'Arabie saoudite comme étant trop favorable à l'Iran ? Les négociations sur le programme nucléaire iranien et les perspectives qu'un accord pourrait ouvrir dans la région sont l'un des trois principaux axes de notre rapport.

Plus près de nous, au plan temporel, des élections législatives anticipées ont eu lieu hier en Israël. Il va de soi que la composition de la prochaine coalition au pouvoir aura une incidence sur l'évolution de la question israélo-palestinienne. Au-delà de ce facteur politique, le processus d'Oslo se trouve manifestement dans une impasse, au bout de vingt années d'efforts. Nous sommes donc arrivés à la conclusion que les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens ne pourront être relancées que sur des bases entièrement revisitées. C'est un autre axe structurant de notre rapport.

Dernier fait marquant, la crise syrienne entre ce mois-ci dans sa cinquième année, sans qu'aucune perspective de règlement ne se dessine vraiment, même s'il existe un certain nombre de tentatives en cours. Il s'agit notamment des efforts du nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie, M. Staffan de Mistura, qui a proposé un gel des hostilités à Alep. Nous avons notamment traité la crise syrienne dans le cadre de la montée en puissance de Daech et de la constitution d'une vaste coalition internationale contre cette organisation terroriste.

Nous avons tout d'abord choisi de présenter un panorama d'ensemble de la situation au plan régional, en essayant de distinguer les principales inflexions qui se dessinent – je viens de vous les présenter rapidement. Nous sommes bien sûr conscients que l'on peut se trouver assez vite dépassé par les événements, surtout dans cette partie du monde. L'une de ses caractéristiques est en effet de connaître des crises qui paraissent durablement bloquées – celle de la Syrie ou encore la question israélo-palestinienne –, mais aussi des bouleversements rapides et profonds de l'environnement régional. C'était notamment le cas lors du déclenchement des « révolutions arabes », auxquelles notre Commission a consacré une mission d'information, sous la conduite de Jacques Myard et de Jean Glavany. Nous avons d'ailleurs veillé à réaliser une sorte de point d'étape de ces « révolutions arabes ».

Nous avons connu un autre bouleversement de grande ampleur l'année dernière. Daech et la crise en Irak se sont imposés comme des thèmes majeurs pendant le déroulement de nos travaux. Nous avions initialement prévu de les centrer sur l'Iran en raison des négociations sur son programme nucléaire, mais aussi parce que ce pays est concerné par ce qui se passe en Syrie, au Liban ou dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Nous avons ainsi effectué un déplacement en Iran à la fin de mois de juin dernier. Nous avions aussi choisi de travailler sur le processus de paix au Proche-Orient. L'Irak, qui était très largement sorti des « écrans radar » depuis plusieurs années, malgré l'évolution catastrophique de sa situation politique et sécuritaire, est revenu brutalement au premier plan, avec les conquêtes territoriales fulgurantes de Daech l'été dernier.

Sur ces trois sujets principaux qui nous paraissent déterminants pour l'évolution de la région – la lutte contre Daech ; les négociations sur le programme nucléaire iranien ; la question israélo-palestinienne – nous avons élaboré un certain nombre de scénarios, de recommandations et de prises de position, à l'adresse de notre diplomatie. Notre Rapporteure, Odile Saugues, vous les exposera tout à l'heure.

Pour ma part, je voudrais vous présenter à grands traits les aspects qui nous paraissent les plus déterminants dans l'environnement régional actuel. Première réflexion, parler du Proche et du Moyen-Orient, c'est malheureusement parler d'abord et surtout de ses multiples crises. S'il est admis, depuis une célèbre formule du général de Gaulle, que la complexité est la marque de fabrique de « l'Orient », cette partie du monde n'a jamais été aussi divisée, aussi déstabilisée et aussi meurtrie.

Elle est divisée par des clivages qui se multiplient. Les tensions entre sunnites et chiites, qui n'ont fait que croître depuis 2003, retiennent généralement l'attention, mais les pays du Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe des dynasties sunnites, sont également divisés - entre des pays qui sont résolument hostiles à l'Iran, et à son influence régionale, et d'autres qui sont plus accommodants, pour diverses raisons, mais aussi entre des pays favorables aux Frères musulmans et à l'islam politique comme modèle et d'autres qui sont déterminés à obtenir leur « éradication ».

Quant à la déstabilisation de la région, elle n'a jamais été aussi profonde et multiple. En Irak, la montée du sentiment de marginalisation, de dépossession et d'humiliation des populations sunnites a été très longtemps négligée, et la situation est devenue incontrôlable.

