Intervention de Philippe Meunier

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Meunier, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, c'est la deuxième fois que le groupe UMP décide d'inscrire à l'ordre du jour une proposition de loi ayant pour objet de priver de la nationalité française les terroristes qui ont pris les armes contre la France et de créer un crime d'indignité nationale. Le 4 décembre dernier, la majorité et le Gouvernement se sont opposés à cette mesure, au motif que le droit en vigueur serait suffisant, et qu'elle serait à la fois « stigmatisante » et disproportionnée par rapport à la gravité des faits. Les amendements que nous avions déposés en ce sens lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, en septembre 2014, ont également été rejetés.

Les attentats odieux qui ont frappé notre pays en ce début d'année et le nombre croissant de Français engagés en Syrie et en Irak dans les rangs de l'organisation terroriste DAECH démontrent pourtant, de façon tragique, que la mesure que nous proposons est indispensable.

Selon le dernier état des lieux dressé par le ministère de l'Intérieur, à la fin du mois de février, 413 Français étaient engagés dans les zones de combat en Syrie, et 294 seraient en transit vers ces zones. Selon le Premier ministre, le nombre des Européens engagés devrait plus que tripler d'ici la fin de l'année. Ces milliers de Français radicalisés, devenus des ennemis de notre pays, disposent d'un droit au séjour sur notre territoire ainsi que de celui de circuler librement dans toute l'Union européenne.

La menace constituée par ces individus à leur retour est considérable. Elle exige qu'ils fassent l'objet d'une surveillance continue, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Imagine-t-on les effectifs policiers qu'une telle surveillance mobiliserait, au détriment des autres missions de sécurité publique incombant aux forces de l'ordre ?

La seule mesure susceptible d'assurer la sécurité de nos concitoyens est de priver les individus concernés de la nationalité française, afin de pouvoir leur interdire notre territoire à leur retour ou les en expulser, le cas échéant après qu'ils aient purgé une peine de prison.

Monsieur le Président, vous qui êtes spécialiste de ces questions et qui rapporterez prochainement sur le projet de loi relatif aux services de renseignement, je ne pense pas que vous me contredirez sur ce point : si nous ne parvenons pas, d'une manière ou d'une autre, à empêcher le retour de ces centaines, voire milliers de Français radicalisés sur notre sol, la sécurité de nos concitoyens ne pourra être assurée. De ce point de vue, la privation de la nationalité n'est pas qu'une mesure symbolique, même si les symboles ont leur importance : c'est une mesure aux conséquences concrètes, indispensable pour assurer notre sécurité.

Le gouvernement britannique l'a parfaitement compris et a agi en conséquence : une première loi a étendu, en juillet 2014, la possibilité de priver un citoyen britannique, même de naissance, de sa nationalité, et autorisé la perte de nationalité d'un citoyen naturalisé même si cela le rend apatride. Une seconde loi antiterroriste, en date du 12 février 2015, autorise désormais le gouvernement à interdire temporairement l'accès au territoire britannique à des nationaux engagés dans des activités terroristes à l'étranger. D'autres États, tels que le Canada ou la Belgique, envisagent ou ont réformé leur droit de la nationalité pour lutter contre le terrorisme.

Lors de l'examen de la précédente proposition de loi que nous avions déposée et du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement a affirmé que le droit de la nationalité française en vigueur serait suffisant sur ce point. C'est malheureusement inexact.

En effet, en application des articles 25 et 25-1 du code civil, seuls les Français d'acquisition – par la voie de la naturalisation ou du mariage, par exemple – possédant une autre nationalité peuvent être déchus de leur nationalité française pour actes de terrorisme, dans des délais encadrés par la loi. Deux catégories de Français échappent donc totalement à ce dispositif : les Français de naissance, d'une part ; les Français d'acquisition ne possédant pas une autre nationalité, d'autre part. Aucun d'entre eux ne peut se voir retirer leur nationalité pour acte de terrorisme. Ce sont deux graves lacunes.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se pencher sur le profil de certains des terroristes français ayant frappé notre pays et la Belgique au cours de la période récente : Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient ou sont tous Français de naissance. Certains d'entre eux n'étaient en outre pas binationaux. Aucun d'entre eux n'aurait donc pu faire l'objet d'une procédure de déchéance de la nationalité française, les conditions légales n'étant pas remplies.

Le second argument qui nous a été opposé, tout aussi inexact, est que notre proposition serait inconstitutionnelle. Dans une décision rendue le 23 janvier 2015, le Conseil constitutionnel, confirmant une décision du 16 juillet 1996, a validé le recours à la déchéance de nationalité à rencontre des terroristes « eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme ». Si la privation de nationalité est constitutionnelle, parce que proportionnée, lorsqu'elle est prononcée à l'encontre d'un Français par acquisition pour les actes de terrorisme, elle l'est nécessairement lorsqu'elle est prononcée à l'encontre des Français de naissance. Si le Conseil constitutionnel en jugeait autrement, cela reviendrait à contraindre le législateur à traiter les Français différemment, selon qu'ils le sont de naissance ou par acquisition, alors qu'il a lui-même jugé que tous les Français étaient égaux au regard du droit de la nationalité ! Prétendre que notre proposition, dans sa nouvelle rédaction, soulèverait une difficulté constitutionnelle, c'est considérer qu'il y a deux catégories de Français au regard de la privation de nationalité : les Français « de fraîche date » et les Français de naissance.

