Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 17 mars 2015 à 17h00
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Madame la présidente, je vous remercie pour vos propos, et je remercie aussi tous ceux qui viennent de se manifester pour souhaiter que le débat, qui est légitime, nécessaire et toujours utile, se déroule de façon sereine.

Votre commission entame aujourd'hui l'examen d'un texte particulièrement attendu par nos concitoyens. Parce qu'ils sont attachés à notre système de santé et savent combien il est devenu nécessaire de le moderniser pour lui permettre de répondre aux nouveaux défis auxquels il est confronté. Les cinq rapporteurs que vous avez désignés – dont je veux saluer le travail remarquable et que je veux remercier pour la qualité du dialogue que nous avons eu ensemble – ont mené des centaines d'auditions et préparé de nombreux amendements qui vont permettre d'aller de l'avant et d'enrichir ce texte.

Cet enrichissement passe d'abord par la consolidation de nos objectifs ; il suppose aussi, évidemment, de la souplesse et de la clarification lorsque c'est nécessaire et partout où c'est possible. Des amendements ont donc été déposés par le Gouvernement à cette fin.

Certains ont regretté que ce texte ne prenne pas d'engagement financier. Mais cette loi de modernisation de notre système de santé n'est pas un projet de loi de financement de la sécurité sociale, seul habilité à prévoir des mesures de ce type. Je recommanderai à ceux qui s'inquiètent des dérives financières de regarder les résultats de leurs propres pratiques et ne pas être trop impatients, d'autant que, dans quelques jours, nous aurons l'occasion de rendre publics les chiffres sur les comptes de la sécurité sociale pour 2014, qui montreront une amélioration plus importante que prévu. C'est donc une bonne nouvelle dont je ne doute pas que chacune et chacun ici ne manquera pas de se réjouir.

Les défis auxquels nous devons faire face ne sont pas nouveaux pour vous. Les débats qui nous ont rassemblés depuis trois ans ont montré qu'ils donnaient lieu à un consensus. Le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques et l'accroissement des inégalités de santé appelaient de notre part des réponses résolues. Les Français vivent ces réalités au quotidien et attendent des réponses concrètes.

Face à cela, je veux dire ma conviction : notre système doit se transformer en profondeur pour continuer à répondre aux attentes de nos concitoyens. L'immobilisme n'est pas une solution. Parce que ce choix-là a déjà été fait pendant trop longtemps, conduisant à une politique d'ajustements à la marge et de rustines.

Je n'ignore rien du contexte dans lequel se déroule le débat qui va nous occuper. S'il y a eu encore dimanche dernier l'expression d'inquiétudes, de doutes ou de préoccupations, je crois que c'est aussi parce que les professionnels de santé, les médecins en particulier, doutent de leur place dans le système de soins et la société et ont pour beaucoup le sentiment que l'immobilisme ne peut être la réponse aux transformations qu'ils rencontrent. Et ceux qui imaginent que le statu quo serait la meilleure façon d'aller de l'avant non seulement se trompent, mais ils induisent nos concitoyens dans l'erreur.

Si ces inquiétudes dépassent largement le cadre de ce projet de loi, une réforme offre une occasion de revendication, ce que j'entends.

Je veux le dire à nouveau : le Gouvernement prend en compte les inquiétudes des professionnels de santé et des jeunes en formation. Qu'elles portent sur certains articles du projet de loi ou sur la question – infiniment plus large – de leur rôle et de leur formation.

Sur le projet de loi, d'abord, les inquiétudes des médecins se concentrent sur quatre points. Non seulement je les ai entendues, mais j'y réponds précisément. J'ai eu l'occasion de m'exprimer la semaine dernière sur le sens des évolutions apportées au texte. J'aurai l'occasion d'y revenir en répondant à vos questions, puis en vous présentant les amendements qui viennent matérialiser ces changements.

