Intervention de Pierre Jacquemot

Réunion du 1er avril 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre Jacquemot, président du GRET, chercheur associé à l'IRIS :

C'est en ma qualité de président du GRET, une organisation non gouvernementale (ONG) française spécialisée dans le développement, que je vais m'exprimer ici. Je vais exposer le point de vue partagé par les organisations françaises émanant de la société civile. Parmi les documents qui vous sont distribués, vous trouverez un texte de Coordination Sud, l'organisation qui « chapeaute » les ONG françaises impliquées dans les questions internationales.

En premier lieu, je voulais indiquer notre appréciation générale du travail effectué sur les ODD. Nous saluons le travail de consultation tout à fait exceptionnel qui a été mené depuis deux ans. Nous saluons aussi le choix de faire des ODD un enjeu universel, sachant que les pays du Nord sont, eux aussi, concernés par les inégalités. Dans les propositions qui sont faites, le secrétaire général des Nations unies insiste sur la dignité. Davantage que la lutte contre la pauvreté qui est la thématique générale, la conquête de dignité nous paraît être un enjeu extrêmement fort.

En ce qui concerne l'ambition transformatrice des ODD, il faut signaler que les travaux effectués n'ont pas vraiment cherché à analyser la raison du creusement des inégalités dans le monde en général et dans chaque pays en particulier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut s'interroger sur la capacité des seuls ODD à remédier aux inégalités flagrantes qui existent à l'échelle internationale comme à celle qui existe au niveau des pays ou des territoires.

Les ODD sont au nombre de dix-sept. D'aucuns, qui s'expriment notamment dans la presse anglo-saxonne, estiment que c'est beaucoup trop. Pour notre part, nous préconisons de les maintenir tels qu'ils sont. Si nous commençons à détricoter le dispositif, nous risquons de voir les uns ou les autres retirer les problématiques de genre, de climat ou autres, qui ne plaisent pas à tout le monde. Nous plaidons pour le maintien des dix-sept ODD tels qu'ils sont ainsi que des cibles qui leur sont associées.

Entre autres motifs de satisfaction, nous avons celui de retrouver des approches qui sont voisines de celles de la France sur les questions de développement : par le droit, par les socles de protection sociale, et par les territoires. Les droits humains, sociaux et économiques sont très présents dans les ODD, ce qui traduit une évolution qui nous semble tout à fait favorable et qui rejoint le travail qui a été effectué par le Parlement français avec l'adoption, en juillet dernier, de la loi sur le développement et la solidarité. L'approche par les socles de protection sociale, qui nous tient beaucoup à coeur, se retrouve dans plusieurs ODD et repose sur l'idée que, pour accéder aux biens publics, un minimum requis doit être garanti d'une manière ou d'une autre. Quant à l'approche par les territoires, elle laisse penser qu'il n'y a pas de formule universelle : il y a des approches universelles mais les options politiques et pratiques doivent être adaptées aux réalités locales selon le principe de l'appropriation.

S'agissant des thèmes, nous insistons sur ceux qui nous sont particulièrement chers : l'économie paysanne et familiale ; l'accès pour tous à l'éducation, à la santé, à l'eau potable et à l'assainissement ; la lutte contre le dérèglement climatique. L'économie paysanne et familiale, qui a fait l'objet de nombreux travaux l'année dernière, peut permettre la résorption du chômage rural. En outre, l'ensemble de la planète – en particulier les villes –, peut bénéficier de ses activités liées à l'alimentation. Dans les ODD actuels, on retrouve assez bien tous ces thèmes qui nous paraissent devoir être mis en exergue.

À chaque ODD ainsi qu'à leurs cibles sont associés des indicateurs de suivi. Ce travail extrêmement lourd et complexe ne sera pas terminé en septembre 2015 et il se poursuivra en 2016. À l'initiative de la France, des travaux avaient été conduits dans ce domaine, il y a quelques années. On ne peut fixer des objectifs sans prévoir un système qui permette de mesurer les performances des différents pays, au fil du temps.

La cohérence est une autre question clé. On ne peut pas avoir une politique agricole commune (PAC) qui diverge des préconisations que nous formulons à l'échelle internationale ou pour les pays pauvres. Il en va de même en matière de climat ou de commerce.

Venons-en à la question du financement. Pour réaliser les ODD entre 2016 et 2030, les besoins de financement sont absolument considérables : on parle de 2 à 3 trillions de dollars par an pendant quinze ans, sachant que l'aide publique internationale actuelle est de l'ordre de 140 milliards de dollars. L'écart est énorme. Ces estimations hypothétiques montrent qu'il va falloir mobiliser des ressources tout à fait exceptionnelles.

C'est d'abord aux États eux-mêmes, qu'il revient de trouver leurs propres sources de financement des ODD. Nous constatons qu'il existe une fâcheuse tendance à rechercher des ressources au plan international alors que d'énormes gisements pourraient être mobilisés grâce à des évolutions dans le domaine fiscal – moins de droits de porte et plus de droits internes –, à une meilleure utilisation des ressources venant des migrants, à une lutte efficace contre les fuites de capitaux. Selon les dernières statistiques, parues il y a quinze jours, l'Afrique perd 50 milliards de dollars par an du fait de la fuite des capitaux.

Si le développement durable doit d'abord être financé par des ressources domestiques, il est évident que celles-ci ne suffiront pas. Nous collaborons à la réflexion générale sur les mixages qui permettent d'associer diverses ressources – privées, publiques, issues de l'économie sociale et solidaire – afin de construire des modèles de financement adaptés. Les ressources publiques sont de plus en plus faibles, particulièrement en France : l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient de classer notre pays parmi les mauvais élèves en matière d'aide publique au développement. Ces ressources publiques servent à garantir la prise de risque par des opérateurs privés, ce que l'on appelle l'effet de levier ou catalytique. Les réflexions sur la co-création de projets par le public, le privé et le monde associatif nous paraissent intéressantes.

Chaque année, lors de l'examen du volet relatif à l'aide publique de la loi de finances, vous insistez sur les garanties de redevabilité et de transparence. Comme à vous, ces garanties nous sont chères car nous considérons qu'il faut rendre compte de l'efficacité de ces ressources.

Enfin, il m'appartient de dire que les ONG françaises jouent un rôle majeur à la fois sur le terrain et par le biais de leurs nombreuses innovations. Or, en termes de financements, le sort qui leur est réservé n'est pas à la hauteur de ce que l'on pourrait attendre.

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