Intervention de Stéphane Travert

Séance en hémicycle du 25 mars 2015 à 15h00
Modernisation du secteur de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, chers collègues, par son pluralisme, sa diversité, la presse écrite est un des piliers de notre démocratie.

Chacun d’entre nous, et c’est bien normal, a ses préférences. Qu’en serait-il de nos libertés si une seule voix exprimait ce qui fait la richesse de la France, le débat politique ? Ces titres, qui tantôt nous rattachent à nos territoires, tantôt nous invitent à explorer des contrées lointaines, tantôt proposent des reportages de fond, tantôt font vivre l’humour et la satire, sont l’émanation du lien démocratique qui lie les citoyens à la vie publique.

Alors que nous avions débattu de cette proposition de loi tendant à la modernisation du secteur de la presse dans l’hémicycle le 17 décembre dernier, l’actualité macabre du mois de janvier a recentré le débat public du début d’année sur la liberté d’expression et la nécessité de sa préservation. L’attaque meurtrière au siège de Charlie Hebdo ainsi que les attentats visant des policiers et la supérette Hyper Cacher ont mobilisé des millions de nos concitoyens à travers le pays pour dire non à la terreur et défendre le droit à la liberté de conscience et à la liberté d’exprimer ses opinions.

La presse, qui traverse une crise économique sans précédent mettant en péril un grand nombre de titres nationaux et de la presse quotidienne régionale – érosion du lectorat, baisse des recettes publicitaires – reste donc un moyen de communication, d’information et de débat essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie. Nos concitoyens y restent très attachés : j’en veux pour preuve l’explosion du nombre d’abonnés à Charlie Hebdo dès février 2015.

Mais au-delà de la grande mobilisation du mois de janvier et du contexte dans lequel s’inscrit cette loi, revenons sur ses grands objectifs.

En préalable, partageons un constat : le numérique a bouleversé les usages et le modèle économique de la presse. C’est pourquoi cette proposition de loi portée par Michel Françaix était attendue par l’ensemble des professionnels de la filière. Je me félicite que nos deux chambres parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat, aient su trouver, en bonne intelligence avec le Gouvernement, un accord qui permettra à la presse de prendre un tournant vers le numérique pour assurer sa vitalité et sa qualité.

Cette proposition de loi porte tout d’abord sur la distribution de la presse, secteur en crise où se distinguent deux acteurs majeurs, Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse. Elle contient également une amélioration considérable du statut de l’AFP, notre agence de presse mondiale et généraliste à laquelle nous voulons rappeler notre attachement ici, attachement à la fois à la qualité de l’information qu’elle fournit et à l’ensemble de ses salariés. Ce texte crée enfin le statut d’entreprise solidaire de presse d’information, afin de favoriser demain l’émergence de nouveaux modèles économiques autour de la presse.

Depuis de nombreuses années, un manque de décisions claires a engendré une situation préoccupante pour le système coopératif de distribution de la presse papier. Cette proposition de loi tend à renforcer les principes de coopération et d’équilibre financier pour garantir la survie du système. Il est notoire que le système coopératif de distribution de la presse connaît à tous les niveaux une crise de structure qui fragilise les messageries, les dépositaires et les diffuseurs et, de fait, limite l’accès des lecteurs à la totalité des titres de presse sur l’ensemble du territoire.

Il convient de mettre un terme à cette inégalité. Alors que les intérêts fondamentaux de la filière ont été gravement menacés, de profondes réformes ont été menées. Leur conception et leur mise en oeuvre ont mobilisé fortement les éditeurs et les acteurs de la distribution, avec le concours actif des pouvoirs publics. Les éditeurs ont accepté de faire des efforts importants pour assurer leur exécution, malgré la situation économique d’ensemble très difficile. Une restructuration de la filière doit maintenant s’amorcer. Nous voulons accélérer la transition de ce secteur tout en évitant la rupture.

En outre, la réforme de la gouvernance de l’AFP est au coeur de cette proposition de loi. En effet, le texte que nous examinons est une loi de sauvetage de l’Agence France-Presse. Il va même au-delà, puisqu’il en fait une agence unique au monde. Pour prendre parfaitement le virage de l’ère numérique, l’AFP, troisième agence de presse mondiale et entreprise d’intérêt national, se doit de développer une nouvelle vague d’investissements à même de lui permettre de proposer des produits diversifiés, innovants et intégrant l’exigence de qualité qui fait la reconnaissance mondiale de l’Agence. Mais ses instances de direction doivent également traduire cette modernisation.

