Intervention de Général Patrick Destremau

Réunion du 11 mars 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Patrick Destremau, adjoint au sous-chef d'état-major soutien de l'état-major des armées, délégué interarmées aux réserves :

À regret, nous parlons aujourd'hui de réservistes clandestins. À l'évidence, le contexte économique actuel ne facilite pas l'affirmation de son appartenance à la réserve ; chacun peut craindre que l'employeur y voie une contrainte supplémentaire. L'absence de l'employé peut fortement perturber le fonctionnement d'une PME et a fortiori d'une TPE ; les grosses sociétés ou les grandes administrations ont davantage la capacité d'y faire face. Nous avons signé plus de trois cents conventions et partenariats avec les entreprises et les administrations ; mais les entreprises sont bien plus nombreuses que cela ! Sortir la réserve de cette clandestinité demandera un vrai travail, à effectuer en priorité auprès des grandes entreprises et des administrations, la fonction publique devant montrer l'exemple.

La loi impose aux employeurs cinq jours d'emploi par réserviste et par an : cinq jours sont clairement insuffisants ; dix jours permettraient de bien prendre en compte la mission et de durer. S'il faut relever toutes les semaines chaque réserviste qui tient un poste, il faut recruter et former cinquante-deux personnes par an – une entreprise coûteuse !

Au-delà de son engagement citoyen et de sa volonté de participer à la défense de son pays, un réserviste nous apporte aussi sa connaissance des territoires. Ainsi, nous réfléchissons à l'idée de constituer des unités de réserve – en particulier dans l'armée de terre – rattachées aux déserts militaires où le recrutement s'avère difficile. Une quinzaine de départements, marqués par une conjonction de risques, pourraient bénéficier de ce dispositif. Le rajeunissement de la réserve et son ancrage dans nos territoires représentent des axes d'évolution importants.

Les membres de la réserve citoyenne viennent à nous, de manière simple et spontanée ; il n'y a pas d'enjeux particuliers derrière cette institution. Plus largement, la loi de 1999, modifiée en 2006, s'est révélée un cadre adapté, même si certaines de ses dispositions – comme celle qui concerne le délai du préavis et la durée de la disponibilité – gagneraient à être aménagées. Le dispositif me semble surtout pertinent par la variété des options proposées.

Un sujet reste pourtant délicat : la réserve de disponibilité, qui concerne 89 000 anciens militaires. Ce chiffre est considérable et laisse imaginer une véritable capacité de montée en puissance ; pourtant nous ne disposons aujourd'hui ni de l'infrastructure, ni des équipements, ni de l'organisation nécessaires pour les accueillir ; cela supposerait un investissement important. Jamais le Premier ministre n'a fait appel par décret à la réserve de sécurité nationale, comme la loi l'y autorise. De plus, il serait sans doute difficile de rappeler les gens contre leur gré sans dispositions réglementaires claires. Or quand nos soldats ou officiers nous quittent à l'issue d'un contrat court – jeunes, parfois mariés et sans beaucoup de ressources – et qu'ils essaient de retrouver un métier, il ne leur est pas facile de prévenir leur futur employeur qu'un décret du Premier ministre peut les obliger à quitter leur poste pendant un mois. Aussi, soumettre nos anciens militaires du rang à une obligation de réserve de disponibilité effective et régulière soulèvera sans doute des oppositions des employés et des employeurs ; cela pourrait aussi affecter l'attractivité de notre recrutement initial.

Comme je l'ai rappelé dans mes propos liminaires, il faut situer la réserve dans son contexte : la mobilisation permettait jadis, lorsque la France était en danger, d'appeler tout le monde sous les drapeaux. Aujourd'hui, à quel moment nos responsables politiques – et en particulier le Premier ministre – peuvent-ils considérer que la Nation est suffisamment en danger pour exiger cet effort de ses anciens militaires ? Plutôt que d'en rappeler la totalité, il pourrait être étudié le principe d'un rappel partiel et préalablement agréé de la réserve de disponibilité, faisant principalement appel à ceux qui ont quitté le service depuis moins de deux ans.

En tout état de cause, il convient de considérer ce sujet avec attention afin d'éviter des décisions qui affecteraient durablement l'attractivité de notre métier. Les décrets attachés à la loi sur la réserve de sécurité nationale prévoyaient initialement une disposition contraignante, mais celle-ci n'a finalement pas été retenue. Comment construire demain une réserve de disponibilité à la fois acceptable et efficace, qui nous donne une capacité réelle de montée en puissance si notre pays est menacé ? Il nous faut étudier à nouveau cette disposition – qui n'a jamais été appliquée – car elle paraît aujourd'hui difficile à mettre en oeuvre sans un minimum de mesures d'accompagnement.

Monsieur Le Bris, les réservistes porteurs de spécialités rares représentent pour nous une opportunité. L'exemple de la cyberdéfense est à ce titre particulièrement intéressant et exemplaire. En effet, ces compétences font l'objet d'une forte demande des entreprises. Pour autant, nous rencontrons un vrai succès en ce domaine car la communauté de la cyberdéfense militaire a réussi à tisser des liens étroits avec celle du monde civil. Le même type de dynamique est à l'oeuvre pour d'autres métiers. Nous avons besoin de compétences duales, et nous les recherchons. A titre d'exemple, nous souhaitons pouvoir faire appel plus largement aux médecins réservistes.

Le niveau de rémunération offert aux réservistes peut parfois représenter un frein. La rémunération est un levier important mais non déterminant. De ce point de vue, l'expérience du Royaume-Uni est instructive. Leur modèle a été construit et s'appuie sur une composante importante de réservistes. Pour faciliter le recrutement et la fidélisation, le système de rémunérations britannique garantit aux réservistes contre toute régression de salaire ; le niveau de revenu garanti est très élevé et peut aller jusqu'à 200 000 voire 300 000 livres par an. Pourtant les Britanniques sont très loin d'avoir atteint leurs objectifs ; l'incitation financière ne résout donc pas entièrement le problème de l'attractivité et de la disponibilité. Être militaire et défendre son pays ne peut se résumer à une simple question d'argent ; les valeurs et les missions sont également des facteurs très importants de motivation.

Jusqu'où veut-on aller dans le recours à une réserve de militaires à temps partiel ? Bien des employeurs font aujourd'hui appel à la ressource d'employés temporaires, mais les armées veulent-elles complètement adopter ce modèle ? Si nous optons pour un dispositif très souple, de réservistes militaires professionnels à durée limitée, les questions du niveau de savoir-être et de savoir-faire de nos réservistes, plus largement la question de leur niveau de professionnalisme me semble extrêmement importante. Je salue à cet égard les jeunes soldats qui viennent d'être agressés au couteau à Nice : s'ils avaient utilisé sans discernement ni retenue leurs armes de guerre en ville, les conséquences auraient été dramatiques pour nos concitoyens et pour la confiance que vous placez dans vos armées. Ces exigences professionnelles et éthiques me paraissent fondamentales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion