Intervention de Elisabeth Pochon

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon :

La proposition de loi en discussion vise à modifier les dispositions du code pénal relatives à la légitime défense afin d'aligner les règles qui régissent l'usage des armes à feu par les fonctionnaires de police sur celles applicables aux gendarmes. Elle crée un régime d'irresponsabilité pour les policiers en cas d'usage de leurs armes, fondé sur une présomption de légitime défense des policiers.

Cette proposition n'est pas nouvelle. C'est une résurgence de la campagne présidentielle : on la trouvait dans le programme de Marine Le Pen et le candidat Nicolas Sarkozy s'y était déclaré favorable entre les deux tours, une prise de position saluée par la même Marine Le Pen comme une victoire idéologique de son parti. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Elle répond au voeu du syndicat Alliance, selon lequel elle assurerait aux forces de l'ordre une meilleure protection juridique au cours de leurs interventions.

Cette revendication des policiers, que l'on retrouve au fil des treizième et quatorzième législatures, repose sur des arguments professionnels. La légitime défense de droit commun nuirait à l'efficacité des policiers lorsqu'ils poursuivent des délinquants ou des criminels ; elle les mettrait en danger, car ils seraient obligés d'attendre d'être menacés par une arme pour pouvoir y recourir. Les policiers estiment également que les magistrats en font trop fréquemment une interprétation restrictive, souvent en leur défaveur. Le fait que la justice n'ait pas retenu la légitime défense dans des affaires qui datent de 2011 et de 2012 avait d'ailleurs provoqué une manifestation à laquelle s'étaient joints des syndicats de police.

Enfin, les policiers réclament l'alignement de leur statut sur celui des gendarmes. Sur ce point, il semble qu'il y ait un malentendu. Certes, les gendarmes ne sont pas soumis au principe de la légitime défense de droit commun : en cas de menace armée directe, ils peuvent, après les sommations d'usage, faire feu avec leur arme de service pour assurer leur protection ou celle d'autrui. Mais ce tir est encadré. Les gendarmes sont des militaires ; ils n'ont pas le libre choix de se servir de leurs armes à feu ; ils ne tirent que sur ordre, sauf dans des cas limitativement prévus par l'article L. 2338-3 du code de la défense, et, même alors, le principe d'absolue nécessité s'impose.

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, a eu l'occasion de le rappeler : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a défini les conditions dans lesquelles on peut engager la force – la proportionnalité d'abord, l'extrême nécessité ensuite –, et les conditions d'usage de la force, telles qu'elles ressortent de la loi et de la jurisprudence, sont en fait identiques pour les policiers et pour les gendarmes.

Plusieurs propositions de loi ont précédé celle-ci, toutes issues de l'UMP ou du Front national (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : elles étaient signées par M. Roustan, Mme Barèges, M. Estrosi ou encore M. Collard. Toutes bénéficiaient aux forces de l'ordre et répondaient à un voeu exprimé par le syndicat Alliance au cours de la précédente législature. Toutes allaient vers l'assouplissement des conditions de la légitime défense au bénéfice des policiers, et parfois même des citoyens. Aucune d'entre elles n'a abouti.

En janvier 2012, Claude Guéant, alors ministre de l'Intérieur, avait jugé que « l'état actuel du droit, même s'il est difficile pour les policiers, représente un bon équilibre », ajoutant : « Ce qu'il faut, de notre côté, c'est que nous assurions au policier un supplément de formation continue afin qu'il puisse se remémorer, y compris dans ses gestes, la façon dont le droit doit être intégré à son action […] mais on ne peut pas donner aux policiers un permis de tirer, ce n'est pas possible. » Voilà ce qu'il déclarait avant d'être contredit, trois mois plus tard, par Nicolas Sarkozy.

Le contexte aurait-il changé ? Au syndicat Alliance, qui invoque l'aggravation des conditions de travail, nous aimerions rappeler que la réduction drastique des effectifs due à la révision générale des politiques publiques (RGPP), la pression résultant de la politique du chiffre ou l'inégale répartition territoriale des effectifs appartiennent au passé et que, depuis 2012, les moyens alloués à la police se sont plutôt améliorés.