L’Agence France-Presse n’est pas une agence comme les autres. À la différence des agences américaines ou anglaises, l’AFP regroupe 2 900 collaborateurs répartis dans 165 pays, qui rendent compte en six langues de la marche de la planète, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en vidéo, texte, photo, multimédia et infographie. Ce réseau unique au monde permet une couverture de fond de l’actualité internationale, et non une information sans profondeur s’inscrivant dans la culture du « buzz » qui se développe dans la plupart des grandes agences de presse mondiales.

Cette proposition de loi offre à l’AFP trois garanties majeures : l’absence de licenciement du personnel, le maintien du statut d’agence généraliste et la valorisation de l’exception culturelle française à l’international.

Aujourd’hui plus que jamais, la presse doit se diversifier et s’orienter vers de nouveaux modèles. Avec le souci permanent de l’indépendance, de la pluralité et de l’avenir du secteur, le législateur doit porter ce nouveau modèle entrepreneurial et faciliter l’accès à la presse. C’est la troisième voie que nous ouvrons ici ensemble en créant le statut d’entreprise solidaire de presse d’information, inspiré des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Dans un contexte difficile pour la presse écrite, où de nouvelles sources d’information apparaissent sur de nouveaux supports en dehors des circuits classiques, il est indispensable de soutenir la vitalité de la presse d’information politique et généraliste. Les entreprises solidaires de presse seront plus fortes parce qu’elles réinvestiront leurs bénéfices dans leur activité.

Je tiens ici à me féliciter, au nom au groupe socialiste, républicain et citoyen, de l’accord unanime trouvé à l’occasion de la CMP du mercredi 18 février dernier sur cette proposition de loi. Chaque chambre a ainsi pu contribuer à l’évolution du texte.

Revenons rapidement sur les principales conclusions de la CMP.

Au titre Ier relatif à la régulation de la distribution de la presse, la CMP a prévu que le Conseil supérieur des messageries de presse devra rendre à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse son avis motivé sur l’homologation des barèmes, dans un délai maximal de quatre semaines à compter de leur réception.

S’agissant des dispositions relatives à l’AFP, qui font l’objet du titre II, le point de divergence entre nos deux chambres concernait la création d’une commission de surveillance en lieu et place du conseil supérieur et de la commission financière existants. La solution retenue par la CMP consiste à appliquer au conseil supérieur de l’AFP toutes les dispositions introduites au Sénat par le biais d’une commission de surveillance, afin de renforcer son rôle de contre-pouvoir au conseil d’administration, lui-même consolidé par des dispositions introduites par notre rapporteur en première lecture.

Le conseil supérieur de l’Agence France-Presse est ainsi doté de compétences élargies et de nouveaux pouvoirs. Se réunissant au moins chaque semestre, il garantit la pérennité de l’AFP. Il est consulté par le président-directeur général sur toute décision stratégique pour l’AFP et sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens. Il peut recevoir du PDG tous les documents et renseignements utiles à sa mission. Il auditionne le PDG sur l’activité, la gestion et l’indépendance de l’AFP. Chaque année, il rend compte au Parlement de la situation économique, financière et sociale ainsi que du respect de la déontologie et de l’indépendance de l’AFP, dans le cadre d’un rapport remis avant le 30 juin.

Le conseil d’administration de l’AFP se réunira au moins quatre fois par an. Trois des cinq personnalités qualifiées qui y siégeront devront justifier d’une expérience significative au niveau européen ou international.

Le titre III, qui concerne le soutien à la presse, crée notamment le statut d’entreprise solidaire de presse d’information. Il a été complété par deux mécanismes : la réduction d’impôt accordée au titre des souscriptions en numéraire au capital des entreprises de presse, et l’amendement « Charb » relatif à la défiscalisation des dons des particuliers aux associations ou aux fonds de dotation oeuvrant pour le pluralisme de la presse, sous réserve de deux précisions destinées à en sécuriser l’application : l’organisme bénéficiaire des dons devra être reconnu d’intérêt général et il ne devra exister aucun lien entre le donateur et l’entreprise de presse bénéficiaire du don.

Permettez-moi enfin de me féliciter à nouveau de la qualité de nos échanges, entre parlementaires de tous les bancs, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, et avec le Gouvernement, pour engager une étape majeure de la modernisation du secteur de la presse.

Je conclurai mon intervention par ces mots de Maximilien de Robespierre dans son discours sur la liberté de la presse : « Après la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses semblables est l’attribut le plus frappant qui distingue l’homme de la brute. Elle est tout à la fois le signe de la vocation immortelle de l’homme à l’état social, le lien, l’âme, l’instrument de la société, le moyen unique de la perfectionner, d’atteindre le degré de puissance, de lumière et de bonheur dont il est susceptible. »

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