Mais, concrètement, il y avait d'abord la crainte d'une étatisation du système de santé, avec un pouvoir de décision unilatéral, descendant des agences régionales de santé (ARS). Cela n'a jamais été mon intention. Les amendements déposés à l'article 12 apporteront toutes clarifications à cet égard. Ainsi, l'amendement AS972 créera un nouveau chapitre au projet de loi, intitulé « Promouvoir les soins primaires et favoriser la structuration des parcours de santé ». Cela permettra de répondre à l'attente d'une meilleure identification, dans la loi, du rôle des médecins traitants, des équipes de soins primaires et des médecins spécialistes. L'amendement AS975 indiquera que l'organisation des parcours sur le territoire est pilotée par les équipes de soins primaires, constituées autour des médecins généralistes de premier recours. L'amendement AS976 matérialisera cette évolution en remplaçant le terme de « service territorial de santé au public » par celui de « communauté professionnelle territoriale de santé ».

Il y avait ensuite la crainte que le rétablissement du service public hospitalier ne vienne remettre en cause la règle, actuellement en vigueur, selon laquelle l'appartenance ou non au service public conditionne les autorisations de soins ou d'équipements. L'amendement AS977, déposé à l'article 26, inscrit clairement cette règle dans la loi. Au-delà, la nature des obligations du service public hospitalier, notamment l'absence de dépassement d'honoraires, est réaffirmée.

Des craintes ont également été émises autour du métier médical.

Sur la question des pratiques avancées, l'amendement AS1505 réaffirmera le rôle du médecin en qualité de coordonnateur de l'équipe au sein de laquelle exercera le professionnel paramédical en pratique avancée ; il clarifiera les champs d'activité et précisera que les mesures réglementaires d'application seront mises en oeuvre après concertation des représentants des professionnels concernés.

Quant à la possibilité donnée aux pharmaciens de pratiquer la vaccination, elle a fait craindre un démantèlement du métier du médecin. J'ai déjà annoncé que cette mesure ferait l'objet d'une expérimentation dans le cadre des dispositions existantes du code de la santé publique relatives à la coopération entre professionnels de santé. La mission confiée à votre collègue Sandrine Hurel permettra par ailleurs d'élaborer des pistes innovantes pour renforcer la couverture vaccinale, qui est ma préoccupation majeure.

Il y a la crainte, enfin, que l'extension du tiers payant à tous les Français ne se traduise par une charge administrative et des frais supplémentaires pour les médecins, ainsi que par une mainmise des organismes complémentaires sur leurs pratiques.

L'amendement AS1725, déposé à l'article 18, indiquera clairement les garanties apportées. Le paiement au médecin ne pourra excéder sept jours et donnera lieu à des pénalités en cas de retard.

J'ai pris en outre des engagements fermes sur le dispositif technique : les médecins n'auront à faire qu'un seul geste pour déclencher le paiement. L'amendement précise par ailleurs que l'extension du tiers payant inclut nécessairement le déploiement d'une solution technique commune à l'assurance maladie et aux organismes complémentaires. Ce dispositif, j'y insiste, permettra d'adresser aux médecins un flux unique de paiement. Le Gouvernement s'est engagé à ce que ce soit simple, la loi y répond.

Enfin, je veux redire explicitement qu'il ne s'agit en aucun cas de donner des leviers aux organismes complémentaires pour encadrer la pratique des médecins d'une quelconque manière. Je rappelle que ces organismes remboursent d'ores et déjà une partie des actes et que leur part de remboursement n'a cessé d'augmenter entre 2007 et 2012 au détriment de l'assurance maladie. Depuis 2012, au contraire, cette part n'a cessé de diminuer au profit de celle-ci, ce qui marque bien une orientation et une volonté de ce Gouvernement. Je veux le dire à nouveau clairement : ni la liberté de prescription ni la liberté d'installation ne sont et ne seront remises en cause par ce Gouvernement.

Vous le voyez : les évolutions annoncées il y a une semaine font l'objet d'amendements que je vous présente aujourd'hui. J'ai pris des engagements et je les tiens. Il y aura un avant et un après-commission des affaires sociales, puisque ces garanties seront, si vous les adoptez, inscrites dans le texte dont nous débattrons.