Le contexte médiatique, quant à lui, est assurément particulier. Certes, les attentats survenus début janvier ont représenté pour notre nation un traumatisme considérable et la population a su témoigner à la police toute la reconnaissance qui lui est due. Mais ce n'est pas parce que les policiers tués n'ont pu recourir à la légitime défense qu'ils sont morts : ils ont été tout simplement assassinés. Une loi comme celle que nous examinons n'y aurait pas changé grand-chose.

Cette proposition de loi vise à poser le principe de l'irresponsabilité pénale des policiers, agissant tant comme officiers de police judiciaire qu'en maintien de l'ordre, dans l'exercice de leurs fonctions, et à supprimer les références aux conditions de la légitime défense, qui reposent sur un équilibre entre le danger réel, immédiat, et la qualité de la riposte, marqué par le caractère injustifié de l'atteinte portée à soi-même ou à autrui et par les principes de nécessité, de simultanéité et de proportionnalité.

La proposition de loi instaure ainsi une exception au principe de légitime défense, au bénéfice des policiers et des gendarmes. Elle assouplit les conditions de l'usage de l'arme par les agents et propose l'impunité des policiers et des gendarmes agissant pour leur propre défense en cas de violences ou de voies de fait – jets de pierres, utilisation de fumigènes, coups de feu. Les conditions de la légitime défense sont implicitement maintenues, hormis les principes de nécessité et de proportionnalité. Je vous renvoie au texte pour la liste détaillée des situations envisagées.

La proposition de loi ne se contente pas d'instaurer une présomption de légitime défense : elle tend aussi à créer un régime d'irresponsabilité, voisin de l'excuse absolutoire, en cas d'usage d'une arme en service. Je doute que la confiance témoignée par la population aux policiers perdure si cette présomption est appliquée et que la police n'a plus à répondre de ses actes.

En outre, le texte est juridiquement périlleux. Dans le droit actuel, la présomption de légitime défense repose sur les circonstances des faits et non sur la qualité de la personne qui en est l'auteur. Ici, au contraire, ce serait la qualité de policier qui ferait présumer la légitime défense. Le Conseil constitutionnel pourrait y voir une atteinte à l'égalité. Un policier est un citoyen comme un autre. Il n'y a rien de choquant à demander à un policier qui fait usage de la force de s'en justifier. De plus, instaurer une présomption générale de légitime défense rendrait très difficile à établir d'éventuelles violences policières illégitimes qui, certes rares, n'en sont pas moins inacceptables dans un État de droit.

En revanche, cette loi serait-elle en vigueur qu'elle ne pourrait faire obstacle à la mise en examen du policier, à cette notification officielle de charges qui ouvre les droits de la défense. L'existence d'une présomption de légitime défense ne peut empêcher les poursuites ni ne change quoi que ce soit à une procédure. C'est à la fin du processus, au stade de l'établissement de la culpabilité, qu'elle entre en compte : c'est le travail du juge d'instruction de rechercher si les circonstances de l'infraction l'établissent ou l'écartent.

Le texte nous est soumis à un moment opportun du calendrier : c'est entre les deux tours des élections départementales (Protestations sur les bancs du groupe UMP) que resurgit cette proposition récurrente, comme un chiffon rouge, par laquelle on suggère qu'il y aurait ici, d'un côté les amis de la police et de l'ordre, de l'autre les partisans du chaos ou du rejet de la force publique. Mais nous avons tous la même reconnaissance envers les policiers, qui exercent leur mission dans des conditions difficiles. Et c'est une élue de Seine-Saint-Denis qui vous parle, ayant en tête des images très précises de jeunes policiers frais émoulus de leur formation et déjà en difficulté.

Vous l'aurez compris, le groupe SRC votera contre cette proposition de loi, parce que sa nécessité n'est pas avérée, parce que c'est une fausse bonne idée, une loi d'affichage, qui s'inscrit dans le sillage des propos de M. Robert Ménard sur l'arme, « nouvel ami » du policier – la loi pourrait d'ailleurs, c'était votre souhait, être étendue à la police municipale et à d'autres corps. Nous déplorons bien entendu le décès des policiers en service (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), comme vous !

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