Intervention de Pascal Popelin

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Popelin :

Je vous remercie, monsieur le président, du travail complet que vous avez effectué sur un sujet aussi sensible et complexe.

Il était utile, pour alimenter notre réflexion et forger notre conviction, que nous disposions de références historiques et juridiques documentées.

Cela nous permettra en effet d'éviter deux écueils. Le premier eût été d'écarter d'un revers de main l'idée de réactiver dans notre droit le crime d'indignité nationale ou toute autre forme de peine de dégradation civique, dispositions qui ont accompagné, dans certaines circonstances, l'histoire de la République. Le second eût été de nous précipiter dans le vote d'une loi d'émotion, de réaction ou de circonstance, comme ce fut trop souvent le cas, sous le coup de la légitime indignation, suscitée au sein de la représentation nationale comme dans l'opinion publique, par les actes ignobles perpétrés sur notre territoire par des individus de nationalité française.

Votre travail, monsieur le président, a contribué à forger mon opinion, qui n'était pas arrêtée sur le sujet, même si j'avais déjà pointé des références historiques hasardeuses au cours de l'examen, en séance publique, le 4 décembre 2014, de la première version de cette proposition de loi.

Votre travail a conforté mon sentiment : les idées qui semblent frappées au coin du bon sens peuvent dissimuler des vices, qu'un regard attentif permet de déceler. Autrement dit : l'enfer peut être pavé de bonnes intentions.

Le principe qui vise à retrancher un concitoyen de la communauté nationale, c'est-à-dire à le priver de droits civiques ou à lui interdire l'accès à la fonction publique, avait un sens en 1944, lorsqu'il s'agissait de sanctionner des citoyens qui avaient collaboré avec l'occupant nazi et pour lesquels cette sanction avait incontestablement un impact, puisqu'il s'agissait souvent de notables revendiquant pleinement leur appartenance à la communauté nationale, aspirant même, parfois, à l'incarner. C'était une forme de sanction pour crime politique, que seules les circonstances exceptionnelles pouvaient rendre concevable et justifiable, par dérogation aux principes traditionnels du droit républicain, qui ne reconnaît pas le crime politique. Cette sanction trouvait sa justification, vous l'avez souligné, dans la volonté de mettre à l'écart de la reconstruction du pays et de la démocratie ceux qu'on jugeait indignes d'y participer.

Il n'y a là rien de comparable avec la menace à laquelle notre pays est aujourd'hui confronté. Qui peut en effet imaginer que l'obscurantisme qui embrouille l'esprit d'un terroriste avant, pendant et après son passage à l'acte, lui permettrait d'être impressionné par le risque d'encourir l'indignité nationale ? Au mieux, la perspective d'une telle sanction lui inspirera la même crainte qu'un pistolet à bouchon ; au pire – il serait peu sage d'écarter ce risque –, une telle peine pourrait devenir une sorte de « médaille du travail » du terroriste, dont chacun connaît le goût à figurer sur une liste de martyrs.

M. Urvoas a évoqué la manière dont la République a traité, à la fin du XIXe siècle, les anarchistes : elle leur a refusé le statut de martyrs judiciaires en faisant le choix de les traiter non pas hors de la République et hors de la nation mais comme des accusés de droit commun. Ceux qui nous ont précédés nous ont montré le chemin : les crimes commis aujourd'hui par les terroristes ne méritent pas d'être distingués par une peine particulière. Ils doivent être sanctionnés sans faiblesse pour ce qu'ils sont : des crimes de droit commun, qui exposent leurs auteurs à une large palette de sanctions sévères, lesquelles emportent, d'ailleurs, les mêmes conséquences que l'indignité nationale en matière de droits civiques ou d'accès aux emplois publics.

C'est pourquoi je ne voterai pas une proposition de loi recyclée par rapport à celle que nous avons déjà examinée en décembre 2014.

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