Même s'il est évidemment trop tôt pour porter un regard d'ensemble et définitif sur les « révolutions arabes » de 2011, celles-ci paraissent globalement dans l'impasse. C'est le chaos en Libye et au Yémen. On peut aussi s'interroger sur la situation au Bahreïn. Vous connaissez également la situation en Syrie. En Egypte, malgré la reprise en main par le président actuel, la situation reste difficile et les attentats se multiplient depuis le mois de janvier.

Il en est de même pour la question israélo-palestinienne, qui demeure une plaie ouverte dans la région et un abcès de fixation. Ce serait une erreur de croire qu'elle est devenue une question secondaire.

Je ne reviens pas sur les blessures de la Syrie. Vous connaissez le nombre des victimes, des réfugiés et la situation dramatique des enfants dans le pays.

J'en viens à Daech. C'est le grand sujet qui préoccupe le monde entier et ce n'est pas un épiphénomène.

Daech a modifié l'équation de la crise syrienne en faisant apparaître de nouveaux fronts avec l'opposition non-djihadiste, avec les Kurdes syriens au Nord du pays et, dans une certaine mesure, avec le régime lui-même. La montée en puissance de Daech marque aussi la radicalisation croissante de l'opposition armée. De nombreux groupes se sont ralliés soit à Jabhat al-Nosra, soit à Daech, souvent par la force ou l'intimidation.

En Irak, les conquêtes territoriales de Daech peuvent ouvrir la perspective d'une scission du pays en trois entités : un Kurdistan indépendant au Nord, avec une extension potentielle au plan régional que je n'ai pas besoin de présenter ; un « sunnistan » radical qui pourrait notamment déborder sur une partie de la Syrie ; enfin un « chiistan libre », dont le centre de gravité serait probablement iranien.

Ma troisième remarque concerne la coalition internationale qui s'est constituée sous l'égide des Etats-Unis et dans laquelle la France joue un rôle que certains qualifient de premier plan. Son action contre Daech repose sur un pari stratégique : en l'absence de troupes combattantes au sol, la stratégie de la coalition consiste, d'une part, à soutenir des forces locales directement menacées par Daech et déterminées à combattre cette organisation et, d'autre part, à s'appuyer sur les pays voisins, qui devraient normalement avoir intérêt à faire cesser une menace pesant directement sur leur propre sécurité. Ce pari est cohérent, mais il reste à gagner.

Il faudrait surtout parvenir à détacher de Daech des tribus sunnites en Irak. Cela nécessite une véritable politique de réconciliation nationale qui n'est qu'esquissée à ce stade et qui prendra probablement du temps, car les défis sont considérables et le précédent gouvernement avait fortement accru les divisions entre les sunnites et les chiites. En Syrie, dans l'état actuel de l'opposition non-djihadiste et dans la mesure où toute alliance militaire avec Bachar el-Assad est rejetée par les Etats-Unis comme par la France, on peut se demander sur quelles forces locales on pourrait s'appuyer contre Daech.

Quant aux puissances régionales, la coalition est très large, puisqu'elle regroupe aujourd'hui 62 pays et organisations internationales. Mais il y a beaucoup d'arrière-pensées dans l'engagement des uns et des autres – tout le monde n'accorde pas nécessairement la priorité à la lutte contre Daech. Beaucoup de questions restent posées. Elles hypothèquent gravement la possibilité de stabiliser la région.

La coalition s'est fixé cinq lignes principales d'action : apporter un soutien militaire à des partenaires locaux ; endiguer l'afflux des combattants terroristes étrangers qui nous pose un vrai problème ; tarir les sources de financement de Daech, en particulier les différents trafics, tels que celui du pétrole ; étendre le domaine de la lutte à la sphère des idées et aux médias, en combattant la propagande de Daech ; traiter les aspects humanitaires de la crise.

Tout cela est compliqué et il n'y aura pas de véritable éradication de Daech sans solutions politiques. Si Daech devait disparaître demain, soit par fracturation interne, car il s'agit d'une coalition de bric et de broc, soit parce que Daech était vaincu sur le terrain, qui sait si une autre organisation monstrueuse ne se lèverait pas demain en Irak ou en Syrie ? C'était hier Al-Qaïda et aujourd'hui Daech.

Mes chers collègues, voilà les principales observations dont je souhaitais vous faire part. Avec votre permission, Madame la Présidente, notre rapporteure, Odile Saugues, va maintenant vous présenter nos principales recommandations et revenir plus en détail sur les négociations avec l'Iran et sur la question israélo-palestinienne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion