Intervention de Dominique Orliac

Réunion du 17 mars 2015 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Orliac :

Madame la ministre, le texte que vous présentez à la représentation nationale était attendu depuis très longtemps. Nous avions nourri beaucoup d'espoir à son sujet, mais il suscite aujourd'hui de nombreuses craintes, alors que la santé devrait faire l'objet d'un consensus national.

La santé, telle qu'elle est définie aujourd'hui par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), est un état général de bien-être mental et physique ; c'est probablement ce que nous avons de plus précieux.

Et pourtant, pour des raisons économiques, certains de nos concitoyens sont amenés à renoncer aux soins. D'autres, toxicomanes, pour des raisons liées au poids du regard, à la stigmatisation, y renoncent, faute de salles de consommation à moindres risques. D'autres encore, praticiens comme usagers ou associations de patients, comptent sur la mise en oeuvre tant attendue d'expérimentations pour élaborer, dans les meilleures conditions, notamment de sécurité juridique, les bonnes pratiques de demain et des prises en charge spécifiques.

Il faut reconnaître que tant l'organisation que la complexité du système de soins - disons-le, sa « technocratisation » – transforment trop souvent le parcours de soins en parcours du combattant, excluent certains de ses acteurs, pourtant indispensables, et épuisent les professionnels de santé en faisant d'eux des agents administratifs alors que ce n'est ni leur métier ni leur vocation.

Madame la ministre, le système de santé doit être pensé autour de trois piliers : les usagers, les professionnels et les structures de soins et d'accueil. Pour cela, il faut une loi qui apporte un nouveau souffle, un souffle fort et ambitieux. Une loi pragmatique, résolument orientée vers le développement des soins primaires, le dépistage, la prévention et l'éducation à la santé.

Oui, la santé a besoin d'un souffle nouveau, mais pas d'un vent qui risque de tout déraciner et arracher ; il nous faut un vent porteur pour la prévention et la santé publique, sans tabou, sans préjugés, qui apportent enfin les outils de cohérence qui lui manquent tant. C'est tout le sens des amendements que j'ai déposés, notamment celui qui propose un grand plan de prise en charge de l'enfant et de l'adolescent, pour insuffler une stratégie de santé de l'enfant et de l'adolescent. C'est souvent à cet âge que se déterminent les addictions à l'alcool, au tabac, aux produits stupéfiants, ainsi que les « addictions sans substance » comme les jeux vidéo. Là aussi, il y a des enjeux de santé majeurs qu'il nous faut courageusement prendre en charge.

Les plus vulnérables doivent être aidés et soignés, car les virus, les bactéries, la souffrance ne connaissent pas les passeports. Ainsi, en fusionnant les régimes de l'AME et de la CMU, comme je vous le propose, c'est une meilleure protection des plus faibles au bénéfice de la santé de tous que nous réaliserons.

De même, et c'est tous le sens de certains de mes amendements que je porte pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, à l'heure où les médias relaient le rôle stratégique des conditions de détention dans la réinsertion des personnes détenues, condition nécessaire pour lutter contre la récidive et pour la paix publique, il est indispensable que les lieux de privation de libertés soient une cible prioritaire des campagnes de prévention, d'éducation à la santé et de réduction des risques. Les radicaux de gauche y tiennent.

Il faut ensuite de l'air pour les professionnels de santé, surtout les médecins. Ils en ont besoin. La loi doit avant tout simplifier leur exercice, leur permettre de dégager du temps médical, du temps de soins, du temps de formation continue, et non les noyer dans des démarches administratives. Cet air nouveau doit leur permettre de retrouver une confiance dans ce système dont ils sont la cheville ouvrière. Ce système doit être élaboré et gouverné avec eux, et non contre eux. Cet air nouveau doit aussi éclaircir l'avenir des étudiants et internes qui, aujourd'hui, sont plus que pessimistes.

Il faut réconforter les médecins généralistes, qui sont la porte d'entrée dans le parcours de soins, le socle de notre médecine, les artisans des soins primaires et du dépistage. Ils se sentent mal-aimés, peu entendus, quelquefois même méprisés. Quand on sait leur temps de travail hebdomadaire, leur implication pour la santé de leurs patients, le niveau de leur qualification, madame la ministre, leur rôle pour la qualité de notre médecine doit être consacré.

La généralisation du tiers payant, qui fait tant parler, si elle est un des leviers d'accès aux soins, ne doit pas détruire le temps médical. Pourquoi ne pas proposer un serveur unique de paiement, qui rémunère le professionnel en une fois, lui garantit le règlement immédiat, et assure ensuite le recouvrement des sommes avancées auprès du régime obligatoire et du régime complémentaire ? En tout état de cause, il faudra veiller à ce que le nouveau dispositif ne se traduise pas par une augmentation des cotisations des patients, notamment auprès des organismes complémentaires.

Je pense aussi aux pharmacies d'officine. Elles sont souvent, surtout dans les territoires ruraux ou à faible densité médicale, une étape déterminante de la prise en charge. Ainsi, je vous propose d'encadrer et de développer la médication officinale de premier recours. Celle-ci permettra de reconnaître la place stratégique de ces acteurs de santé, de simplifier la vie du patient et de sécuriser la dispensation des médicaments sans prescription, car rien ne saurait remplacer le conseil du professionnel de santé.

Le service public hospitalier, qui repose sur des établissements tant publics que privés, ne doit exclure aucun de ses acteurs. Il n'en a pas les moyens. Plus encore, exclure certains de ces établissements en raison de leur caractère privé ou public, voire de leur politique de tarification, c'est remettre en cause le libre choix du médecin par le patient. Or ce choix, les Françaises et les Français y sont viscéralement attachés.

Il faut, en outre, un espoir pour l'organisation de la santé à l'échelon territorial, laquelle a tendance à ne plus bouger, souffrant de son obésité administrative. Ainsi, pour les ARS et les super-ARS à venir, notre système doit être effectivement piloté sur un territoire, et le pilote disposer des pouvoirs qui lui permettent de mener à bien sa mission. Mais dans une démocratie comme la nôtre, il n'existe pas de pouvoir sans contre-pouvoir.

Cette loi devra donc aménager un véritable contre-pouvoir au sein des territoires. Je vous propose donc de mettre en place une représentation effective de tous les acteurs de la démocratie sanitaire : les patients, les médecins libéraux comme hospitaliers, les pharmaciens, les autres professionnels de santé, les structures de soins. Ce système ne doit pas privilégier un tel ou un tel. Il ne doit pas opposer, mais réunir, fédérer. Ce système ne doit pas organiser des féodalités tenues par les directeurs généraux des ARS. Il ne s'agit pas de créer un contre-pouvoir simplement pour un contre-pouvoir ; il s'agit de mettre en place une représentation de tous, dotée de pouvoirs effectifs, pour accompagner les directeurs généraux d'ARS avec un seul objectif : une meilleure gouvernance de la santé dans les territoires.

Oui, madame la ministre, nous ne pouvons pas faire l'économie du savoir empirique de ceux qui vivent la santé au quotidien, et laisser son pilotage à quelques hauts fonctionnaires, entourés de quelques directeurs de CHU. Les ARS, si elles impulsent la stratégie de santé dans nos territoires, doivent avant tout accompagner les acteurs de soins, être un véritable soutien logistique.

Cette loi devra aussi, et il s'agit du respect des libertés fondamentales, s'assurer que l'exercice indispensable de la santé mentale puisse reposer sur des textes clairs, et c'est l'objet de certains des amendements que je porte au nom de mon groupe.

Plus encore, dans une démocratie moderne comme la République française, on ne peut plus tolérer l'existence de vestiges de structures honteuses, comme l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Cette zone de quasi-non-droit est insoutenable, et c'est malheureusement en vain que les associations de patients et des associations de défense des droits de l'Homme demandent sa suppression. C'est l'objet d'un amendement que j'ai déposé, pour que soient détaillées rapidement les conditions de son retour dans le régime du droit commun. Madame la ministre, une ministre de gauche, défenseure des droits de l'Homme, doit s'engager avec conviction dans cette nécessaire transformation et elle a, à cet égard, une obligation de résultat.

Madame la ministre, les Radicaux de gauche seront vigilants et exigeants. Au nom des valeurs d'humanisme et de liberté qui fondent leur engagement politique, ils font des points que j'ai soulevés les conditions de leur vote. Comme je vous l'ai dit, il faut tenir compte des trois piliers, les usagers, les professionnels et les structures de soins, qui sont intimement liés. Cette grande loi de santé publique, faisons-la ensemble, faisons-la avec tous et pour tous.

En conclusion, je citerai Nelson Mandela qui disait : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».

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