Sur la question plus large de la place des médecins dans notre système de santé, notamment des jeunes, le projet de loi n'a jamais eu pour objet de définir une réforme des études médicales. Les représentants des différentes organisations de jeunes eux-mêmes en conviennent. Cela étant, ils ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs attentes quant à la réforme du troisième cycle des études médicales, dernière étape de leur formation initiale, qu'ils souhaitent voir encadrée et définie. Avec Najat Vallaud-Belkacem, nous leur avons formellement répondu hier.

D'abord, nous leur avons confirmé que le projet de réforme du troisième cycle consacrerait les internes comme des praticiens en formation. Ensuite, que cette réforme serait prise en charge par une commission unique commune aux étudiants en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique – c'était aussi l'une de leurs demandes. Enfin, que la réforme s'attacherait clairement à préciser les conditions de la formation pratique en stage, qui est une de leurs préoccupations.

Au-delà de la formation, les représentants des médecins, et particulièrement des plus jeunes, ont souhaité une réflexion plus large sur l'avenir du métier médical et du mode d'exercice. Le Premier ministre a donc annoncé la semaine dernière la tenue, avant la fin de l'année, d'une grande conférence de la santé, dont il précisera prochainement les modalités de préparation et de mise en oeuvre. Les travaux préparatoires débuteront très prochainement, en associant l'ensemble des acteurs. L'agenda de la conférence et sa feuille de route seront élaborés main dans la main avec les représentants des médecins, en particulier des jeunes.

Ce projet de loi est une étape majeure pour la modernisation du système de santé, qui s'inscrit dans la politique d'ensemble menée depuis trois ans. Le fil rouge de l'action que je mène est de faire reculer par tous les moyens les inégalités sociales et territoriales en matière de santé et de permettre une prise en charge coordonnée des patients : permettre à chacun de pouvoir se soigner, quel que soit son âge, son milieu social ou son territoire, est une politique de progrès et de justice.

Cette politique s'est d'abord traduite dans le Pacte Territoire-Santé, avec un investissement considérable dans les soins de proximité et le travail en équipe, pour lequel je viens de mettre en place une rémunération spécifique. Les résultats sont là : nous devons les amplifier – le débat parlementaire permettra sans doute de le rappeler.

Cette politique s'est ensuite traduite par la mise en place d'un dispositif de tarification adapté aux établissements de proximité, pour sortir du « tout T2A » et ne pas en rester à une tarification à l'activité qui pénalise nombre de nos hôpitaux locaux. Plus de 300 établissements seront concernés en 2015 par cette réorientation.

Mais pour aller plus loin dans la réduction des inégalités et dans la prise en charge coordonnée des Français, il faut une nouvelle étape. C'est le sens du projet de loi de modernisation du système de santé. Sa cohérence est forte : il met l'accent sur la prévention, qui est la meilleure arme pour faire reculer les inégalités sociales de santé ; il met l'accent sur le renforcement du rôle du médecin traitant, pour garantir un accompagnement de qualité aux patients sur tout le territoire ; il met l'accent enfin sur de nouveaux droits pour les malades.

Cette cohérence, il nous faut la préserver. L'examen du texte permettra évidemment de l'enrichir. Mais j'ai déjà eu l'occasion de dire que toute disposition relative à la santé n'a pas vocation à y figurer, ce projet poursuivant des objectifs spécifiques.

Prévention, proximité du médecin traitant et des soins primaires, droits des patients : les débats de ces dernières semaines et les inquiétudes légitimes des professionnels ne peuvent occulter les enjeux qui sont devant nous. J'ai entendu une partie de l'opposition appeler au retrait du projet de loi. Outre le fait que cette position n'est pas responsable, elle ne répond pas aux besoins des Français. Ceux qui font vivre notre système de santé au quotidien savent qu'il y a dans ce texte des mesures concrètes et attendues, dont certaines depuis trop longtemps.

Premièrement, des mesures pour renforcer la prévention.

Nous devons en effet encourager les comportements favorables à la santé. Parce que nombre de maladies pourraient être évitées et que les inégalités sociales pèsent. Moins on est riche, plus on risque d'être frappé tôt et durement par la maladie. Et plus on est précaire, plus on est exposé au risque.