C'est la raison pour laquelle, au lieu de recourir à la déchéance de nationalité, qui est réservée aux Français d'acquisition, nous avons retenu la perte de nationalité, qui vise tous les Français, sans distinction. Ce qui importe, c'est la particulière gravité des faits : peu importe que l'intéressé soit Français depuis quinze générations ou depuis trois ans ! Notre proposition de loi met fin à une inégalité de traitement, ce qui devrait tous nous réunir. J'observe d'ailleurs, mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements, que la distinction entre déchéance et perte de nationalité est, de toute évidence, ignorée par les auteurs de l'amendement de suppression de l'article 1er, alors qu'elle est essentielle.

Notre proposition de loi comporte deux articles. Le premier prévoit un nouveau cas de perte de la nationalité française, qui s'appliquera au Français qui a participé à des opérations armées contre les forces armées françaises ou contre un civil français, ou qui s'est rendu complice de telles opérations, à l'étranger ou en France. Un nouvel article 23-8-1 du code civil serait ainsi créé. Tout Français, d'acquisition ou de naissance, pourra être ainsi privé de sa nationalité française, à condition qu'il possède une autre nationalité. Cette perte de nationalité sera prononcée par décret pris après avis conforme du Conseil d'État – j'ai en effet déposé un amendement transformant en avis conforme l'avis simple prévu initialement – après avoir été entendu ou invité à présenter ses observations, conformément à l'actuel article 23-8 du code civil. L'intéressé fera alors l'objet d'une mesure d'expulsion du territoire national, s'il s'y trouve, ou d'une mesure d'interdiction administrative du territoire s'il est à l'étranger.

L'article 2 tend à modifier le code pénal afin de créer un crime d'indignité nationale, accompagné d'une peine complémentaire de dégradation nationale, à l'encontre de tout Français auteur ou complice des mêmes faits que ceux visés à l'article 1er. Il complète à cette fin la section du code pénal relative aux « intelligences avec une puissance étrangère ».

Cette nouvelle incrimination s'inspire du dispositif mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale par l'ordonnance du 26 août 1944 pour sanctionner les Français ayant collaboré avec l'ennemi, et qui était assorti, lui aussi, d'une peine de dégradation nationale emportant la privation de tous les droits civiques, civils et politiques, ainsi que certaines interdictions professionnelles. Notre proposition reprend cette peine, et la complète par une peine de trente ans de détention criminelle, ce qui n'était pas envisageable il y a soixante-dix ans compte tenu du caractère rétroactif de l'incrimination créée par l'ordonnance du 26 août 1944.

Si le Président m'y autorise, je souhaite, pour conclure, dire un mot de l'un des amendements que j'ai présentés pour améliorer le dispositif.

Comme je l'ai exposé précédemment, notre proposition de loi vise à combler l'une des deux lacunes du dispositif actuel, en permettant de priver également les Français de naissance de leur nationalité française s'ils ont perpétré des actes de terrorisme. Elle ne permet cependant pas, dans sa rédaction actuelle, de priver les Français, d'acquisition ou de naissance, de leur nationalité si cela avait pour effet de les rendre apatrides. C'est une grave lacune car beaucoup de nos compatriotes qui combattent dans les rangs de DAECH n'ont pas d'autre nationalité. Nous avons prévu cette exception parce qu'il a toujours été affirmé que le droit international interdisait de rendre apatride un de ses propres ressortissants.

Or, une expertise approfondie a révélé que cette idée répandue était fausse. Le droit international n'interdit pas à la France de rendre apatride un de ses ressortissants. L'instrument de référence en la matière est la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée dans le cadre des Nations unies. Si la France a signé cette convention le 31 mai 1962, elle ne l'a pas ratifiée. Elle n'est donc pas liée par cette dernière.

Au surplus, ladite convention n'interdit aucunement aux États parties de priver un individu de sa nationalité, y compris dans le cas où cette privation doit le rendre apatride, si cette privation est motivée par un manque de loyalisme envers l'État concerné ou s'il a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État concerné ou encore s'il a manifesté par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l'État contractant – article 8, paragraphe 3. Du reste, la France, lors de la signature de la convention, a effectué une déclaration par laquelle elle a indiqué qu'elle se réservait le droit d'user, en cas de ratification, de la faculté qui lui est ouverte par l'article 8, paragraphe 3.

De plus, l'article 23-8 du code civil permet déjà de rendre un Français apatride, s'il a apporté son concours à l'armée ou au service public d'un autre État ou à une organisation internationale dont la France ne fait pas partie, malgré l'injonction du Gouvernement de cesser son activité. La législation de nombreux États européens comporte des dispositions similaires, les autorisant à rendre leurs ressortissants apatrides. Tel est le cas de l'Autriche, de l'Espagne, de l'Estonie, de la Grèce, de l'Italie et de la Lituanie, ainsi que du Royaume-Uni.

Mon amendement CL6 consiste donc à insérer un nouvel article 23-8-2 au sein du code civil, visant à prévoir un nouveau cas de perte de la nationalité française, applicable aux Français d'origine comme d'acquisition, qu'ils possèdent une autre nationalité ou non. Ce nouveau cas de perte de la nationalité française concernera les Français condamnés pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Cette perte prendra la forme d'un décret pris après avis conforme du Conseil d'État, comme en matière de déchéance de nationalité.

Le sujet dont nous débattons est un sujet grave, sur lequel aucun d'entre nous ne devrait adopter de posture politicienne. Tel est malheureusement le cas des amendements de suppression déposés par nos collègues du groupe écologiste, dont la lecture révèle une méconnaissance profonde du droit de la nationalité et une volonté délibérée de caricaturer les propositions qui vous sont soumises : ils n'ont manifestement pas pris la peine de lire le dispositif ou de regarder ce qui se fait au-delà de nos frontières pour lutter contre le terrorisme. Il nous faut au contraire dialoguer pour parvenir, je l'espère, à une solution susceptible de faire consensus.

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