Au cours de nos débats, je vous proposerai donc d'adopter par amendements les mesures issues du programme national de réduction du tabagisme, entre autres la mise en place du paquet neutre de cigarettes ou l'interdiction de fumer en voiture en présence d'enfants. Cette stratégie coordonnée a été saluée unanimement par l'ensemble des associations antitabac.

Celle-ci viendra compléter les grands axes de prévention prévus dans le texte. Je pense notamment à la lutte contre l'obésité, avec la mise en place d'un logo nutritionnel sur les aliments, ou à la santé des jeunes, avec la création d'un délit d'incitation à l'alcoolisation excessive et la mise en place d'un parcours éducatif en santé ; mais aussi à la lutte contre les infections sexuellement transmissibles, en favorisant le dépistage, ainsi qu'à la santé environnementale, dont nous savons qu'il s'agit d'un enjeu majeur – vital même – pour les générations à venir. Le texte prévoit déjà plusieurs mesures à cet égard, notamment en termes d'information sur l'impact sanitaire de la pollution. À l'occasion de la conférence environnementale, j'ai indiqué ma volonté d'aller plus loin. Un travail a été engagé avec un certain nombre d'entre vous – dont votre rapporteur Olivier Véran et Jean-Louis Roumegas. Il doit se matérialiser par des amendements en commission puis en séance publique.

Deuxièmement, des mesures pour garantir la proximité des soins autour du médecin traitant et des équipes de soins primaires.

C'est une transformation majeure : il s'agit de passer d'un système centré sur l'hôpital à une médecine de proximité coordonnée par le médecin traitant autour du patient. C'est ce qu'attendent les Français et, là aussi, le projet de loi prévoit des mesures concrètes. Je pense par exemple à l'instauration du médecin traitant, généraliste ou pédiatre, pour les enfants de moins de seize ans, à la création d'un numéro national d'appel de garde et d'un service public d'information en santé, ou à l'obligation d'une lettre de liaison adressée par l'hôpital au médecin traitant le jour même de la sortie d'hospitalisation.

Je rappelle en outre les dispositions de l'article 12 relatives à l'organisation territoriale des soins, qui permet de mieux coordonner le parcours des patients et évoluera dans le sens que j'ai indiqué tout à l'heure.

Troisièmement, des mesures pour faire progresser les droits des patients. Parce que moderniser notre système de santé consiste aussi à faire progresser les droits des usagers, sachant qu'on ne peut se contenter de renforcer les droits existants. Il nous faut aller plus loin et ouvrir des champs nouveaux.

Nous renforçons ainsi le rôle des associations de patients et valorisons leurs initiatives sur le terrain. Nous instaurons aussi l'action de groupe en santé, qui va permettre aux patients de se défendre collectivement en cas de dommages subis.

Je vous présenterai par ailleurs un amendement visant à instaurer un droit à l'oubli pour d'anciens malades. L'objectif est de faire évoluer la convention AERAS, qui définit les dispositions applicables aux patients confrontés à des risques de santé aggravés, sachant que si, dans les jours qui viennent, un avenant à la convention devait être signé, cet amendement n'aurait plus lieu d'être ; mais si tel n'était pas le cas, il serait maintenu et le droit à l'oubli inscrit dans la loi.

Enfin, nous permettons à notre pays de rejoindre le large mouvement de l'open data. Il est de notre responsabilité de valoriser les données de santé pour l'intérêt collectif, dans le strict respect de la vie privée.

Ce projet de loi représente donc un ensemble de mesures très concrètes pour nos concitoyens et les professionnels de santé. Il s'agit de ne pas céder à la facilité, celle de l'immobilisme ou du statu quo.

Notre système doit être modernisé pour faire face aux défis qui bouleversent les équilibres sur lesquels il a été construit.

Je souhaite qu'au cours des prochains jours, nous parvenions à travailler ensemble pour enrichir ce projet de loi, avec détermination, en tout cas pour les ambitions qui sont les miennes, et évidemment beaucoup de souplesse partout où c'est nécessaire et possible.

Ces objectifs de justice et de progrès, qui animent le Gouvernement, feront en tout cas de ma part l'objet d'une détermination sans faille.

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